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Pratiques déviantes, management autoritaire... Ce que contient le rapport de l'Igas épinglant l'IHU de Marseille sous la direction de Didier Raoult

Ce rapport pointe des dérives médicales et scientifiques, mais aussi managériales, qui pourraient "relever d'une qualification pénale".

Article rédigé par franceinfo
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Le professeur de médecine Didier Raoult dans une salle de conférence de l'IHU à Marseille, le 30 mars 2022. (NICOLAS TUCAT / AFP)

L'IHU de Marseille et son ancien directeur Didier Raoult à nouveau épinglés. Un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l'Inspection générale de l'Éducation, du Sport et de la Recherche (IGESR), publié lundi 5 septembre, "met en lumière des dysfonctionnements graves" au sein de l'Institut hospitalo-universitaire Méditerranée infection (IHU-MI), créé en 2011 et dirigé par le professeur Didier Raoult jusqu'à fin août.

La ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, Sylvie Retailleau, et le ministre de la Santé, François Braun, ont saisi le parquet de Marseille. "Plusieurs éléments contenus dans le rapport [sont] susceptibles de constituer des délits ou des manquements graves à la réglementation en matière de santé ou de recherche", précisent-ils dans un communiqué commun. Face à la gravité des faits, les deux ministères ont décidé de convoquer la nouvelle direction de l'IHU "d'ici quelques semaines".

Franceinfo fait le point sur ce que l'Igas et l'IGESR reprochent à l'IHU et son ancien dirigeant dans leur rapport, rédigé après quelque 300 entretiens de collaborateurs. Ce document couvre un champ plus large qu'un précédent rapport, déjà cinglant, publié il y a quelques mois par l'Agence du médicament (ANSM) et pour lequel le parquet de Marseille a ouvert, mardi 6 septembre, une information judiciaire, notamment pour des faux en écriture.

Des pratiques médicales et scientifiques "déviantes"

Le rapport pointe "certaines pratiques médicales et scientifiques (...) ne respectant pas la réglementation en vigueur et pouvant générer un risque sanitaire pour les patients". Les inspecteurs relèvent notamment que des patients soignés à l'IHU pour le Covid-19 ou la tuberculose se voyaient administrer des "molécules en dehors de leur autorisation de mise sur le marché". Cela concerne par exemple le fameux traitement à base d'hydroxychloroquine, interdit depuis mai 2020.

Depuis le début de la pandémie, Didier Raoult s'était fait le promoteur de ce médicament, acquérant ainsi une notoriété mondiale, malgré l'inefficacité démontrée de ce médicament contre le Covid-19. Selon le rapport, des médecins de l'IHU ont fait état d'"un dogme et d'une volonté d'aller à contresens de recommandations nationales et internationales". Pour d'autres internes, s'il n'y avait pas nécessairement d'obligation de suivre ces protocoles internes, en pratique, il y avait "une forte pression pour le faire".

Une stratégie scientifique à revoir

Pour les recherches cliniques, le rapport dénonce "des manquements graves (...) jusqu'à une période très récente (fin 2021 - début 2022)" : plusieurs études ont ainsi été conduites sans respecter les dispositions du code de la santé publique pour les recherches impliquant la personne humaine. Sur le plan scientifique, le rapport dénonce aussi de mauvaises pratiques : les équipes de l'IHU étaient dans une "stratégie de course à la publication", mais dans des revues de qualité médiocre.

La mission des ministères pointe aussi un isolement de l'IHU, renforcé par la crise du Covid-19. Ainsi, l'Institut n'a répondu qu'à sept appels pour participer à des projets nationaux depuis 2016. "L'IHU ne se positionne pas sur les grands appels à projets nationaux, et il n'est pas sollicité par le niveau national malgré ses capacités technologiques et scientifiques", insiste le rapport. Cet isolement "risque fort de pénaliser la qualité de ses travaux".

Des dérives de management

Des "dérives dans les pratiques de management pouvant générer harcèlement et mal-être au travail" et des "dérives dans la gouvernance" ont également été constatées. Le rapport confirme aussi que des médecins de l'IHU ont été sous pression de leur direction pour prescrire l'hydroxychloroquine, ou de l'ivermectine, autre médicament dont les bénéfices anti-Covid n'ont jamais été avérés.

Les recherches cliniques, déjà égratignées, étaient réalisées de manière biaisée, là encore sous pression de la direction. De jeunes chercheurs en venaient à "édulcorer volontairement les résultats et les données ou supprimer des choses qui ne marchent pas, pour ne pas subir de pression", selon le rapport. La mission "recommande de renouveler l'équipe de direction médicale de l'IHU et de modifier profondément les pratiques managériales".

Le document évoque, plus largement, un fonctionnement très autoritaire avec un Didier Raoult "omniprésent", laissant "peu de place pour la contradiction" et "une logique de soumission". Retraité depuis l'été 2021 de son poste de professeur d'université-praticien hospitalier, Didier Raoult a récemment quitté la tête de l'IHU Méditerranée. Depuis le 1er septembre, l'institut est piloté par le professeur Pierre-Edouard Fournier, un spécialiste des maladies infectieuses issu de l'institution et qui a travaillé sous l'égide de Didier Raoult. Sa nomination avait suscité des critiques, en interne comme en externe, comme ne marquant pas une rupture suffisante.

Une situation financière dégradée

Selon le rapport, la situation financière de l'IHU est encore saine, "mais elle se dégrade". Les recettes d'exploitation sont en "faible diminution depuis 2017", passant de 7,9 millions d'euros à 7,3 millions d'euros. En revanche, le total des dépenses d'exploitation progresse, passant de 7,2 millions d'euros en 2017, à 8,8 millions d'euros en prévisionnel pour 2022, "soit une augmentation de 22% environ""Une des priorités d'action du nouveau directeur sera de travailler un nouveau modèle économique réaliste", souligne le rapport.

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