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De la fièvre du samedi soir à celle du Covid-19, la lente agonie des boîtes de nuit

Toutes les discothèques de France, ou presque, ont fermé leurs portes depuis la mi-mars et ne rouvriront pas cet été. Pour les patrons d'établissements et toute l'économie du monde de la nuit, il faudra désormais attendre septembre, au mieux. Certains pourraient ne pas se relever de la crise engendrée par la pandémie de coronavirus. 

Article rédigé par Benoît Jourdain
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
La boule à facettes ne tourne plus depuis l'épidémie de coronavirus. Aujourd'hui, 30 à 35% des gérants de boîtes de nuit souhaiteraient arrêter leur activité. (JESSICA KOMGUEN / FRANCEINFO)

"Je n'ai même plus de colère, tellement je suis résigné." Alexis Marty, chauffeur privé dans le sud de la France, ne travaille plus depuis la mi-mars et le confinement instauré pour empêcher la propagation du coronavirus. Comme cet homme de 46 ans, habitué à conduire les plus grands DJ dans les clubs, tous les acteurs du monde de la nuit sont à l'arrêt. Dernier coup dur pour cette industrie, la décision du Conseil d'Etat, qui a estimé lundi 13 juillet que la fermeture prolongée des discothèques n'était pas "disproportionnée". La juridiction a rejeté un recours déposé par le Syndicat national des discothèques et lieux de loisirs (SNDLL). L'espoir de rouvrir le 10 juillet et de voir l'activité des boîtes de nuit – et des 100 000 employés du secteur – redécoller est parti en fumée. Résultat, les boules à facettes ne tournent plus cet été, une période d'ordinaire synonyme de haute saison pour les clubs, contraints de couper le son.

"Pourquoi ils veulent tuer les clubs ?"

"Je suis très, très inquiet, assure Patrick Malvaës, le président du SNDLL. Des personnes vont perdre leur fonds de commerce, je n'exclus pas des gestes de désespoir..." Près de Rennes (Ille-et-Vilaine), Mike Ludwig, le patron du Tremplin, une grosse boîte de nuit située à la périphérie de la ville, a entamé une grève de la faim le 21 juin pour protester contre cette fermeture prolongée. "En trois mois, je suis déjà à 90 000 euros de dettes, sachant que j'ai un loyer de 11 000 euros par mois. Au niveau des aides, on a le chômage partiel, c'est très bien pour nos employés", souligne-t-il à France Inter. Mais pour les patrons, les aides (fonds de solidarité, prêt garanti par l'Etat, etc.) se font souvent attendre.

Résultat, d'après un sondage interne réalisé auprès des adhérents du SNDLL, "30 à 35% des gérants veulent s'arrêter car ils n'en peuvent plus : cela représente entre 7 000 et 8 000 salariés au chômage", alerte Patrick Malvaës. Une jauge équivalente "au nombre d'emplois que va supprimer Air France et eux, ils ont eu des milliards d'euros d'aides", déplore le dirigeant. Au début de la crise, le syndicat national des discothèques réclamait un plan de relance spécifique de 500 à 600 millions d'euros. 

D'une seule voix, tous les acteurs interrogés par franceinfo dénoncent le "deux poids, deux mesures" du gouvernement en matière de politique sanitaire. Pour eux, c'est évident, les boîtes de nuit ont été injustement mises à l'index. "Je ne sais pas pourquoi les discothèques seraient plus sujettes à être des 'clusters' que les bars, les restaurants, les salles de sport ou les clubs échangistes. Pourquoi une seule profession reste-t-elle taboue ? Pourquoi la stigmatiser ?", s'interroge Jean Roch, le célèbre propriétaire du VIP Room à Saint-Tropez. "J'ignore pourquoi ils veulent tuer les clubs", s'insurge aussi Sébastien Santovito, alias DJ Fou. En creusant la question, il évoque les conséquences de la mauvaise réputation prêtée au monde de la nuit depuis des décennies : "On nous a pris pour des dealers, des voleurs, que sais-je encore... Sur les réseaux sociaux, on s'est fait attaquer, je n'avais pas pris conscience que les gens ne nous aimaient pas."

La peur de "la saison blanche"

Sébastien Santovito vit de sa passion depuis vingt ans et, pour la première fois, il s'apprête à passer un été chez lui. "On s'ennuie", rigole-t-il. Bénéficiant d'une certaine notoriété, il ne s'inquiète pas trop pour cette année parce qu'il avait réussi à mettre de l'argent de côté. "Je suis plus soucieux pour les autres DJ et personnes qui travaillent dans ce milieu", concède-t-il, même s'il prie pour que la situation ne s'éternise pas. "L'année prochaine, il faudra que je travaille".

D'autres n'ont pas cette souplesse et sont contraints de braver l'interdit, comme Eric Moro, gérant du Paradisio, près de Lorient (Morbihan). En toute illégalité, il a ouvert son établissement trois soirs de suite le week-end du 10 juillet"Mort pour mort, autant partir dans la gloire. Entre l'Urssaf, les loyers et les autres charges, je dois 150 000 euros", déclare celui qui est mis en examen pour "ouverture d'un débit de boissons malgré une décision administrative de fermeture" et convoqué devant le tribunal correctionnel. 

Il y a des fêtes partout, on ne peut pas dire que les discothèques sont fermées. Elles ont juste changé de nom et ne s'appellent plus 'discothèques', tout simplement.

Jean Roch

à franceinfo

Pour justifier la fermeture prolongée de ces établissements, les pouvoirs publics avancent évidemment des raisons sanitaires. "Ne prenons pas de risques inconsidérés. Les autorités de santé nous disent qu'on peut faire des choses en plein air en faisant attention. Par contre, en lieux fermés, c'est impossible. Donc attendons", explique à franceinfo Frédéric Hocquard, adjoint à la mairie de Paris, chargé du tourisme et de la vie nocturne. Un argument que rejette Jean Roch : "En Italie, en Espagne, les clubs ont rouvert, on aurait pu au moins mettre en place une 'loi littoral' pour sauver l'activité dans les établissements saisonniers", regrette-t-il. "On peut affronter une petite réouverture a minima, mais pas une saison blanche. Aucun club ne pourra tenir, c'est la mise à mort d'un univers", lâche-t-il, alors que le nombre de discothèques a déjà diminué de 70% au cours des quarante dernières années, affirmait l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (Umih) à BFMTV.

Patrick Malvaës, lui, ne tient pas tout à fait le même discours. Conscient du "réel enjeu sanitaire", il se dit néanmoins contre la réouverture a minima, selon certaines règles strictes de distanciation physique. Une hypothèse évoquée par certains acteurs de ce secteur avant le déconfinement. "Renoncer à l'essence même d'un métier, c'est le tuer. Rouvrir en mode dégradé, ce n'est pas la peine", tranche le syndicaliste.

La priorité, ce n'est pas la réouverture, ce sont les aides.

Patrick Malvaës, président du Syndicat national des discothèques et lieux de loisirs

à franceinfo

En attendant un hypothétique retour sur les dancefloors, les gens trouvent d'autres lieux pour faire la fête, ce qui indigne parfois les patrons de boîte de nuit. "Je suis content pour ceux qui possèdent un bar ou un restaurant, mais ça me met en colère qu'ils piquent notre pain et qu'ils se transforment en discothèques", s'offusque Sébastien Santovito.

"Le problème a été déplacé, poursuit Jean Roch. Les fêtes ont désormais lieu dans des villas, des appartements, sur des bateaux, elles peuvent être hors de contrôle, notamment où l'alcool peut être gratuit." Le propriétaire du VIP Room craint "les dérives de ces fêtes sauvages". "Les discothèques font office de nounou pour beaucoup. On est là pour divertir les gens mais aussi pour les occuper jusqu'à 6 heures du matin. Actuellement, dans certaines villes balnéaires, c'est l'anarchie dans les rues quand les bars ferment. Les policiers et les gendarmes vont être débordés", abonde Sébastien Santovito.

Exemple aux Sables-d'Olonne (Vendée), où jusqu'à 200 personnes âgées de 16 à 25 ans se sont battues avec les forces de l'ordre dans la nuit du 14 au 15 juillet dans les rues du centre-ville. "C'est un vrai enjeu sociétal, résume Patrick Malvaës, les discothèques sont parfois le seul axe de culture dans certaines zones du pays. On assiste à un regain de violence et j'attends aussi de voir les chiffres de la sécurité routière". 

Rendez-vous en juin 2021 ?

Désormais, tous attendent fébrilement la rentrée de septembre, voire celle de l'été prochain, comme L'Amnesia, club légendaire du Cap d'Agde. Dans un communiqué publié vendredi 17 juillet, l'établissement confirme qu'il n'accueillera pas les fêtards avant juin 2021. Rideau sur toute la saison estivale, mais aussi hivernale. Sur Facebook, ses dirigeants évoquent "une décision gouvernementale difficile (...) Le ministre de la Santé avait demandé aux discothèques de se réinventer, certains l'ont fait", mais pas cette institution du littoral méditerranéen. "Nous considérons que l'Amnesia se doit de vous proposer une programmation digne des plus grands festivals, ce qui n'est pas malheureusement pas possible compte tenu des restrictions sanitaires actuelles", conclut le communiqué.

Du côté de Saint-Tropez, Jean Roch devrait lui aussi se projeter sur 2021. "Pour moi, rouvrir en septembre n'a pas de sens. Ce serait comme ouvrir une station de sports d'hiver en plein mois de juillet." Face à ce tableau bien sombre, les différents acteurs retiennent au moins un point positif. Alors que le regain de la pandémie en France a récemment contraint les autorités à rendre le port du masque obligatoire dans les lieux clos, personne ne pourra incriminer les boîtes de nuit. Pour une fois.

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