"Les vieux vont tomber comme des mouches" : à Menton, près de la frontière italienne, le coronavirus est sur toutes les lèvres
La municipalité de cette ville limitrophe de l'Italie a décidé d'annuler les derniers jours de la fête du citron, par précaution.
"On est en train de sombrer dans la psychose, c'est ridicule ! On va se retrouver avec je ne sais pas combien de clients en moins", peste la directrice d'un hôtel de Menton (Alpes-Maritimes). Elle vient d'apprendre, mercredi 26 février, l'annulation de la fête du citron, annoncée en fin d'après-midi par le maire, Jean-Claude Guibal. Une décision prise "à titre préventif" face à la multiplication en Italie de cas de coronavirus. Les festivités, qui ont débuté le 15 février, devaient durer jusqu'au 3 mars, avec deux parades très attendues, jeudi soir et dimanche après-midi.
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— Ville de Menton (@villedementon) February 26, 2020
Monsieur le Maire de Menton annonce l’annulation de la Fête du Citron par application du principe de précaution, en raison de la situation sanitaire liée au coronavirus COVID19.
La nouvelle s'est répandue très vite dans cette ville limitrophe de la Ligurie, région du nord de l'Italie dans laquelle de nouveaux malades ont été recensés. La suspension de cette fête populaire, qui rassemble chaque année 200 000 visiteurs, était redoutée. Mais personne n'y croyait vraiment. "Il ne restait que quatre pauvres jours ! C'est vraiment dur pour les touristes", regrette un commerçant.
"On est arrivés exprès pour la parade"
Face à l'un des immenses chars garni d'agrumes, symbole depuis près d'un siècle de la fête du citron, une famille venue d'Indre-et-Loire tente de trouver le bon angle pour sa photo souvenir. "Forcément, nous sommes très déçus. On est arrivés hier exprès pour la parade [prévue le lendemain]", témoigne Line, la mère. Le fait, par ailleurs, que le match de Ligue des champions entre Lyon et la Juventus ait été maintenu mercredi soir, l'agace particulièrement. "A Menton, les gens sont de toute façon déjà sur place. Par contre, ça pose pas de souci de faire venir 3 000 supporters de Turin. C'est absurde".
"C'est pas la première fois qu'on a un souci ici", s'amuse un artificier croisé par hasard avec son collègue. Tous deux devaient animer le feu d'artifice du corso nocturne du lendemain. "Je dois être le chat noir, avance son acolyte, il y a deux ans, mon camion était resté bloqué à cause de la neige. Et deux ans avant, c'était les attentats du 14-Juillet...", se remémore-t-il.
Restaurateurs et commerçants ne cachent pas leur agacement. "La maladie est sans doute déjà partout, c'est peine perdue ce genre de mesure drastique", lâche l'un d'eux en rangeant ses présentoirs de savons de Marseille. Stefania, qui tient un bar à vin dans le centre-ville, est la seule croisée par franceinfo qui approuve cette décision.
Je suis rassurée qu'on prenne des mesures ici.
Stefania, gérante du bar à vin Vinum Veritasà franceinfo
"Je viens de Ligurie, près d'Alassio, la ville où il y a un hôtel confiné avec plusieurs cas de coronavirus. Ma famille vit tout près. J'ai peur pour eux", explique celle qui s'est installée il y a huit ans à Menton. "J'ai déjà acheté des masques et je prends des gélules d'huiles essentielles en prévention, pour me protéger."
"Comme si le virus ne passait pas la frontière"
L'inquiétude autour du Covid-19 touche le quotidien à Menton. Et pour cause : c'est la première ville après la frontière italienne, située à juste trois kilomètres. Enormément d'Italiens font l'aller-retour quotidiennement pour venir travailler dans la région, notamment à Monaco, où les salaires sont très avantageux. "Quand je prends le train pour venir travailler ici, j'essaye de ne rien toucher, pour ne pas me faire contaminer", explique Alicia entre deux bouffées de cigarette. Cette brune dynamique de 19 ans est serveuse depuis deux ans dans un restaurant de la promenade du Soleil, qui longe la mer. La jeune femme habite à Vintimille, la ville voisine côté italien, "où quasiment tout le monde travaille en France".
Avant, avec mes amis, on avait peur des Chinois. Maintenant, on voit sur Twitter qu'on a peur de nous, les Italiens !
Aliciaà franceinfo
Attablé au bar du Cap, Franck semble résigné. "Comme si le virus ne passait pas la frontière... C'est notre Tchernobyl à nous", s'amuse-t-il. "En Corée du Nord, ils ont tout compris. Ils ont tout fermé et au moins, eux, ils n'auront pas de maladie", dit-il le plus sérieusement du monde.
"Faudrait fermer les frontières", suggère d'ailleurs Eric, attablé plus loin. "Le gouvernement n'a pas fermé les frontières pour les migrants, je ne vois pas pourquoi il les fermerait pour un virus", balaye Jean-Pierre, face à lui.
"J'ai dit à ma mère : 'tu ne sors pas de chez toi !'"
Si les Mentonnais sont préoccupés par le coronavirus, c'est en fait principalement pour leurs aînés. "Menton, c'est une ville de vieux. Si l'épidémie se répand, ils vont tous tomber comme des mouches. Ca va être le no man's land", lâche Denis, bras dessus, bras dessous avec sa mère, âgée de 88 ans. "Je n'ai pas peur pour moi : je sais que le virus ne me tuera pas. Mais j'ai dit à ma mère : 'tu ne sors plus de chez toi !'", explique Véronique, la cinquantaine, en pliant une nappe de sa boutique du centre-ville.
Les personnes âgées, population la plus durement touchée par le Covid-19, sont donc naturellement les plus inquiètes. "On ne fait la bise à personne, on ne touche personne", explique Bianca, une sémillante Italienne de 92 ans, installée à Menton. "On voulait aller acheter notre whisky à Vintimille, parce que c'est moins cher. Mais on ne retourne plus en Italie pour l'instant", glisse en riant sa sœur, Henriette, deux ans de plus.
Lundi, au Super U Menton Garavan, des clients, plutôt âgés d'après les témoins, sont venus faire des provisions en masse. "On n'a pas trop compris pourquoi ils se sont affolés. Certains rayons étaient vides à la fin de la journée. Ceux des conserves surtout. Ça sentait la panique", raconte une caissière, présente ce jour-là. A la sortie, près du parking, on tombe sur Micheline. Elle attend sa fille, partie garer la voiture.
Dans son chariot, un masque de protection. "Je l'ai acheté pour ma fille, elle habite à Vintimille. Je m'inquiète pour sa santé", témoigne cette dame de 84 ans. Et sa santé à elle ? "Ah, moi ? Oh non, je n'en ai pas besoin. Je n'ai pas peur du virus." Elle est bien la seule, parmi les seniors, à afficher une telle sérénité.
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