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Covid-19 : comment le virus rend fébrile une médecine scolaire déjà anémique

Manque de moyens humains, contaminations en hausse : la gestion sanitaire du Covid-19 dans les établissements scolaires se complique, alors que l'épidémie connaît un regain depuis la rentrée. 

Article rédigé par Guillemette Jeannot
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7 min
Depuis le déconfinement, collégiens et lycéens doivent porter un masque en classe (photo d'illustration). (GETTY IMAGES)

Eviction de l'élève suspecté d'être infecté, enquête auprès de l'entourage immédiat… La gestion de l'épidémie de coronavirus alourdit le quotidien des quelque 800 médecins et 7 350 infirmières scolaires pour plus de 12 millions d'écoliers, collégiens et lycéens.

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D'autant que la situation sanitaire s'aggrave en France. Au 12 octobre, huit métropoles ainsi que la Guadeloupe se trouvaient en alerte maximale. Sur le terrain, médecins et infirmières scolaires, en sous-effectif depuis de nombreuses années, gèrent, au détriment de leurs principales missions, tous les cas suspects ou avérés de Covid-19.

Un quotidien dominé par le virus

"Il ne se passe pas une journée sans que nous ayons cinq ou six suspicions de cas de Covid. C'est exponentiel !" constate Raphaëlle Scaduto, infirmière scolaire et membre du bureau du syndicat Snies-Unsa dans l'académie de Nice. Depuis la rentrée de septembre, son quotidien, comme celui de tous les infirmiers et médecins scolaires, est rythmé par la crise sanitaire. A l'instar de la docteure Marianne Barré, pour qui ses trois jours hebdomadaires de présence en établissements scolaires sont devenus "trois jours Covid".

"Nous sommes uniquement centrés sur l'identification et la gestion des cas positifs en lien avec l'agence régionale de santé. L'enquête à la recherche des cas contacts est longue et la gestion qui en découle également."

Marianne Barré, médecin scolaire

à franceinfo

Raphaëlle Scaduto passe elle aussi ses journées à courir, avec une charge de travail "de plus en plus forte". "Nous gérons l'éviction mais également le retour de l'élève en vérifiant l'attestation écrite des parents certifiant que leur enfant a consulté un médecin et qu'aucun test n'a été prescrit." A défaut d'attestation, rappelle le ministère de l'Education nationale, le retour de l'enfant ne sera autorisé qu'après sept jours. A la date du 9 octobre, le ministère indique que 199 classes et 24 établissements sont fermés et que 5 279 cas de Covid-19 sont confirmés parmi les élèves sur les sept derniers jours, soit un taux de malades de 0,04%. 

Animée par sa mission de prévention et d'éducation à la santé, Raphaëlle Scaduto répète inlassablement dans chaque classe comment bien porter son masque et se laver les mains, quand elle n'est pas sollicitée pour prendre en charge un élève présentant des symptômes du Covid-19. L'enfant est alors isolé et surveillé jusqu'à l'arrivée de son parent, à qui l'infirmière explique la procédure à suivre. "Bien souvent, les parents sont complètement perdus, constate l'infirmière. Les protocoles de l'Education nationale se suivent et ne se ressemblent pas. Les médecins traitants, eux, ne disent pas la même chose que nous et, souvent, c'est contre nous que les parents s'emportent." 

Régulièrement, elle prend aussi en charge la partie administrative des missions Covid dévolues aux médecins scolaires, qui sont en nombre insuffisant sur le terrain.

Pénurie de médecins et d'infirmières

"La pénurie de médecins scolaires est de plus en plus importante", déplore Marianne Barré, également secrétaire générale adjointe du syndicat SNMSU-Unsa Education. "Nous sommes, en moyenne, un médecin pour 12 000 élèves, mais cela peut aller jusqu'à 40 000 élèves pour un seul médecin", précise la praticienne, qui s'occupe, elle, de 22 000 élèves. "Et la relève n'est pas assurée avec 500 postes de titulaires actuellement vacants." 

Selon le ministère de l'Education nationale, contacté par franceinfo, le nombre de postes de médecins scolaires ouverts annuellement est d'une soixantaine. "Mais depuis deux ans, nous avons un taux de réussite au concours d'environ 30%", explique un porte-parole du ministère. Depuis 2015, entre 20 et 35 médecins scolaires sont recrutés chaque année. 

"Nous essayons par tous les moyens de recruter, mais la population médicale est vieillissante, avec une moyenne d'âge de 55 ans, et la profession est encore méconnue des étudiants en médecine."

Le ministère de l'Education nationale

à franceinfo

Depuis plusieurs années, les quelque 800 médecins scolaires voient "leurs missions se multiplier alors que le nombre de médecins scolaires ne fait que décroître", relève l'Académie de médecine dans un rapport daté de 2017. Ainsi, Joël Lamoise, proviseur d'un collège-lycée regroupant 1 800 élèves et secrétaire national du syndicat SNPDEN, est contraint de partager avec d'autres établissements le temps de présence de l'unique médecin scolaire affecté au sud du département de la Meurthe-et-Moselle.

L'Académie de médecine précise également qu'en moyenne, sur l'ensemble des départements, à peine plus d'un enfant sur deux (57%) a bénéficié d'un examen de santé pratiqué par un médecin ou par une infirmière en 2015, ajoutant que ce chiffre peut varier "de 0 à 90%" selon les départements.  

Si les infirmières scolaires sont plus nombreuses, avec environ 7 350 titulaires selon le syndicat Snies, leur profession est elle aussi sous tension. La majorité des infirmières en poste dans des établissements hors lycées partagent leur temps entre plusieurs écoles et un collège. Ainsi, Raphaëlle Scaduto travaille une journée et demie dans trois écoles de la région niçoise et le reste de la semaine dans un collège abritant 700 élèves.

Faute d'effectifs suffisants, les infirmières en arrêt maladie ou en congés sont difficilement remplacées. C'est le cas dans le collège-lycée du proviseur Joël Lamoise, où les deux infirmières sont absentes depuis quelques semaines. "Tant qu'elles sont manquantes, nous sommes obligés de mettre en place le protocole d'urgence dès qu'un élève a mal à la tête ou se fait une entorse", explique-t-il. L'élève est alors pris en charge par l'équipe de la vie scolaire, qui appelle les parents et éventuellement le Samu en fonction de la gravité de son état. Le proviseur dit aussi s'appuyer sur les pompiers volontaires présents parmi le personnel ou les élèves.

Un protocole sanitaire coûteux

L'épidémie met également en lumière le manque de moyens dont souffrent certains établissements. Dans les écoles, remarque Marianne Barré, ce sont les toilettes qui sont en nombre insuffisant pour répondre aux besoins du protocole sanitaire, qui exige plusieurs lavages de mains dans la journée.

"Le problème des toilettes a toujours existé et s'amplifie avec la crise sanitaire, surtout au collège, où il est difficile d'avoir un distributeur de savon en bon état et du papier à disposition. Au lycée, cela va un peu mieux car beaucoup ont été rénovés par les régions."

Marianne Barré, médecin scolaire

à franceinfo

En ce qui concerne les autres dispositifs sanitaires, à part les masques distribués au personnel par l'Education nationale, tout est à la charge des établissements. "Nous devons acheter lingettes, produits désinfectants et distributeurs de gel hydroalcoolique sur nos fonds propres, détaille Joël Lamoise. Cela ne se passe pas trop mal dans les lycées, mais moins bien dans les collèges, qui ont des moyens financiers moindres, sachant qu'il y a des disparités selon les conseils départementaux."

Et l'addition grimpe vite. "Ce sont plusieurs milliers d'euros qui s'ajoutent à notre budget de fonctionnement", calcule le proviseur. Les distributeurs automatiques de gel placés à l'entrée des cantines sont ce qui coûte le plus cher, précise-t-il.

Du côté des infirmières, les moyens alloués par la direction générale de l'enseignement scolaire (Dgesco) ne sont pas à la hauteur de la crise, selon Raphaëlle Scaduto. "Depuis le 11 mai, nous sommes affublés de masques en tissu grand public mais nous n'avons ni masques chirurgicaux type 2, ni surblouse ni charlotte pour effectuer des soins ou prendre en charge des cas suspects ou des cas contacts." En colère, elle pointe également du doigt un manque de "ligne directrice au niveau national" : "Les budgets des infirmeries sont très aléatoires d'un établissement à un autre car cela dépend du proviseur et de l'inspection académique." 

Des missions de prévention en jachère

En cet automne 2020, le coronavirus est toujours vaillant et la fatigue gagne le corps médical. "Cela devient inhumain ! Nous sommes en première ligne et il y a de plus en plus de burn out, constate Raphaëlle Scaduto. Tout cela finit par créer de la souffrance au travail." C'est "catastrophique" également du côté des médecins scolaires, reconnaît Marianne Barré. "Il y a de nombreux départs. Parmi les médecins de secteur, certains ont demandé leur détachement de l'Education nationale car nous savions tous que la crise reprendrait à la rentrée. Nous avons aussi des médecins proches de la retraite ou retraités qui nous dépannent, mais cette crise a accéléré leur départ."

La gestion des cas positifs et des cas contacts s'effectue au détriment des autres missions de santé. "Nous sommes en retard sur les dépistages infirmiers sur le secteur primaire car nous attendons toujours les directives sanitaires pour nous protéger lorsque nous effectuons, entre autres, des prélèvements bucco-dentaires", détaille l'infirmière.

"Nous sommes également en retard sur toutes nos missions de prévention et de santé publique car nos chefs d'établissement, surchargés par la crise sanitaire, ne les placent pas en priorité."

Raphaëlle Scaduto, infirmière scolaire

à franceinfo

Sans oublier les urgences imprévisibles. Dans le collège niçois de Raphaëlle Scaduto, cela représente en moyenne 30 passages par jour à l'infirmerie sur 700 élèves. Difficile également de recevoir les élèves dans le cadre d'un suivi individuel. Car la crise sanitaire n'efface pas les autres problèmes. "Il y a toujours des enfants qui traversent des choses difficiles à la maison", souligne l'infirmière. "La maltraitance s'est fortement aggravée avec le confinement dans certaines familles. Des situations que nous aurions pu prendre en charge rapidement empirent avec le temps", se désole-t-elle.

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