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Variants Alpha, Delta, Mu… L'apparition récurrente de nouvelles souches du virus du Covid-19 est-elle inquiétante ?

Alors que l'Organisation mondiale de la santé a ajouté Mu à sa liste des variants "à suivre", franceinfo s'est penché sur l'émergence de nouvelles souches du virus du Covid-19 ces derniers mois. Un phénomène qui questionne notre capacité à endiguer durablement la pandémie.

Article rédigé par Alice Galopin
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Une image de synthèse du virus du Sars-CoV-2 à l'intérieur d'une cellule humaine. (SCIENCE PHOTO LIBRARY VIA AFP)

Il se fait désormais appeler Mu. Le variant B.1.621, initialement détecté en Colombie en janvier dernier, a été classé "à suivre" par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), lundi 30 août. Alpha, Beta, Gamma, Delta... Depuis plusieurs mois, la liste des nouvelles souches du coronavirus ne cesse de s'allonger, suivant l'ordre des lettres de l'alphabet grec. "Et ça va continuer", prévient le virologue Etienne Decroly, directeur de recherche au CNRS à l'université Aix-Marseille. 

Mais pourquoi de nouveaux variants font-ils régulièrement leur apparition et dans quelle mesure la multiplication de ces souches doit-elle nous inquiéter ? Afin d'y voir plus clair, il faut d'abord comprendre pourquoi le Sars-CoV-2 mute. Celui-ci, "comme tous les êtres vivants, se reproduit", explique à franceinfo le biologiste de l'évolution Samuel Alizon, directeur de recherche au CNRS.

Deux mutations par mois

Lorsqu'il pénètre dans une cellule humaine, le Sars-CoV-2 se réplique en recopiant son code génétique, un génome ARN composé de 30 000 "briques" appelées nucléotides. Au cours de ce processus, "il peut se glisser des erreurs de copie, qu'on appelle mutations", poursuit le spécialiste. Concrètement, un ou plusieurs de ces nucléotides peuvent être ajoutés, remplacés ou supprimés. Contrairement à d'autres virus à ARN, comme la grippe ou le VIH, les coronavirus ont la particularité d'être dotés d'un "mécanisme d'édition" chargé de faire des "corrections", expose à son tour Jean-Claude Manuguerra, virologue à l'Institut Pasteur.

"Les coronavirus sont donc réputés pour muter moins vite que d'autres virus à ARN, mais ils mutent quand même."

Jean-Claude Manuguerra, virologue

à franceinfo

Des chercheurs ont estimé que le Sars-Cov-2 acquiert environ deux mutations par mois*, soit deux fois moins que la grippe. Et ces mutations ne sont pas nécessairement une mauvaise nouvelle pour l'homme. Au contraire, la plupart d'entre elles "sont néfastes pour le virus", rappelle Etienne Decroly. D'autres sont considérées comme neutres, et n'ont pas d'effets détectables sur le cycle de vie du virus. Enfin, certaines mutations sont susceptibles de modifier la transmissibilité du virus, sa virulence, ou influer sur l'efficacité des vaccins. Si elles permettent au virus de causer "des infections avec des profils différents", par rapport aux souches précédentes, on parle alors de variant, complète Samuel Alizon.

Variants "préoccupants" et "à suivre"

Or tous les variants ne suscitent pas le même degré d'inquiétude. L'OMS a d'ailleurs établi une classification spécifique pour l'évaluer. Pour l'heure, seules les souches Alpha, Beta, Gamma et Delta ont été classées comme "variants of concern" (VOC), en français "variants préoccupants". Selon l'instance onusienne*, il a été démontré que les VOC sont associés à une plus grande contagiosité, une augmentation de la virulence, une modification du tableau clinique ou une baisse de l'efficacité des vaccins.

Les "variants à suivre"  – "variants of interest" (VOI) – présentent, eux, des modifications génétiques susceptibles d'affecter les caractéristiques du virus, mais leur conséquence sur la santé publique n'a pas été formellement évaluée. Ils sont cependant responsables de multiples cas confirmés, de clusters, ou ont été détectés dans plusieurs pays, ajoute Santé publique France. A ce jour, l'OMS a placé cinq variants dans cette catégorie : Eta, Iota, Kappa, Lambda et Mu.

De son côté, le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies(ECDC) répertorie par ailleurs huit "variants en cours d'évaluation", ou VUM ("variant under monitoring"). Ils partagent des mutations similaires avec un voire plusieurs VOC ou VOI, mais il n'existe pas encore d'éléments attestant de conséquences sur la santé publique. Le variant C.1.2 repéré en Afrique du Sud en juin, qui a fait l'objet d'une étude prépubliée fin août*, figure par exemple dans cette catégorie. 

"La compétition entre variants est très importante"

Tous les variants ne sont donc pas "préoccupants", et certains ont même tendance à disparaître au profit de nouvelles souches plus compétitives. Car si l'apparition de mutations dans le génome du virus est le pur fruit du "hasard", les variants sont ensuite soumis à un phénomène de "sélection adaptative", expose Mylène Ogliastro, vice-présidente de la Société française de virologie.

"Jusqu'à présent, les variants qui ont eu du succès sont ceux qui sont plus transmissibles et qui sont vraisemblablement plus virulents."

Mylène Ogliastro, virologue

à franceinfo

"La compétition entre variants est très importante", renchérit Jean-Claude Manuguerra. Le variant Beta, apparu en Afrique du Sud en 2020, plus résistant aux anticorps neutralisants, a particulièrement circulé dans l'est de l'Hexagone au début de l'année. Mais il a progressivement décliné, "confronté à l'arrivée du variant Alpha, plus transmissible". Ce dernier a à son tour été éclipsé par le Delta, au début de l'été, qui semble pour l'heure avoir supplanté les autres variants en France : il représentait 98,5% des séquences analysées dans l'Hexagone au 10 août.

Par ce mécanisme de sélection, certains variants "à suivre" ne deviennent jamais "préoccupants". C'est le cas du variant B.1.616, repéré en Bretagne en février et désormais considéré comme "en déclin" par l'ECDC. "Il semble que ce variant était certes plus virulent, mais aussi moins contagieux, éclaire Samuel Alizon. Finalement, d'un point de vue épidémiologique, il n'a pas posé un souci énorme."

Plus il y a de personnes infectées, plus on peut voir émerger des variants

Par ailleurs, l'apparition récurrente de nouveaux variants n'est pas en soi surprenante. "Comme le virus s'est répandu dans le monde entier, on voit donc des mécanismes de mutations et de sélections se reproduire sur tous les continents", décrypte Mylène Ogliastro. "Plus il y a de personnes infectées, plus la population est grande, et plus on a de chances de voir émerger des variants", embraye Jean-Claude Manuguerra. La détection fréquente de nouveaux variants s'explique aussi par une augmentation des capacités de séquençage depuis le début de la pandémie. Plus on cherche, plus on trouve.

"On a désormais accès aux variations génétiques des populations virales dans des pays jusqu'alors peu suivis."

Samuel Alizon, biologiste de l'évolution

à franceinfo

"C'est une bonne nouvelle parce que ça nous permet de mieux anticiper" l'évolution du virus et d'identifier les variants problématiques, explique Etienne Decroly. Grâce à ces outils, les chercheurs surveillent attentivement certaines mutations, déjà repérées au sein de variants VOC ou VOI. "Les mutations qui posent problème sont celles qui augmentent les propriétés biologiques [du virus] et qui échappent pour partie aux anticorps neutralisants", poursuit le virologue.

Par exemple, la mutation L452R, que l'on observe chez les variants Delta et Kappa, augmente la capacité du virus à s'attacher aux cellules humaines. Quant aux mutations E484K et E484Q, elles sont particulièrement scrutées car elles sont susceptibles d'engendrer une diminution de la réponse immunitaire conférée par une vaccination ou par une précédente contamination. On retrouve l'une d'elles parmi les variants Beta, Gamma, Delta, Mu ou encore Kappa.

Chaque mutation "ouvre un nouveau paysage adaptatif", et peut en théorie permettre l'apparition de mutations jusqu'alors impossibles, poursuit Samuel Alizon. Les spécialistes évoquent également d'éventuelles recombinaisons des virus hybrides issus de deux variants différents.

L'éradication totale du virus, un rêve ?

Reste la question de la résistance des variants aux vaccins. Pour l'heure, "il n'existe pas de variant qui leur échapperait totalement", rappelle Samuel Alizon. Less vaccins restent efficaces contre les formes sévères liées aux variants connus, avec une efficacité de protection qui oscille autour de 80% à 90%.

En revanche, l'émergence de nouveaux variants, plus contagieux et plus résistants aux anticorps neutralisants, interroge sur la capacité à atteindre la tant espérée immunité collective. La question de la durée de la protection conférée par les vaccins se pose aussi. Certaines études font état d'une baisse progressive d'efficacité, notamment chez les plus de 60 ans.

"On s'éloigne du rêve de l'éradication totale du virus", estime Jean-Claude Manuguerra. Dans un contexte de circulation encore importante du Sars-Cov-2, la vaccination ne peut pas, à elle seule, freiner l'apparition de nouvelles formes du virus, et les mesures préventives restent de mise, défendent les experts.

"C'est en couplant la vaccination à d'autres mesures barrières que l'on peut limiter la propagation du virus et donc sa réplication."

Etienne Decroly, virologue

à franceinfo

"Un virus qui ne circule pas est un virus qui ne mute pas, insiste Mylène Ogliastro. Le fait qu'il y ait des non-vaccinés, c'est un risque de voir se créer de la diversité de virus dans des poches de la population." Et cet enjeu ne s'arrête pas à nos frontières. Aujourd'hui, 41% de la population mondiale a reçu au moins une dose de vaccin, majoritairement dans les pays développés, selon le site Our World In Data*. "Il est important que la stratégie vaccinale soit coordonnée à l'échelle internationale et que les pays qui ont les moyens d'avoir des doses en fournissent aux pays qui ont moins de moyens financiers", plaide Etienne Decroly. "C'est comme ça qu'on va aider le monde" à faire face à cette pandémie liée à un virus "qui n'a pas besoin de passeport" pour se propager.

* Ces liens renvoient vers des contenus en anglais.

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