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Infographies Vaccins contre le Covid-19 : une distribution à deux vitesses entre les pays riches et les pays pauvres

En 2020, la communauté internationale appelait à un accès équitable au vaccin pour tous les pays. Mais en réalité, la distribution des milliards de doses contre le Covid-19 se fait au détriment des moins fortunés.

Article rédigé par Brice Le Borgne
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Une fiole du vaccin mis au point par le laboratoire AstraZeneca en collaboration avec l'université d'Oxford est posée sur une table, le 23 novembre 2020.  (JOHN CAIRNS / UNIVERSITY OF OXFORD / AFP)

Le 4 mai 2020, Emmanuel Macron a fait un rêve. "Ce vaccin, le jour où il sera mis au point, sera un bien public mondial. C'est-à-dire qu'il n'appartiendra à personne, mais il nous appartiendra à tous"a-t-il souhaité face aux responsables de la Commission européenne, des Nations unies et de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Au fil des semaines et des mois suivants, la communauté internationale confirme son souhait de considérer les vaccins contre le Covid-19 comme un bien public mondial : le président chinois, Xi Jinping, le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, l'Union européenne... Huit mois plus tard, le jeu économique et géopolitique mené par les pays riches a rattrapé l'intention initiale. Quitte à laisser les pays en développement de côté, du moins pour l'instant.

En regardant la carte mondiale des vaccinations à la mi-janvier 2021, la mappemonde semble divisée en deux : les régions riches, dont font partie l'Amérique du Nord et l'Europe et où les vaccinations ont commencé dès la fin décembre et se poursuivent à un rythme croissant ; et les régions pauvres, au Sud, où les campagnes de vaccination n'ont pas commencé ou ont débuté plus tard.

L'Union africaine a pourtant annoncé avoir commandé, le 13 janvier, 270 millions de doses de vaccins pour le continent, dont 50 millions d'ici à juin prochain. Mais même s'il a vocation à compléter les commandes de certains Etats africains, cet accord ressemble à une minuscule goutte d'eau comparé au 1,3 milliard d'habitants du continent, dont une partie devra être vaccinée. Le continent est loin d'être la région la plus touchée par la pandémie, mais des pays comme l'Afrique du Sud subissent une violente seconde vague, et dans d'autres, comme le Sénégal, les services hospitaliers sont saturés. Cette criante inégalité inquiète les autorités sanitaires mondiales.

"Je dois être franc. Le monde est au bord d'un échec moral catastrophique, et le prix de cet échec sera payé par les vies et les moyens de subsistance dans les pays les plus pauvres du monde."

Tedros Adhanom Ghebreyesus

patron de l'OMS, le 18 janvier

Le patron de l'OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a ainsi fustigé l'attitude "égoïste" des pays riches. Il a vivement critiqué les fabricants de vaccins qui recherchent l'approbation réglementaire dans les États riches plutôt que de soumettre leurs données à l'OMS pour obtenir un feu vert à l'échelle mondiale pour l'utilisation du vaccin.

Des mécanismes de solidarité internationale avaient pourtant été prévus. Dès l'automne 2020, l'OMS et l'Alliance pour les vaccins (Gavi) ont mis en place Covax, un mécanisme financé par les pays développés ainsi que la Fondation Gates, notamment, pour distribuer des vaccins contre le Covid-19 aux pays défavorisés. C'était la réponse directe à l'ambition de "bien public mondial". Dans ce pot commun, l'Union européenne a déjà versé plus de 850 millions d'euros. L'objectif de ce mécanisme était de rendre disponible, partout, suffisamment de doses pour vacciner 20% de la population de chaque pays.

Mais le mécanisme n'a pas montré son efficacité, voire frôle l'échec, estime Nathalie Ernoult, de Médecins sans frontières. "Aujourd'hui, les pays pauvres qui ont rejoint Covax n'ont pas reçu de doses." Car en parallèle, les Etats riches se sont empressés de passer des accords avec les laboratoires pharmaceutiques, afin de sécuriser des doses pour leur population. "Ils ont pu faire des achats à risque, continue Nathalie Ernoult, et ont anticipé sur un portefeuille de cinq ou six vaccins dont on n'avait pas encore tous les résultats. Chose que ne pouvaient pas faire de nombreux pays. C'est la capacité à payer qui aura fait la différence."

Pour certains, pas de vaccin avant 2022

Résultat, les commandes de certains pays développés couvrent de quoi vacciner plusieurs fois leur population. D'après le suivi (article en anglais) réalisé par le centre américain Duke Global Health Innovation, le Canada a par exemple réservé cinq fois plus de vaccins que son nombre d'habitants. L'Union européenne, deux fois. Dès le mois de septembre 2020, l'ONG Oxfam alertait sur le fait que les pays riches représentant 13% de la population s'étaient accaparés plus de la moitié des doses prévues. 

A l'autre bout de l'échelle économique, les pays pauvres vont donc devoir patienter. Les chercheurs de l'école de santé publique Bloomberg, de l'université Johns-Hopkins, aux Etats-Unis, ont estimé qu'au moins un cinquième de la population mondiale n'aura pas accès aux vaccins avant 2022. D'autres observateurs pensent même que cela ne se fera pas avant 2024. Et dans ce paysage inégalitaire se loge d'ailleurs un paradoxe frappant : certains de ces pays, comme l'Afrique du Sud, sont pourtant ceux où de nombreux volontaires ont participé aux essais cliniques de ces vaccins.

Les premiers perdants sont donc ces pays en développement, mais la planète dans son ensemble a tout à y perdre. "Ces actions ne feront que prolonger la pandémie et nos souffrances, ainsi que les restrictions nécessaires pour la contenir", a prévenu le patron de l'OMS.

"Si la pandémie continue de se propager dans les pays les plus pauvres, tandis que les pays à hauts revenus sont protégés, le virus peut continuer à muter et à se répandre, et il est possible qu'on se retrouve avec une souche que les vaccins actuels ne couvrent pas."

Andrea Taylor

responsable de recherche au Duke Global Health Institute

Mais les ONG l'affirment : des solutions existent. "Si on veut vraiment vaincre la pandémie, il faut que les barrières sur la propriété intellectuelle et sur l'ensemble des technologies utilisées dans la production des vaccins soient levées", soutient Juliana Veras, coordinatrice du plaidoyer chez Médecins du monde. L'idée, également défendue par Médecins sans frontières, est de permettre à certains pays de produire des vaccins, pour eux et leurs pays voisins, afin d'augmenter les capacités de production. Depuis l'automne, des discussions à l'initiative de l'Inde et de l'Afrique du Sud sont en cours au sujet d'une éventuelle levée de la propriété intellectuelle à l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Une initiative à laquelle l'Europe et les Etats-Unis n'étaient initialement pas favorables. Les discussions pourraient déboucher sur des décisions dans le courant du mois de mars.

"Les contrats ne sont pas transparents"

Autre problème identifié par les associations, celui de la transparence des contrats, concernant des vaccins dont la recherche a pourtant largement été soutenue par des finances publiques, comme ceux de Moderna ou d'AstraZeneca. "Les Etats auraient dû mobiliser le levier du financement public pour inciter au partage des connaissances. Là, les contrats ne sont pas transparents, on n'a pas accès aux informations, ce qui est grave compte tenu des investissements publics", souligne Juliana Veras.

En attendant, pour combler l'action ralentie des pays occidentaux, des puissances comme la Chine ou la Russie jouent des coudes pour distribuer leur solution dans ces pays. Les deux vaccins chinois, Sinovac et Sinopharm, ont massivement été commandés par des pays comme l'Indonésie, les Philippines, l'Egypte, l'Argentine, le Brésil, le Chili. Pour Antoine Bondaz, chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, cette présence chinoise est loin d'être un hasard. "Ce que veut faire la Chine, c'est exporter vers ces pays au plus vite, pour dire 'On l'a fait avant Covax'. Quand vous êtes les premiers à envoyer le vaccin, c'est vous le plus visible en termes de communication, d'impact politique." Bref, une nouvelle géopolitique du vaccin, dans laquelle ces pays sont déjà lancés dans une course effrénée, se dessine.

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