Coronavirus : "Il va falloir être créatif, dans une période où les interactions sociales sont très limitées" (chercheur en psychologie sociale)
"Est-ce que les outils numériques vont nous permettre de compenser ce manque de rapport direct ?", questionne le chercheur.
"On est en train d'apprendre des nouvelles formes d'organisation collective qu'on n'a jamais expérimentées dans la période récente", a expliqué ce mardi sur franceinfo Jocelyn Raude, enseignant-chercheur en psychologie sociale à l’École des hautes études en santé publique (EHESP), spécialiste des maladies émergentes. Pour lui, il va falloir être créatif et inventer, dans cette période de confinement où les interactions sociales sont très limitées.
Cette situation revêt un caractère inédit ?
Jocelyn Raude : Absolument, parce qu'on n'a aucun précédent historique. En période de paix, on n'a jamais eu une période de confinement comme celle qu'on commence. Il faut rappeler que c'était quand même un mode de gestion très classique des épidémies au 19ème siècle, puisqu'on avait régulièrement l'application de quarantaines par rapport à des maladies comme le choléra ou d'autres. Donc, c'est un peu un retour à des situations qu'on a connues par le passé mais pour lesquelles on n'a pas de recul récent.
On est en train d'apprendre des nouvelles formes d'organisation collective qu'on a jamais expérimentées dans la période récente. Les dernières fois qu'on avait utilisé ce type de mesures, c'était pendant la Seconde Guerre mondiale. On avait aussi eu quelques événements épidémiques, mais plutôt très localisés, dans lesquels il y avait eu des formes de confinement qui avaient été appliquées, mais qui n'ont pas duré très longtemps. Je pense à Vannes, en Bretagne, dans les années 1950, où on avait eu une épidémie locale de variole, mais qui avait été endiguée assez vite. Mais on est vraiment dans une situation complètement nouvelle.
Avec l'apparition des premiers cas, on a vu des comportements très différents. Grande inquiétude chez certains, une forme d'inconscience chez d'autres ?
Oui, c'est ça qui est assez paradoxal et compliqué à comprendre. C'est qu'on a la coexistence dans la société française, entre deux populations. Une population qui est extrêmement active et extrêmement inquiète depuis le départ, depuis les premiers cas en Europe, qui met en place des comportements relativement extrêmes, qui fait des réserves de gel hydroalcoolique, par exemple, et une majorité qu’on pourrait, à un moment donné, qualifier de silencieuse et qui était plutôt sereine, attentiste et qui réagit de manière très graduée au déploiement de l'épidémie dans notre société.
On réagit à l'incertitude de manière radicalement différente selon les individus, certains individus sont très réticents, à l'incertitude et vont développer des comportements de protection extrêmement avancés. Alors qu'une autre partie d'entre nous, on est plutôt apathique ou attentiste.
Jocelyn Raude, enseignant-chercheur en psychologie sociale à l'EHESPà franceinfo
Les phénomènes de rush qu'on a vu vers les supermarchés, c'est une forme de réaction à la panique ?
Nous, les psychologues, on définit la panique comme une peur intense qui est ressentie simultanément par un grand nombre d'individus. Mais en fait, c'est plutôt une minorité qui est très inquiète au début, qui met en place ces comportements. Le problème, c'est qu'on a ce qu'on appelle des phénomènes de contagion sociale ou de panique rationnelle. C'est-à-dire que, comme les autres individus, nos concitoyens anticipent d'éventuelles pénuries sur certains produits. Ils mettent en place des comportements qui, au final, génèrent ces pénuries. C'est ce qu'on appelle les prophéties auto-réalisatrices. On a des pénuries qui sont générées par la peur de la pénurie elle-même. Ce qui est des phénomènes qui ont été documentés dans les années 1930. Le manque est une peur fondamentale de l'être humain. Et donc, on a ces phénomènes de précaution qui se mettent en place et qui génèrent cette pénurie qu'on peut observer depuis plusieurs jours maintenant.
Un tout petit mot pour les personnes qui sont naturellement pathologiquement anxieuses, hypocondriaques. C'est une période particulièrement difficile pour elle. Est-ce que le confinement peut renforcer leurs craintes, leurs angoisses?
On a des données scientifiques très précises sur le sujet puisque on a eu ce qu'on appelle une revue de littérature [sur le phénomène des quarantaines]. Elle a en effet montré que lorsqu'on était bloqué chez soi dans cette situation de confinement, ça développait toute une palette d'émotions plutôt négatives chez l'être humain. Cela peut être la colère, le stress, les épisodes de dépression ou la frustration.
On a des sentiments ou des émotions qui sont exacerbées par cette situation de quasi enfermement et l'impossibilité de bouger ou d'aller à sa guise.
Jocelyn Raude, enseignant-chercheur en psychologie sociale à l'EHESPà franceinfo
Il va falloir inventer. Il va falloir être créatif. Il va falloir trouver des nouveaux modes de fonctionnement collectifs dans une période où les interactions sociales sont très limitées. Et ça, ce sont des situations qu'on n'a pas du tout l'habitude de vivre dans nos sociétés contemporaines qui sont plutôt hyperconnectées. La question et l'enjeu c'est : est-ce que les outils numériques vont nous permettre de compenser ce manque de rapport direct ? C'est ce qu'on va découvrir dans les prochains jours, les prochaines semaines.
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