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Pourquoi comparer le virus 2019-nCoV et la grippe saisonnière n'a pas vraiment de sens

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10 min
Des passagers en provenance de Chine dans un terminal de l'aéroport Roissy-Charles de Gaulle, le 26 janvier 2020. (ALAIN JOCARD / AFP)

Chaque année en France, la grippe saisonnière est responsable de milliers de morts, alors que seuls six cas de nouveau coronavirus y ont été confirmés pour le moment. Y a-t-il un effet d'emballement autour du nouveau coronavirus ?

Difficile d'y échapper. Depuis le début de l'épidémie à Wuhan (Chine), les inquiétudes relatives au coronavirus 2019-nCoV se sont propagées à vitesse grand V et les médias ont consacré une couverture XXL au moindre soubresaut de l'extension de l'épidémie. Mais n'en ferions-nous pas un peu trop ? Les autorités chinoises décomptaient certes 490 morts, mardi 4 février dans la soirée. Un chiffre que franceinfo n'est pas en mesure de vérifier, mais qui est déjà supérieur à celui communiqué par Pékin lors de l'épidémie de Sras (349 en 2002-2003). Mais pour le moment, la situation est sous contrôle en France, avec simplement six cas confirmés.

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Contacté par franceinfo, le virologue Laurent Andreoletti, du CHU de Reims, pointe donc aujourd'hui un paradoxe : "On n'a pas peur de la grippe et on a peur de ce virus qui n'a tué personne en France". Pour autant, d'autres chercheurs refusent de mettre ces deux maladies sur le même plan. "Ce serait comparer des choux et des carottes, réagit la virologue Astrid Vabret, de l'université de Caen. La grippe est quelque chose qu'on surveille chaque année : il y a un traitement et un vaccin." 

Dans le direct de franceinfo, plusieurs lecteurs rappellent dans les commentaires que la grippe saisonnière est responsable chaque année d'ailleurs de plusieurs milliers de morts en France – ce qui est tout est à fait juste – et qu'elle mérite donc plus d'attention que le nouveau coronavirus. Mais ce dernier point est discutable. Voici pourquoi.

Parce que ces deux virus ont leurs propres outils pour infecter les cellules

Observons maintenant dans le détail nos "choux et carottes". Certes, le 2019-nCoV et le virus de la grippe saisonnière font tous deux partie des infections respiratoires. Ces virus peuvent donc se diffuser rapidement par voie aérienne, ce qui nécessite une surveillance étroite et coordonnée. Mais la comparaison s'arrête ici, car ils ne figurent pas du tout dans "la même famille de virus", explique à franceinfo le professeur Laurent Andreoletti, virologue au CHU de Reims. "La grippe saisonnière [de la famille des myxoviridae ou myxovirus] et le 2019-nCoV [un coronaviridae] diffèrent génétiquement et dans leur structure protéique".

Les coronavirus se distinguent par leurs couronnes ("corona" en latin) de surfaces bulbeuses, semblables aux projections d'un soleil. Le virus de la grippe et le 2019-nCoV sont plutôt de taille intermédiaire tous les deux mais ils n'utilisent pas les mêmes "clés" pour entrer dans les cellules. Ces clés sont importantes, car elles établissent le lien physique entre le virus et des récepteurs présents à la surface des cellules : l'acide sialique pour la grippe et probablement l'enzyme de conversion de l'angiotensine II pour le 2019-nCoV. Nos deux virus ont donc chacun leur outil pour forcer la porte.

Une visualisation du coronavirus 2019-nCoV publiée par le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies américain, le 29 janvier 2020. (HANDOUT . / X80001)

Le virus inocule ensuite son génome dans la cellule, ce qui lui permet de se dupliquer. Puis il va chercher à quitter la cellule infectée, pour élire domicile ailleurs dans le voisinage. Pour cela, le virus de la grippe s'enveloppe avec un bout de membrane cellulaire avant de larguer les amarres à l'aide d'une enzyme, la neuraminidase. Les médicaments antiviraux grippaux classiques vont donc inhiber cette enzyme pour empêcher la diffusion du virus et l'emprisonner dans la cellule. Mais le coronavirus 2019-nCoV, lui, n'utilise pas de neuraminidase lors de son découpage libérateur. Les traitements contre la grippe – Tamiflu ou Relenza – n'auront donc jamais aucun effet sur le 2019-nCoV. Même pas en rêve.

Voilà pourquoi des chercheurs du monde entier cherchent à développer un nouveau vaccin (blocage à l'entrée) ou un nouvel antiviral (blocage à la sortie). Alors que le bilan sanitaire s'alourdit, cette course contre la montre est abondamment couverte par les médias. Au passage, certains laboratoires promettent de développer des candidats vaccins en trois mois, ce qui leur permet également de lever des fonds pour leurs travaux. Le virus de la grippe, lui, est en constante mutation, ce qui nécessite d'adapter le vaccin chaque année. Mais ces travaux sont peu médiatisés car la procédure est aujourd'hui connue. Un vaccin est attendu chaque automne.

Parce que leurs taux de létalité sont difficilement comparables

Les symptômes de la grippe sont bien connus : fièvre, maux de tête et douleurs musculaires. Ses signes respiratoires, eux, sont plutôt discrets, même si l'on observe parfois un écoulement nasal, une toux sèche ou des douleurs aux bronches. Dans le cas du coronavirus 2019-nCoV, "la durée des symptômes est variable et peut aller jusqu'à une dizaine de jours", ajoute Eric D'Ortenzio épidémiologiste à l'Inserm. Sur les premières études consacrées au 2019-nCoV, "une aggravation des symptômes a pu survenir à partir du huitième ou neuvième jour" dans un groupe de patients à risque.

Pour réellement comparer la grippe saisonnière et le 2019-nCoV, il est également possible de prendre en compte le taux de létalité du virus, c'est-à-dire le nombre de décès rapporté au nombre de personnes infectées. En France, ce taux est extrêmement faible dans le cas de la grippe saisonnière (inférieur à 0,1%), ce qui signifie que moins d'un malade sur 1 000 meurt de complications. L'OMS évoque un taux de 0,05% aux Etats-Unis cette saison (un malade sur 2 000).

Il est difficile de connaître ce taux dans le cas du 2019-nCoV, car le nombre de personnes contaminées augmente chaque jour. Il est actuellement autour de 2% (425 morts pour plus de 20 000 cas), soit un malade sur 50 environ. Mais ces chiffres communiqués par les autorités chinoises sont impossibles à vérifier. Par ailleurs, certains patients ne développent pas de symptômes (asymptomatiques) ou ne sont pas recensés. Un nombre important de cas non déclarés ferait chuter le taux de létalité en conséquence.

Il faudra donc attendre des données plus précises pour en avoir le cœur net car ce taux pourrait évoluer à l'avenir. Il devrait rester bien en-deça de ceux du Sras (10% selon le professeur Yazdan Yazdanpanah, chef du service maladies infectieuses à l'hôpital Bichat à Paris) et surtout du Mers (supérieur à 30%, selon le Journal of Medical Virology).

Parce qu'on ne connaît pas le pic épidémique du coronavirus 2019-nCoV

Pour autant, cela ne veut pas dire que l'urgence n'est pas sérieuse. En 1918, le taux de létalité de la grippe espagnole était inférieur à 5%, mais la maladie avait tout de même fait des ravages (entre 20 et 50 millions de morts) en raison d'une transmission généralisée sur tous les continents (hors Océanie).

Il faut également prendre en compte le pouvoir de transmission de la maladie (noté R0 par convention). On estime qu'un malade de la grippe saisonnière peut infecter 1,3 personne. Cette donnée n'a pas encore été établie avec précision dans le cas du 2019-nCoV. Des experts du monde entier se livrent actuellement querelle sur la question et affinent jour après jour leurs données. Les études épidémiologiques donnent une estimation comprise entre 2,6 et 3,3. Ces taux restent bien en deça d'une maladie comme la rougeole, extrêmement virulente (R0 entre 12 et 18).

Il est difficile d'endiguer la diffusion d'un virus, a fortiori dans une société des échanges. "Quoi qu'on fasse, et même avec des frontières fermées pendant plusieurs semaines, le virus parviendra à s'échapper", souligne Bruno Pozzetto, microbiologiste. Ainsi, la mise en quarantaine de la ville de Wuhan a seulement retardé de trois jours en moyenne la propagation du coronavirus 2019-nCoV à 400 villes chinoises, selon une étude à paraître menée par des chercheurs internationaux.

Malgré ces incertitudes, les scientifiques tentent tout de même de savoir quand aura lieu le pic de l'épidémie de 2019-nCoV. Selon le modèle développé par une équipe de Hong Kong (PDF en anglais), par exemple, celui-ci pourrait intervenir fin avril ou début mai dans cinq mégalopoles chinoises. Mais les projections sont complexes en raison du temps d'incubation du 2019-nCoV, évalué entre 2 et 14 jours, avec une moyenne à 6 (contre entre 1 et 3 jours pour la grippe saisonnière). Le 2019-nCoV est "un phénomène émergent", explique Astrid Vabret. Par définition, on ne sait pas ce qui va arriver."

Cette incertitude sur la marge de diffusion du coronavirus alimente les craintes de la population, relève Bruno Pozzetto, et explique également la large place accordée par les médias aux bilans sanitaires quotidiens.

L'émotion est normale dans le cas d'une nouvelle épidémie dont on ne comprend pas grand-chose et qui a pour référent le Sras ou le Mers. Pour le moment, le péril paraît assez difficile à définir et cela peut inquiéter les populations.

Bruno Pozzetto, virologue au CHU de Saint-Etienne

à franceinfo

Quatre coronavirus (229E, NL63, OC43, et HKU1) circulent habituellement chez l'homme, mais ils sont essentiellement responsables de rhumes (10 à 15% des cas dans le monde) et de pathologies bénignes. Le Sras a été maîtrisé et le Mers se transmet mal d'homme à homme. Comme le rappelle le site de la revue Science (en anglais), l'une des grandes questions est désormais de savoir si le septième coronavirus – 2019-nCoV – pourrait devenir à terme une maladie endémique, comme la grippe saisonnière ou la varicelle. Il est évidemment trop tôt pour le savoir, mais l'objectif est d'éradiquer le coronavirus avant même d'avoir la réponse.

Parce que c'est un incroyable défi scientifique

Des laboratoires du monde entier travaillent donc d'arrache-pied pour relever les nouveaux défis sanitaires et médicaux. En toute logique, ce mouvement concentre l'attention médiatique, parfois aux dépens des maladies déjà connues – c'est l'occasion de rappeler que le virus Ebola continue de tuer en Afrique (désormais 2 243 décès). Bruno Pozzetto estime que la médiatisation du 2019-nCoV s'explique en partie par le flux débordant des recherches en cours, même si ce virus est "peut-être moins précoccupant qu'Ebola, que les précédents coronavirus ou que la grippe aviaire".

Cet épisode est l'occasion de vivre en direct une émergence virale. Il y a une excitation scientifique de voir émerger quelque chose de similaire à l'arrivée de la rougeole en Amérique du Sud ou de la syphilis sur le Vieux Continent.

Bruno Pozzetto, virologue au CHU de Saint-Etienne

à franceinfo

Au-delà d'être un drame sanitaire international, le 2019-nCoV est également une aventure scientifique presque inédite dans l'histoire médicale. La rapide mise en ligne de la séquence génétique du coronavirus, dès le 7 janvier, a déjà fait date dans l'histoire de la virologie mondiale et la course aux vaccins ou aux antiviraux donne lieu à une compétition planétaire. En direct, des scientifiques du monde entier partagent réflexions et articles sur les réseaux sociaux. Il faut également prendre en compte les conséquences économiques sans précédent pour la Chine – la banque centrale a injecté 156 milliards d'euros dans le système bancaire et des aides ont été débloquées pour aider les entreprises.

Rien de tel pour la grippe saisonnière. La maladie n'a rien d'une fatalité, elle semble même admise dans nos sociétés. Comme chaque année, les pouvoirs publics ont lancé une campagne nationale pour encourager la vaccination des personnes à risque (les 65 ans et plus, les femmes enceintes...). Ces appels ont été relayés par les médias et les acteurs du monde médical, et la vaccination est désormais possible dans les pharmacies.

Si l'on proposait demain un vaccin contre le coronavirus 2019-nCoV, je suis convaincu que de très nombreux Français se feraient vacciner. Pourtant, il reste difficile de les convaincre de la nécessité d'une vaccination contre l'hépatite B ou le méningocoque. C'est un peu absurde.

Bruno Pozzetto, virologue au CHU de Saint-Etienne

à franceinfo

"Nous aimons bien nous faire peur, mais les vrais risques sont parfois banalisés ou minimisés, comme le tabagisme ou l'alcoolisme", nuance toutefois Bruno Pozzetto. C'est aussi à nous, acteurs du monde de la santé, de rétablir la balance". En attendant, cette épidémie exceptionnelle mérite tout de même quelques lignes.

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