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Coronavirus : pourquoi la France manque-t-elle de masques de protection respiratoire ?

Les hôpitaux sont sous tension et réclament davantage de matériel pour protéger le personnel soignant. Les approvisionnements en masques sont serrés et l'Etat a dû relancer à la hâte la fabrication de ces précieuses protections.

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
Un patient sous assistance respiratoire est transféré à l'hôpital de Strasbourg (Bas-Rhin), le 16 mars 2020. (PATRICK HERTZOG / AFP)

"Nous avons assez de masques aujourd'hui pour permettre aux soignants d'être armés face à la maladie et de soigner les malades, a assuré le ministre de la Santé, Olivier Véran, mardi 17 mars sur France Inter. Mais en fonction de la durée de l'épidémie, nous ne savons pas si nous en aurons suffisamment à terme." La question du matériel sanitaire est cruciale pour combattre l'épidémie de Covid-19. Face à la trop faible quantité de stocks disponibles, l'inquiétude est palpable dans les couloirs des hôpitaux, d'autant que les vols et les disparitions compliquent encore la donne (12 500 masques au CHU de Montpellier...).

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"Je sais qu'il y a des problèmes de masques qui me remontent, et qui sont ubuesques", a notamment déclaré sur franceinfo Eric Caumes, chef du service des maladies infectieuses de la Pitié-Salpêtrière à Paris. Il faut distinguer les masques chirurgicaux, destinés aux malades pour protéger leur entourage, et les masques respiratoires dits "FFP2", qui protègent le porteur contre l'inhalation d'agents infectieux. Dans un courrier adressé à une élue, que franceinfo a pu consulter, un médecin hospitalier de Grenoble (Isère) livre par exemple cet édifiant constat.

Les stocks sont très faibles. Aussi, en prévision, les équipes d'hygiène nous demandent de ne pas jeter les masques en fin de journée qui sont récupérés pour pouvoir être réutilisés après stérilisation, si la situation tourne à la catastrophe.

un médecin de Grenoble

à une élue

L'épidémie est certes inédite, mais comment la France en est-elle arrivée à cette situation de pénurie ? En mai 2009, lors de l'épidémie de grippe A (H1N1), les stocks de masques FFP2 relevant du ministère de la Santé étaient évalués à 580 millions d'unités (dont 229 millions étaient périmés) : 463 millions pour le stock stratégique et 117 millions pour le stock des établissements de santé. Le Sénat, il est vrai, faisait alors mention de "difficultés" dans le suivi du "stock national santé", éparpillé dans 72 sites en France. Au mois de juin de la même année, 400 millions de masques FFP2 supplémentaires avaient été commandés, précisait alors un rapport (document en pdf) du sénateur centriste Jean-Jacques Jégou.

Un masque de type FFP2 photographié à l'Institut Robert Koch de Nuremberg (Allemagne), le 28 février 2020.  (DANIEL KARMANN / DPA / AFP)

Deux ans plus tard, en 2011, "une grande concertation a été organisée" pour déterminer le matériel dont la France avait besoin en cas "de nouveaux épisodes viraux", expliquait Olivier Véran, le 3 mars dernier. Le ministre de la Santé affirmait que ces réflexions n'avaient alors pas débouché sur la mise en place d'une réserve de masques FFP2. En résumé, si le ministre explique qu'"il n'y a pas de stock d'Etat" pour les FFP2, la France dispose tout de même, début mars, d'une réserve de 145 millions de masques chirurgicaux (anti-projections) – le ministre évoque désormais 100 millions d'unités.

Mais "que sont devenues les commandes des masques FFP2 et chirurgicaux [passées en 2009] ?", s'interroge le député LR Jean-Pierre Door, contacté par franceinfo. "Ces dernières années, il n'y a pas eu d'épisodes nécessitant leur utilisation et j'aimerais donc savoir ce que sont devenus les achats." Nous avons transmis la question à Jérôme Salomon, directeur général de la Santé. Mardi, lors de son point de situation quotidien, ce dernier a expliqué qu'il existait des stocks stratégiques "de masques chirurgicaux", sans toutefois mentionner des réserves nationales de FFP2.

Beaucoup d'entreprises et d'institutions ont des masques de cette époque, qui sont parfois de type FFP2. Ces entreprises peuvent les mettre à disposition et certaines l'ont fait.

Jérôme Salomon, directeur général de la Santé

Contactée à ce sujet, Santé publique France n'a pas encore répondu à nos questions sur les ressources disponibles en masques FFP2. La direction générale de la Santé n'a pas apporté d'explication plus détaillée après notre requête.

Un stock de 600 millions de masques FFP2 en 2011

Ce problème mérite un coup d'œil dans le rétroviseur. Le 1er juillet 2011, le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) émettait un avis (document en pdf) sur la stratégie à adopter concernant les stocks de masques respiratoires. L'idée était la suivante : il convenait d'équiper en FFP2 les professionnels de santé tandis que les masques chirurgicaux étaient recommandés pour les professions de la vie générale (éboueurs, boulangers…).

Après les commandes post-grippe A (H1N1), les stocks étaient alors au plus haut et le ministre de la Santé de l'époque, Xavier Bertrand, n'a pas eu besoin de passer de nouvelles commandes. La France disposait en effet de 600 millions de masques FFP2, en phase avec "la valeur cible fixée", selon cet extrait d'une note confidentielle de la direction générale de la santé datée du 27 juillet 2011, que franceinfo a pu récupérer.

Extrait d'une note confidentielle de la Direction générale de la santé du 27 juillet 2011. (FRANCEINFO)
Les réserves sont donc immenses mais, problème, ces masques équipés d'une membrane filtrante et d'élastiques ont une durée de vie évaluée à quatre ou cinq ans. Un nouveau fonctionnement a donc été mis en place pour la suite : la question des stocks de masques est gérée chaque année par le ministre de la Santé lors de l'examen du projet de loi santé. Il convient d'en assurer la continuité, pour éviter l'obsolescence du parc.

Le tournant a lieu en 2013, avec la "nouvelle doctrine" du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), qui considère notamment que "le recours systématique aux masques de protection respiratoire de type FFP2 a montré ses limites en termes d'efficacité car la gêne voire la difficulté respiratoire liées à leur port, conduisent à un faible taux d'utilisation", peut-on lire dans ce document. Ce changement de modèle est évoqué deux ans plus tard dans un rapport sénatorial : "Le stock national géré par l'Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires [Eprus] concerne désormais uniquement les masques de protection chirurgicaux à l'attention des personnes malades et de leurs contacts." Ce stock est géré depuis 2016 par Santé publique France et correspond aux 100 millions d'unités récemment évoquées par Olivier Véran.

Produire et/ou acheter en urgence

Par ailleurs, "la constitution de stocks de masques de protection des personnels de santé [notamment FFP2] sont désormais à la charge des employeurs". La nouvelle doctrine suppose donc de ne pas "renouveler certains stocks arrivant à péremption", car la responsabilité est désormais transférée "vers d'autres acteurs", à savoir les établissements de santé et médico-sociaux pour leurs personnels. Dans une logique d'harmonisation, ceux-ci font toutefois des points réguliers avec la direction générale de la santé (DGS).

Cette mission relevant désormais des établissements, les réserves d'Etat en FFP2 ont donc fondu année après année. Mais au-delà des stocks, qui ont une durée de vie limitée, ce sont surtout les capacités de production qui priment, explique à franceinfo un bon connaisseur du dossier. La France a désormais besoin de 50 millions de masques chaque semaine, contre quatre à cinq en temps normal. Dans ce contexte, un stock de 600 millions de masques ne représente donc qu'une avance d'une dizaine de jours. Le plus important est d'être en mesure de produire ou d'acheter vite. Et beaucoup.

Aurait-il alors fallu passer des commandes massives il y a plusieurs semaines, dès le début de l'épidémie ? Autre problème ! Depuis plusieurs années, la France s'en est remise aux capacités industrielles de la Chine, aux dépens de la production nationale. L'Asie, fort logiquement, n'a pas pu maintenir ses exportations dans une période de crise continentale, d'où la situation de pénurie actuelle. Olivier Véran a d'ailleurs souligné que "les crises sanitaires pouvaient parfois entraîner des crises industrielles", en référence aux fabricants chinois défaillants.

Ce retard à l'allumage français a donc plusieurs explications, résume Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF). Ce dernier estime notamment que "les difficultés d'approvisionnement n'ont pas été suffisamment anticipées" et que "cette histoire de coronavirus va remettre en question certains aspects de la mondialisation" en ce qui concerne la capacité française à produire du matériel sanitaire en période de crise.

Quand vous avez des patients intubés, vous ne pouvez pas leur mettre un masque pendant les soins. Si les médecins ne peuvent s'en protéger avec des masques FFP2, c'est une catastrophe..

Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF à franceinfo

à franceinfo

Face à ces difficultés, la France a finalement passé "les commandes publiques les plus massives qui soient" auprès de "quatre grandes entreprises sur le territoire national" capables de confectionner les masques. Il leur a été demandé "de fonctionner jour et nuit, H-24 et sept jours sur sept", a expliqué le ministre de la Santé. Contacté, le groupe Kolmi-Hopen est littéralement débordé et n'a pas pu nous répondre. "Nous avons une demande pour 350 millions de masques de la part des distributeurs européens, expliquait déjà fin janvier son PDG, Gérald Heuliez, à Ouest-France. Inutile de vous dire qu'on ne peut la satisfaire."

L'entreprise Kolmi-Hopen consacre désormais l'intégralité de son activité à la production de masques. (KOLMI-HOPEN)

Pour rattraper le retard, le Premier ministre, Edouard Philippe, a également réquisitionné début mars par décret "l'ensemble des stocks et productions de masques sur le territoire national". Cela concerne à la fois les fameux masques FFP2 et les masques anti-projections, détenus par les personnes privées, morales et par les "entreprises qui en assurent la fabrication ou la distribution". Au début du mois, deux opérations nationales de déstockage ont permis de fournir 25 millions de masques aux personnels de santé.

La plupart des grands CHU, notamment dans les zones où l'épidémie est la plus intense, ont été livrés aujourd'hui [mardi]. Le reste se fera au plus tard [mercredi] matin.

Jérôme Salomon, directeur général de la santé

mardi 17 mars

Pour surmonter ce manque, la débrouille est donc de mise. En Nouvelle-Aquitaine, deux millions de masques périmés issus de stocks de "plusieurs administrations et collectivités" vont être distribués aux médecins libéraux et aux établissements de santé. "L'inquiétude des professionnels de santé est légitime", a reconnu Michel Laforcade, directeur général de l'Agence régionale de santé (ARS). Si le délai de péremption est dépassé, ces masques présentent tout de même "les mêmes garanties" que les autres, a-t-il ajouté, précisant que "la seule fragilité" pouvait se trouver au niveau des élastiques. Le ministère des Armées a également déstocké cette semaine cinq millions de masques chirurgicaux au bénéfice du ministère de la Santé.

Au niveau local, certaines mairies fouillent également dans les armoires : la mairie de Montargis (Loiret), par exemple, va fournir 5 000 masques à l'hôpital local. Jérôme Salomon a également encouragé "les entreprises privées qui en ont encore à les offrir aux hôpitaux" afin d'aider "les professionnels de santé en première ligne". Il a ajouté que les masques étaient des "denrées rares" et "un bien précieux". Personne ne le contredira parmi les professionnels de santé.

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