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Coronavirus Covid-19 : un pic de pollution au dioxyde de soufre à Wuhan révèle-t-il que la Chine brûle les corps de victimes ?

La carte sur laquelle s'appuie la rumeur n'est pas un relevé de la qualité de l'air en temps réel, mais une estimation réalisée à partir de données passées, qui ne peuvent par conséquent pas tenir compte de prétendus événements récents.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le fleuve Yangzi Jiang à Wuhan (Chine), le 28 janvier 2020. (HECTOR RETAMAL / AFP)

Un étrange pic de pollution. Sur Twitter, un internaute a partagé, samedi 8 février, une capture d'écran du site de prévisions météorologiques Windy.com. L'image montre une importante émission de dioxyde de soufre dans le secteur de Wuhan, foyer de l'épidémie de coronavirus Covid-19. L'internaute y voit un phénomène suspect et imagine trois scénarios pouvant l'expliquer. Soit une centrale électrique relâche le gaz qui lui sert de carburant, soit la ville incinère ses ordures et pourquoi pas des carcasses animales potentiellement contaminées par le virus, ou, plus morbide encore, les cadavres des victimes de l'infection sont brûlés en masse.

Son tweet a été partagé par près de 16 000 utilisateurs et a suscité plus de 13 000 commentaires sur le réseau social. Mais dit-il vrai ou propage-t-il une "fake news" de plus sur le Covid-19 ?

Comme le rappelle l'Organisation mondiale de la santé (OMS), le dioxyde de soufre (SO2) est l'un des principaux polluants atmosphériques. Ce gaz est notamment généré lors de la combustion des énergies fossiles, comme le charbon ou le pétrole. Il est en particulier émis par le chauffage domestique, la production d'électricité ou les véhicules à moteur. Mais aussi naturellement par les éruptions volcaniques. La crémation des défunts produit elle aussi un dégagement de SO2, mais dans une bien moindre mesure et à un taux de concentration beaucoup plus faible, explique le Taiwan FactCheck Center (en chinois).

L'OMS rappelle que le dioxyde de soufre peut avoir de graves effets sur la santé, qui vont de la simple toux à l'asthme, voire aux bronchites chroniques et aux infections respiratoires. Pour cette raison, l'OMS recommande de ne pas s'exposer à une concentration de SO2 de plus de 20 μg/m3 d'air en moyenne sur 24 heures et de 500 μg/m3 sur 10 minutes.

La carte n'est pas un relevé mais une prévision

La capture d'écran devenue virale signale un inquiétant pic de SO2 à 1 351,65 μg/m3 dans le ciel de Wuhan. Soit plus de 2,7 fois la concentration recommandée par l'OMS. Cette information a toutefois été mal interprétée. Car Windy ne fournit pas des relevés météorologiques en temps réel, mais des prévisions. La concentration en SO2 indiquée sur la carte ne correspond donc pas à une valeur mesurée sur place mais à une estimation du niveau de ce gaz polluant attendu dans l'air. La carte de Windy.com n'est pas non plus une image satellite, comme ont pu l'affirmer de nombreux médias britanniques, à l'image du Sun, de Metro ou de L'Express.

Windy calcule ses prévisions de taux de SO2 à partir d'un outil de modélisation complexe, mis au point par la Nasa, l'agence spatiale américaine, et baptisé GEOS 5, comme l'explique Korina Karamalaki, community manager et administratrice du forum de la communauté Windy. Le GEOS-5 compile lui-même les informations d'une multitude de bases de données, relatives aux émissions de SO2 du trafic aérien comme maritime, aux activités humaines, mais aussi à la biomasse ou à l'activité volcanique, entre autres, qu'il croise avec des observations météorologiques par satellites.

La Nasa répertorie ainsi dans son catalogue d'émissions industrielles de SO2 une centrale à charbon à l'ouest de Wuhan, comme le relève sur Twitter une chercheuse de l'Institut météorologique finlandais. Wuhan est aussi historiquement une ville importante dans la production d'acier en Chine. Le géant chinois Wuhan Iron and Steel y est implanté, comme son nom l'indique.

Les événements inattendus pas pris en compte

A partir de ces données passées, le GEOS-5 produit une modélisation du futur et non une visualisation en temps réel, comme l'explique à Full Fact (en anglais) Arlindo da Silva, météorologue et chercheur à la Nasa. "Nos prévisions sont basées sur des inventaires d'émissions fixes, confirme-t-il. Par conséquent, "bien que des données satellitaires aient été utilisées dans la construction des inventaires des émissions, ces émissions ne tiennent pas compte des variations quotidiennes des émissions de SO2 et, en tant que telles, ne peuvent pas expliquer les changements soudains de l'activité humaine." Le météorologue et chercheur de la Nasa précise d'ailleurs que "dans le GEOS-5, les variations quotidiennes du SO2 sont dues à des variations des conditions météorologiques, en particulier des vents".

La community manager de Windy confirme qu'en s'appuyant sur le GEOS-5 "Windy ne visualise que la prévision des émissions de SO2". "Par conséquent, une activité inattendue telle que la combustion de corps due au coronavirus ne serait pas affichée sur Windy", explique Korina Karamalaki. La raison est évidente : "Les prévisions ne prédisent pas les activités humaines inattendues, ni les événements de la nature comme l'éruption d'un volcan." La prévision d'un pic de pollution au dioxyde de soufre dans la région de Wuhan ne peut, par définition, pas révéler une hypothétique crémation massive de corps de victimes de l'épidémie de coronavirus.

Une autre chercheuse de l'Institut météorologique finlandais fait en outre remarquer sur Twitter que l'indice de qualité de l'air AQI (Air Quality Index) mesuré par l'agence de protection de l'environnement du Hubei et son bureau de Wuhan, ainsi qu'un autre modèle de prévision météo baptisé Silam, ne relèvent eux aucun niveau inhabituel de SO2 à Wuhan.

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