Cet article date de plus de deux ans.

L'article à lire pour comprendre comment fonctionne l'hôpital public (et pourquoi ça craque)

Article rédigé par Noé Bauduin
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10 min
Des alertes sont lancées par les professionnels de santé qui craignent un risque imminent de rupture de soin face au manque de personnel dans les hôpitaux. Les urgences font actuellement à de multiples fermetures partielles ou totales partout en France. (MAGALI COHEN / HANS LUCAS / AFP)

Franceinfo s'est plongé dans les chiffres pour tenter de comprendre les causes profondes de la crise dans laquelle se trouve le secteur hospitalier.

Tribune de 1 000 chefs de service pour sauver l'hôpital public, manifestations des soignants, vague de démissions... Ces derniers mois, les signaux d'alerte sur la crise que traverse l'hôpital public, mis sous haute tension par près de deux ans d'épidémie, se multiplient. Les restrictions budgétaires, la fermeture des lits ou le manque de personnel sont autant de problèmes pointés du doigt.

Si la crise sanitaire a pu exacerber certains de ces problèmes, ils étaient déjà dénoncés par une partie du personnel hospitalier avant le Covid. L'année 2019 avait notamment été marquée par d'importants mouvements de grève à l'hôpital, en particulier aux urgences

Franceinfo s'est plongé dans les données, notamment économiques, pour tenter de comprendre les causes profondes de la crise à l'hôpital public. Il est important de noter que notre analyse porte sur le fonctionnement de l'hôpital avant la crise sanitaire liée au Covid-19 car, depuis le début de l'épidémie, les principes de fonctionnement habituels de l'hôpital ont été mis entre parenthèses pour pouvoir répondre à l'urgence.

Comment les hôpitaux publics sont-ils financés ?

Depuis 2004, les hôpitaux publics sont financés par un système dit de "tarification à l'activité", aussi appelé T2A. Le principe est assez simple : les hôpitaux sont rémunérés en fonction du nombre de soins. Concrètement, le ministère de la Santé définit des "groupes homogènes de patients" qui sont traités pour la même pathologie et présentent le même niveau de sévérité. Pour chacun d'eux, il fixe un tarif qui correspond au montant perçu par l'hôpital pour traiter ce type de patient.

Quand ce système a été mis en place en 2004 dans les hôpitaux publics, il a succédé à un budget global qui était très critiqué. Chaque hôpital disposait d'un budget basé sur l'année précédente et qui variait peu. Ce système avait l'avantage d'offrir de la visibilité aux établissements, mais il manquait de flexibilité pour s'adapter aux évolutions de l'activité. Si un hôpital voyait son nombre d'opérations réalisées augmenter, son budget n'évoluait pas en conséquence. Le système T2A a donc été instauré pour corriger ce problème.

L'autre caractéristique, plus controversée, de la T2A, c'est qu'elle place l'hôpital public dans une logique de rentabilité qui oblige les hôpitaux à être plus efficaces en optimisant leurs dépenses. Dans l'ancien système, si un établissement dépensait plus qu'un autre pour la même activité, il n'était pas sanctionné puisque son budget plus important était reconduit pour l'année suivante. A l'inverse, dans le système de tarification à l'activité, si un établissement dépense plus que le tarif fixé, il va se retrouver déficitaire et est donc incité à faire des économies.

Comment leur budget est-il défini ?

Grace à un outil baptisé "Ondam". Cet acronyme ne vous dit peut-être rien, et pourtant il est essentiel pour comprendre le financement de l'hôpital. Il s'agit de l'Objectif national de dépenses d'assurance-maladie, c'est-à-dire un montant fixé chaque année par le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) qui est ensuite voté au Parlement (la loi de financement) et qui définit les montants à ne pas dépasser pour l'année à venir. L'Ondam fixe des budgets distincts pour les soins de ville (l'activité des professionnels de santé libéraux) et les établissements de santé (publics, privés ou médico-sociaux).

Sur les dix dernières années, le montant fixé par l'Ondam hospitalier est constamment inférieur au budget dont auraient réellement besoin les hôpitaux, ce qui signifie que ces derniers doivent réaliser des économies. Par exemple, pour l'année 2018, la direction de la Sécurité sociale estimait que, si aucune mesure n'était prise, le budget des hôpitaux augmenterait de 4%, en raison, notamment, de l'accroissement de l'activité et du vieillissement de la population. Mais dans une logique de maîtrise du budget, l'Ondam avait fixé comme objectif de n'augmenter le budget que de 2%. Cette différence entre la hausse naturelle du budget et l'objectif fixé représente un peu plus d'un milliard et demi d'euros cette année-là. Il s'agit donc d'économies qui doivent être faites dans les hôpitaux au cours de l'année.

Ces économies demandées à l'hôpital sont de plus en plus importantes au fil des années. Sur la période 2011-2015, ce sont 500 millions d'euros d'économies qui ont été demandés annuellement, alors qu'entre 2016 et 2020, cette somme dépasse chaque année les 900 millions, atteignant même plus d'un milliard et demi d'euros en 2017 et 2018.

Comment les restrictions budgétaires sont-elles appliquées ?

Pour réaliser ces économies, le ministère de la Santé utilise le mécanisme de tarification à l'activité (T2A) décrit plus haut : si, comme en 2018 par exemple, le ministère estime que l'activité hospitalière va augmenter de 4% mais qu'il veut limiter la hausse des dépenses à 2%, il va baisser les tarifs des opérations. Cela signifie qu'un établissement ayant réalisé d'une année sur l'autre la même activité va toucher moins d'argent puisque les montants de certaines opérations ont été abaissés.

"Cela ne permet pas d'avoir de la visibilité, et la rémunération de l'hôpital ne correspond donc plus à son activité, alors que c'est normalement le principe du système T2A", dénonce auprès de franceinfo Emmanuel Rusch, président de la Société française de santé publique (SFSP) et praticien hospitalier au CHU de Tours. Zeynep Or, membre du laboratoire d'économie de Paris Dauphine et spécialiste des questions de santé, pointe, elle, un cercle vicieux induit par ces baisses de tarifs : "Pour compenser la baisse des tarifs de l'Ondam qui leur font perdre du budget, les établissements cherchent à augmenter l'activité. Mais cette hausse d'activité va elle-même pousser l'Ondam à baisser encore les tarifs pour ne pas dépasser les objectifs budgétaires".

Pour faire des économies, des lits d'hospitalisation ont-ils été fermés ? 

Depuis 2000, ce sont plus de 80 000 lits d'hospitalisations dans le public qui ont été fermés. Cela représente une baisse de 25% du nombre de lits en vingt ans. Mais pour Zeynep Or, ce chiffre ne doit pourtant pas être vu comme l'indicateur le plus essentiel : "Les fermetures de lits ne sont pas un problème en soi : les techniques évoluent et permettent de rester moins longtemps à l'hôpital, et c'est une bonne chose. Les gens veulent rarement rester à l'hôpital. C'est vrai qu'il faut avoir une marge en nombre de lits en cas de crise sanitaire comme le Covid, cela a été un problème chez les Britanniques, qui étaient à flux tendu. Mais en France, nous avons deux fois plus de lits d'hospitalisation par habitant qu'outre-Manche".

Il est d'ailleurs important de noter que si les lits d'hospitalisation sont à la baisse, ce n'est pas le cas des lits de réanimation ou de soins intensifs, particulièrement sollicités depuis le début de la pandémie de Covid-19. Entre 2013 et 2019, leur nombre a augmenté d'un peu plus de 5%, selon les données de la Drees (Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques).

>> Comment la France a perdu près de 80 000 lits d'hospitalisation publics en vingt ans

Emmanuel Rusch se montre plus prudent, estimant que le virage ambulatoire, c'est-à-dire le recours accru à la médecine de ville pour éviter les nuits à l'hôpital quand cela n'est pas indispensable, "peut-être une bonne chose, mais encore faut-il avoir les moyens en ambulatoire, ce qui n'est pas toujours le cas là où j'exerce, en Centre-Val de Loire, par exemple".

Les soignants français sont-ils moins bien payés que chez nos voisins ?

La hausse des rémunérations est une revendication de longue date du personnel hospitalier, notamment lors de la grève des soignants en 2019. Dans le détail, les derniers chiffres fournis par la Drees, qui datent de 2018, montrent que le salaire médian des médecins à l'hôpital public atteignait 5 535 euros net par mois. Ce salaire médian était d'un peu plus de 2 258 euros net pour les infirmiers, et de seulement 1 774 euros net pour les aides-soignants. 

Pour donner un ordre de grandeur, les derniers chiffres de l'Insee évaluent le salaire médian des salariés français pour un équivalent temps plein à 1 940 euros. Les aides-soignants se trouvent donc nettement en dessous. Les infirmiers sont, eux, en majorité au-dessus, mais il faut rappeler qu'il s'agit d'un métier nécessitant au moins trois ans d'études après le bac pour pouvoir l'exercer. Et les conditions de travail des aides-soignants et infirmiers hospitaliers sont aussi particulières, avec, pour beaucoup d'entre eux, la nécessité de travailler parfois de nuit et le week-end, avec des horaires à rallonge.

Pour Zeynep Or, le problème de la rémunération concerne donc surtout le personnel soignant, infirmiers comme aides-soignants, qui représente un peu plus de 56% des effectifs à l'hôpital public : "Leurs rémunérations n'ont pas suivi l'inflation, avec le gel répété du point d'indice, comme pour tous les fonctionnaires. Il y a donc eu pour eux une baisse du pouvoir d'achat."

La comparaison avec nos voisins européens montre effectivement que les infirmiers hospitaliers français sont les plus mal payés. En parité de pouvoir d'achat, les chiffres de l'OCDE montrent qu'un infirmier gagne ainsi 20% de plus au Royaume-Uni, 26% de plus en Allemagne et même 40% de plus en Belgique.

Depuis, le Ségur de la santé, qui s'est déroulé au printemps et à l'été 2020, est passé par là, accordant d'importantes augmentations de salaires pour le personnel hospitalier. Mais même avec cette hausse, de l'ordre de 15% pour les infirmiers, la France reste nettement derrière la plupart de ses voisins, ne dépassant que l'Italie.

Les effectifs sont-ils en baisse ?

Les données de la Drees permettent d'observer l'évolution des effectifs à l'hôpital public depuis 15 ans. Si, entre 2004 et 2014, les effectifs ont globalement augmenté, de l'ordre de 1% par an en moyenne, une très légère baisse s'est amorcée depuis 2015.

Zeinep Or pointe, là encore, un problème particulier concernant le personnel soignant. "Le personnel médical [médecins, chirurgiens...] a augmenté, en revanche le nombre de soignants non-médicaux, c'est-à-dire les infirmiers et les aides-soignants, a nettement diminué. Cela signifie qu'en plus de la baisse de leur pouvoir d'achat, la charge de travail par personne a augmenté pour les soignants."

Le cas des infirmiers qualifiés illustre bien, selon elle, les problèmes de l'hôpital public : "Il y a une difficulté particulière pour recruter des infirmiers plus qualifiés, car il y a peu de spécialisations reconnues pour les infirmiers. Et même quand elles existent, ces spécialisations n'apportent presque rien en termes de salaire et on ne leur donne pas vraiment plus de responsabilité ou d'autonomie."

Ces difficultés de recrutement entraînent des fermetures forcées de lits, faute de soignants pour s'en occuper. Fin octobre, le Conseil scientifique Covid-19 estimait que cela concernait jusqu'à 20% des lits d'hospitalisation.

J'ai eu la flemme de tout lire, pouvez-vous me faire un résumé ?

Depuis au moins dix ans, des restrictions budgétaires sont imposées chaque année à l'hôpital dans le cadre de l'Ondam (Objectif national de dépenses d’assurance-maladie). Ces économies sont réalisées par le biais du système de tarification à l'activité (T2A), en vigueur à l'hôpital public depuis 2004 et qui place les établissements de santé dans une logique de rentabilité.

Les 80 000 lits d'hospitalisations publics fermés depuis vingt ans sont le résultat de restrictions budgétaires et de la volonté d'évoluer vers un système de santé moins centré sur l'hôpital. Le manque de moyens a également eu des répercussions sur les salaires du personnel hospitalier, les infirmiers français gagnant, par exemple, moins que chez nos voisins européens. 

Ces bas salaires, combinés à des conditions de travail difficiles et à un manque de reconnaissance, ont rendu les métiers hospitaliers peu attractifs. L'hôpital est donc aujourd'hui confronté à des difficultés pour recruter du personnel soignant, notamment des infirmiers ou des aides-soignants.

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