Crise liée au Covid-19 : "On peut annuler une partie des dettes détenues par la BCE", assurent des économistes
"En cas de crise, il faut mettre en place des mesures exceptionnelles", affirme Aurore Lalucq, économiste et députée européenne.
Face à la crise liée à l'épidémie de Covid-19, une centaine d’économistes demandent l’annulation des dettes publiques détenues par la Banque centrale européenne, dans une tribune, publiée vendredi 5 février dans le journal Le Monde. Économiste et députée européenne Place publique, Aurore Lalucq alerte, vendredi 5 février sur franceinfo, sur le fait que ce n'est pas "toujours aux mêmes de se serrer la ceinture".
franceinfo : Les dettes publiques détenues par la Banque centrale ont explosé en raison des mesures de soutien à l'économie liées à la crise sanitaire. Qui va payer ? Peut-on les annuler ?
Aurore Lalucq : Oui, on alerte à ce sujet. Il y a déjà une petite musique qui est en cours et qui nous dit "il va falloir rembourser la dette". Comment ? Si on écoute Bruno Le Maire, il dit qu'on ne va pas augmenter les impôts, donc on va faire de l'austérité. Mais nous, on est un groupe de Français, des jeunes chercheurs et on lance le débat. Et le débat prend au niveau européen ! À travers cette tribune, on dit "attention, on va vous dire qu'il va falloir vous serrer la ceinture et c'est toujours les mêmes qui doivent le faire, mais ce n'est pas vrai". On peut annuler une partie des dettes détenues par la Banque centrale européenne. Cela n'aura pas de conséquences sur les dettes privées. La Banque centrale européenne ne fonctionne pas comme une banque normale.
Mais de grands financiers affirment que si on ne rembourse pas un prêt, plus personne ne voudra nous prêter de nouveau...
Sur la question de la crédibilité, je vais vous donner une anecdote. [Franklin Delano] Roosevelt, [président américain de 1933 à 1945] dans les années 30, se retrouve face à des agriculteurs qui sont endettés jusqu'au cou. Il veut annuler leurs dettes. Là, on ne parle pas de dettes privées et publiques. Les Républicains montent au front, et disent "pendant 100 ans, Mr Roosevelt, plus personne ne voudra prêter un dollar aux États-Unis. Mais finalement, ça n'a jamais remis en cause la crédibilité de l'économie américaine !
La crédibilité d'une économie, c'est sa politique économique. Aujourd'hui, sa politique économique, c'est sa politique sanitaire surtout. Donc quand j'entends des leçons sur la question de la crédibilité, j'ai envie de dire "faites une politique sanitaire crédible et, après, on en reparlera".
Vous voulez dire qu'on peut s'affranchir des règles quand elles ne sont plus adaptées à la situation et que cette dette publique, de plus de 2 500 milliards d'euros, peut être rayée d'un trait de plume ?
Oui, en cas de crise. Il faut mettre en place des mesures exceptionnelles. On ne résout pas une crise de cette ampleur et on n'a jamais résolu une crise de grande ampleur avec des mesures habituelles, il faut prendre des risques. Effacer une dette publique est un jeu d'écriture de la Banque centrale européenne. Cette institution n'est pas comme vous et moi : quand vous faites un emprunt, vous devez l'argent à la banque. La Banque centrale européenne, elle, ne doit de l'argent à personne. Donc autant annuler une partie de cette dette pour pouvoir redonner de la marge de manœuvre aux États. Pour la France, c'est 400 milliards, ce n'est pas rien.
Est-ce que les statuts actuels de la BCE rendent cela possible ?
Ce n'est pas interdit, ce n'est pas autorisé. C'est exactement ce qu'elle a fait avec la politique dite "de rachats d'actifs", pour soutenir les économies au moment de la crise bancaire. Ce n'est pas autorisé mais ce n'est pas interdit non plus. Ce qui est interdit, c'est de financer directement les États.
Aujourd'hui, nous on fait comme Mario Draghi en son temps, on essaye de trouver une solution logique, frappée du coin du bon sens pour pouvoir sauver les Européens. En fait, un effacement de dette publique ne coûterait à personne. C'est de l'argent que détient la Banque centrale européenne et si elle décide de rayer, par jeu d'écriture, cet argent, elle ne le doit à personne. Elle va être en "fonds propres négatifs". C'est la seule institution qui le peut.
Après, c'est une mesure qui a un risque, mais c'est mieux que de ne rien faire et voir les dettes filer, pour ensuite prendre le risque, cette fois, de se faire attaquer par les marchés financiers. Nous, on pense avoir une solution qui peut permettre de sauver tout le monde et de faire de la transition écologique. Alors ce n'est pas la solution miracle, mais n'empêche que celle-ci peut vraiment nous donner un sacré coup de main.
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