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Covid-19 : fragilisé par l'arrêt des salons, l'événementiel craint des dépôts de bilan en série

Article rédigé par Guillemette Jeannot
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7 min
Des restaurateurs et des professionnels de l'événementiel manifestent contre les fermetures liées au coronavirus, le 14 décembre 2020 à Paris. (LUCAS BOIRAT / HANS LUCAS / AFP)

Victimes de multiples suppressions de salons et congrès, criblées de dettes, les entreprises du secteur espèrent pouvoir reprendre leur activité en septembre. Mais le choc du coronavirus laissera des traces durables.

"Nous étions un secteur en pleine croissance depuis quelques années, le virus a tout remis en cause." Philippe Abergel, délégué général du Syndicat national des prestataires de l'audiovisuel scénique et événementiel (Synpase), résume ainsi le blues de toute une profession. Chaque année, 1 200 salons et foires, ainsi que 2 800 congrès se déroulent en France, sans compter les 380 000 événements d'entreprises ou d'institutions. Ils génèrent 39,4 milliards d'euros de retombées économiques (tourisme inclus) et permettent aux exposants de réaliser 34,5 milliards d'euros de flux d'affaires, selon les dernières statistiques 2019 (PDF) de l'Union française des métiers de l'événement (Unimev), qui regroupe les organisateurs, les gestionnaires de sites d'accueil et les prestataires de services.

Mais de la suppression du carnaval de Nice, en février 2020, à la fermeture des lieux publics pour lutter contre l'épidémie de coronavirus, le secteur de l'événementiel ne compte plus les annulations. Dernière en date, celle du Salon international de l'aéronautique et de l'espace du Bourget, qui devait se tenir du 21 au 27 juin 2021.

Un "choc économique"

"Aujourd'hui, ma société ne vaut plus rien", constate Bernard Creuwels, dirigeant de Créatifs, située à Gonesse (Val-d'Oise). Les cloisons, les meubles, la moquette ou encore la signalétique sur le Salon du Bourget, c'est lui.

Depuis mars 2020, le patron de la deuxième plus grosse entreprise d'installation générale du marché français a vu son carnet de commandes se vider. Le chiffre d'affaires de ce prestataire technique a dégringolé de "35 millions d'euros par an à 2 millions", assure-t-il. Son équipe était présente sur 150 salons par an contre désormais… zéro.

"C'est la première fois que nous vivons une crise comme celle-là. Perdre 85% de chiffre d'affaires en dix mois, ce n'était même pas envisageable."

Bernard Creuwels, patron de Créatifs

à franceinfo

"Nous vivons un choc économique extrêmement brutal", décrit Guillaume Durieux, directeur général de Videlio Events, un prestataire vidéo, son et lumière qui possède 15 agences en France. "Nous subissons les annonces du gouvernement sans pouvoir ni anticiper ni organiser d'événements. Cette absence de visibilité est difficile à gérer économiquement."

Ainsi, le secteur fait face à une crise sans précédent. Elle a amené le patron de Créatifs à demander un plan de sauvegarde pour son entreprise, le 20 septembre dernier, afin d'éviter le dépôt de bilan. Pour l'année 2020, l'Unimev estime à 16,8 milliards d'euros les pertes pour l'ensemble des entreprises de l'événementiel.

Des aides qui ont tardé à arriver

Sonorisation, éclairage, structures, décors, régie… Les prestataires techniques, comme Bernard Creuwels ou Guillaume Durieux, sont des acteurs incontournables du secteur. Regroupés en un "petit millier" d'entreprises, ils cumulent "1,2 milliard d'euros de chiffre d'affaires annuel" et emploient entre "6 000 et 7 000 salariés permanents et 20 000 intermittents", rapporte le délégué général du Synpase, Philippe Abergel. "Ce sont eux, les prestataires techniques, les plus touchés avec 900 millions de pertes sèches", assure-t-il.

Après la fermeture administrative des établissements recevant du public (ERP), lors du premier confinement et à nouveau depuis le 30 octobre, les prestataires techniques ont dû cesser toute activité. Ces derniers, contrairement aux ERP qui ont accès au fonds de solidarité sans condition de taille et jusqu'à 200 000 euros, bénéficiaient jusqu'à présent d'une aide plafonnée à 10 000 euros par mois, à condition d'avoir moins de 50 salariés. L'Unimev considère qu'en 2020, "53% des prestataires techniques ont été totalement exclus des aides gouvernementales, hors chômage partiel et prêts garantis par l'Etat". C'est le cas de Bernard Creuwels.

"Je débourse 240 000 euros de charges tous les mois et en face, rien ne rentre."

Bernard Creuwels, patron de Créatifs

à franceinfo

Pour faire face à cette situation économique "dramatique", l'Unimev a réclamé, le 8 janvier, un plan de sauvegarde "sur mesure" avec, notamment, une attribution des aides liées au fonds de solidarité "à tous les maillons de la chaîne de valeur : les organisateurs, sites événementiels et prestataires qui sont à 90% dépendants les uns des autres".

La demande a été entendue par le gouvernement. Lors de la conférence de presse du 14 janvier, le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, a annoncé un élargissement des conditions d'accès au fonds de solidarité pour les entreprises frappées indirectement par les fermetures administratives. Elles auront droit à une compensation de 20% de leur chiffre d'affaires 2019, dans la limite de 200 000 euros par mois, si elles ont perdu au moins 70% de leur chiffre d'affaires, quelle que soit leur taille.

Malgré la mise en place du chômage partiel, Bernard Creuwels continue de régler les cotisations vieillesse et veuvage, les jours fériés et les congés payés pour sa centaine de salariés. "Cela représente 100 000 euros par mois", précise-t-il. A cela s'ajoutent les loyers pour les 41 000 mètres carrés de stockage et l'entretien onéreux des machines. "Nous sommes obligés de sortir régulièrement nos équipes du chômage partiel pour qu'elles fassent tourner le matériel, sinon nous le perdons."

"Nous allons licencier 49 personnes"

En attendant d'avoir un carnet de commandes à nouveau plein, les entreprises empruntent. "Plus de sept entreprises du secteur sur dix ont demandé un prêt garanti par l'Etat", rapporte le Synpase. Le ministre de l'Economie a également annoncé le report d'une année pour la première échéance de remboursement de ce prêt. Soit 2022. Pas sûr que cette annonce, avec la nouvelle année noire qui se dessine, allège les difficultés de paiement pour ces entreprises qui ont une trésorerie toujours vide. Car, malgré ce prêt "qu'il faudra rembourser", Bernard Creuwels va se séparer de quasiment 50% de ses effectifs. "Nous allons licencier 49 personnes, et 16 autres personnes, en fin de contrat ou nouvellement retraitées, sont déjà parties", énumère le patron.

"Nous gardons les métiers spécifiques comme les chargés de projet ou le bureau d'études, mais je suis contraint de me séparer de tous les menuisiers."

Bernard Creuwels

à franceinfo

L'horizon est encore plus sombre pour Javier Andres, directeur général de JMT France, spécialisé dans la location de meubles pour l'événementiel, en région parisienne. "Du fait du Covid, nous sommes morts", souffle-t-il. Lâché par la maison mère hollandaise qui a fait faillite en juillet 2020, Javier Andres a rapidement senti le "vent tourner". Les dettes s'accumulent et les bailleurs et assurances "n'ont pas joué le jeu", selon lui. Les banques l'abandonnent et, le 23 novembre 2020, il a demandé à placer sa société en redressement judiciaire. Cinq entreprises sont sur les rangs pour reprendre JMT, qui ne compte plus que 54 salariés sur les 65 présents au début de la crise. "J'espère que la moitié du personnel sera repris, ne sachant pas si l'Etat va maintenir le chômage partiel encore longtemps", glisse ce patron.

La ministre du Travail, Elisabeth Borne, a précisé, lors de la conférence de presse du 14 janvier, que la prise en charge de l'activité partielle serait maintenue à 100% jusqu'à la fin février, indique Le Parisien. A partir de mars, les entreprises ayant une baisse de chiffre d'affaires inférieure à 80% par rapport à l'année dernière auront à verser un reste à charge de 15%. Selon le Synpase, "23% des salariés du secteur risquent le licenciement dans les six prochains mois".

La France, leader mondial en sursis ?

"Nous sommes tous dans le même bateau, les gros et les petits", constate Frédéric Jouët, à la tête du parc des expositions de Nantes depuis quatorze ans. Plus de 80% des évènements prévus sur le parc ont été annulés l'année dernière. "Nous ne passons plus de commandes auprès de nos prestataires depuis bientôt un an, déplore-t-il. Hôtesses d'accueil, agents de sécurité, traiteurs… toute cette chaîne est en train de s'effondrer." Chaque jour, il reçoit plus d'une dizaine de candidatures de professionnels de l'événementiel. "Cette montée en puissance de la recherche d'emploi est très inquiétante", estime-t-il.

Une autre crainte tourmente les acteurs du secteur. "Nous sommes le pays de l'événementiel avec les plus grands événements mondiaux organisés et montés par des sociétés françaises, rappelle Frédéric Jouët. Si ces compétences disparaissent, nous perdrons notre place de leader au profit du Moyen-Orient et de l'Asie."

Alors tous espèrent une reprise des salons et des foires "au plus tard en septembre 2021", sans pour autant escompter un chiffre d'affaires mirobolant.

"Tout le monde sait dans le secteur que nous allons mettre trois ans pour revenir à un chiffre d'affaires viable."

Javier Andres, patron de JMT France

à franceinfo

En 2021, chacun espère atteindre autour de 30% de son chiffre d'affaires annuel. Les budgets communication au sein des entreprises clientes sont déjà validés. "Les exposants vont avoir également moins d'argent à investir dans un stand", reconnaît Javier Andres. Quant aux grands événements internationaux bisannuels annulés en 2021, ils n'auront lieu qu'en 2023. En attendant, tout le secteur guette une date de réouverture. "Parce que, contrairement aux restaurants, nous, nous ne pouvons pas être opérationnels du jour au lendemain. Monter un salon, cela prend entre six mois et un an", précise Bernard Creuwels.

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