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#EtAprès Et si on faisait le pari du long terme ?

Les acteurs économiques et politiques doivent réapprendre à se projeter sur le temps long, estime Djellil Bouzidi. Selon lui, mieux gérer les risques nécessite de "revoir la hiérarchie de nos urgences", en dépassant les limites d'un "capitalisme court-termiste".

Article rédigé par franceinfo
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Station de métro Châtelt-Les Halles, à Paris, le 8 avril 2020. (STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)

Coronavirus : et après ? franceinfo ouvre le débat. Un échange à grande échelle pour stimuler et partager des questions, des idées, des témoignages et ouvrir le débat le plus largement possible sur les solutions de demain : #EtAprès, qu’est-ce qui doit changer ? Cette contribution est signée par Djellil Bouzidi, économiste et coordinateur du pôle Economie de Terra Nova.


Depuis plusieurs semaines, près de la moitié de l’humanité est confinée. Citoyens, petites et grandes entreprises, gouvernements et institutions financières ont tous été impactés par la crise du Covid-19 à des degrés divers.

En France, les annonces présidentielles sont de plus en plus suivies et rythment les projections temporelles des ménages et entreprises. Ces projections dépassent rarement trois ou quatre semaines. Pourrons-nous partir à la plage cet été ? Quand pourrons nous réinvestir les restaurants, cafés et commerces ? Les horizons temporels se réduisent. Les espaces aussi.

Les entreprises veulent savoir quand elles pourront se remettre à produire leurs biens et-ou services. Certaines souffrent beaucoup et des secteurs entiers devront se transformer sous peine de disparition. Plus ces dernières sont tournées vers la performance à court terme et "impatientes", plus il sera difficile pour elles de s’adapter et passer à un modèle plus résilient. Alors qu’il est tout à fait normal que les horizons de court terme dominent aujourd’hui, une question se pose : comment expliquer les différences de performance des nations dans la gestion de cette crise ?

La réponse tient en partie au rapport au futur qui est différent entre les nations et individus. Grâce (notamment et parfois principalement) à leur rapport au temps long, certains pays apportent des réponses vigoureuses à la crise (Singapour, Taiwan, Corée du Sud et plus proche de nous l’Allemagne).

C’est dans ce rapport au temps long que se bâtit la résilience. Mieux vaut comprendre, apprendre, gérer ses risques et s’adapter, qu’optimiser et privilégier l’efficience et l’immédiat.

Djellil Bouzidi

Or, le modèle économique dominant aujourd’hui est celui d'un capitalisme court-termiste souffrant de deux problèmes majeurs. D’abord, il a du mal à prendre en compte tant l’intérêt des générations actuelles que futures. Ensuite, il suppose un accès illimité aux ressources. Un tel modèle n’est donc pas adapté à des "surprises". Les perturbations des chaînes de valeurs sur des produits devenus soudains stratégiques (masques, médicaments, respirateurs, etc.) paralysent des nations entières. Des milliers de fonctions habituelles de la société moderne sont contraintes à la cessation.

Le skipper Arthur Le Vaillant appelait récemment à faire de la course à la voile différemment après le confinement et à "ralentir". Cela s’applique parfaitement à notre modèle économique où nous devrions moins nous soucier de records de vitesse et d’un système plus écologique. Plutôt que rêver à un retour à la situation d’avant-crise, nous devrions profiter collectivement de cette période pour mieux gérer nos risques et revoir la hiérarchie de nos urgences. Les biens publics mondiaux (dont le climat et la santé) ne peuvent passer après la maximisation des profits. Le capitalisme gagnerait à devenir plus patient et "positif".

Ainsi, la sortie de crise passe par le retour indispensable au temps long et à une meilleure gestion des risques. Les pouvoirs publics ont créé récemment une nouvelle fonction de conseiller chargé du suivi des réformes. Il serait souhaitable qu’ils se dotent également d’experts en risques qui serait en charge de définir la tolérance au risque acceptée collectivement, ainsi que les stratégies de couvertures et de résilience à mettre en place.

Pour aller plus loin : Le capital patient, un horizon pour la France et l’Europe, Terra Nova, 11 mars 2016.

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