Cet article date de plus de quatre ans.

Coronavirus 2019-nCoV : comment l'OMS s'efforce de contenir l'"infodémie" qui entoure l'épidémie

L'OMS nomme ainsi la diffusion rapide de rumeurs et de fausses informations, en parallèle de la propagation du virus. L'organisation a entamé des discussions avec les principaux réseaux sociaux pour tenter d'endiguer ce flot.

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Une touriste chinoise portant un masque chirurgical, au Sri Lanka, le 28 janvier 2020. (DINUKA LIYANAWATTE / REUTERS)

Elles ne connaissent pas de frontières et se propagent à la vitesse de la lumière. Les rumeurs et fausses informations fleurissent depuis le début de l'épidémie de coronavirus 2019-nCoV. Au-delà de la riposte sanitaire internationale, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) veut ouvrir un nouveau front sur le terrain de la communication. "En plus d'une épidémie de maladies, il y a ce que nous appelons une 'infodémie' : la circulation de rumeurs et de fausses informations", a souligné Sylvie Briand, directrice de l'OMS pour la préparation aux risques infectieux mondiaux.

Main dans la main avec Facebook et Google

L'organisation mondiale affirme collaborer avec Google "pour faire en sorte que les personnes recherchant des informations sur le coronavirus voient les informations de l'OMS en tête de leurs résultats de recherche". "Les plateformes de médias sociaux comme Twitter, Facebook, Tencent et Tik Tok ont ​​également pris des mesures pour limiter la propagation de la désinformation", précise le directeur général de l'organisation, Tedros Adhanom Ghebreyesus. Les utilisateurs du réseau Pinterest ont déjà pu découvrir un message d'information, s'ils ont lancé une recherche sur le terme "coronavirus". Le réseau social avait déjà travaillé avec l'OMS sur le thème des vaccins, en août dernier, rappelle le New York Times (article payant, en anglais).

  (PINTEREST)

Les questions légitimes des populations trouvent parfois des réponses douteuses sur les réseaux sociaux, qui semblent toutefois plus disposés à agir sur les questions sanitaires que sur les intox politiques. Il y a deux ans, l'OMS a constitué une équipe chargée de jeter des ponts avec les principaux géants du web, afin de préparer de futures collaborations. Cette mission mobilise désormais une demi-douzaine de personnes au siège genevois de l'institution, précise le New York Times.

Les groupes Google, Twitter et Facebook ont confirmé cette coopération au journal, sans livrer davantage de détails, mais ces efforts communs ont des conséquences visibles. Ces différents services renvoient vers des sources d'information officielles, l'OMS ou le gouvernement, comme l'a vérifié franceinfo. De son côté, Facebook affirme mobiliser des moyens humains pour réduire la visibilité de certaines publications, voire les supprimer. Le réseau social a par exemple fait disparaître une infographie de l'OMS, détournée afin de laisser croire que le coronavirus se transmettait lors de relations sexuelles avec des animaux, explique le New York Times.

  (FRANCEINFO)

Démêler le vrai du faux, une tâche sans relâche

"Ce que nous avons remarqué, c'est que les gens ont trop d'informations", a par ailleurs estimé Sylvie Briand. Début février, plus de 40 000 articles avaient été publiés sur le coronavirus depuis le début de l'épidémie. L'OMS a donc lancé une campagne en ligne afin de démentir la prétendue efficacité de certains produits, parfois farfelus, pour soigner les malades (antibiotiques, huile de sésame, ail, fumée des feux d'artifice…). Les médias jouent eux aussi un rôle face à la propagation de fausses informations – franceinfo s'efforce d'ailleurs de démêler le vrai du faux parmi les rumeurs circulant en ligne.

Ce phénomène "infodémique" a plusieurs explications. "Le coronavirus est un processus classique qui permet la propagation de rumeurs incubées dans une atmosphère de peur et d'incertitude", analyse le sociologue néo-zélandais Robert Bartholomew, cité par l'AFP. Selon lui, les titres des médias sensationnalistes et la méfiance historique à l'égard du gouvernement chinois facilitent la propagation de rumeurs. "Pour beaucoup de gens, la principale source d'information sont les médias sociaux réputés pour véhiculer des histoires non vérifiées."

Reste à connaître l'ADN de ces rumeurs. La journaliste allemande Karolin Schwarz a étudié au microscope le génome des fausses informations liées au coronavirus 2019-nCoV. Elle a identifié trois grandes familles, explique la chaîne WDR (en allemand). La première :les modes supposés de transmission de la maladie, qui reposent sur des préjugés racistes concernant le mode de vie et les habitudes alimentaires des Chinois. Deuxième famille : les prétendus remèdes contre la maladie, comme manger de l'ail (c'est inutile) ou avaler des produits ménagers (c'est dangereux). Enfin, les origines imaginaires du coronavirus, qui naissent de complots qui consistent par exemple à faire croire que le virus a été breveté deux ans plus tôt.

Le risque de la censure

Cette journaliste indépendante ajoute que les théories du complot ne sont pas limités aux grandes plateformes, mais circulent aussi grâce aux services de messagerie privée, comme WhatsApp. Des échanges privés pour lesquels il est difficile – et peu souhaitable – de mettre en place des actions de contrôle ou d'information.

Face à la propagation de rumeurs, certains pays d'Asie allient le bâton à la carotte en adoptant une approche plus musclée : amendes, interpellations et poursuites judiciaires. A Hong Kong, par exemple, un gardien d'un centre commercial a été arrêté pour avoir écrit sur les réseaux sociaux que des membres du personnel, pris de fièvre, étaient en arrêt maladie. La police a estimé que ces messages avaient "provoqué la panique" et "nourri la paranoïa". Des histoires similaires ont été signalées en Thaïlande, en Inde, en Malaisie ou au Vietnam. L'agence de presse Bloomberg (en anglais) a dénombré une vingtaine d'arrestations dans six pays.

Cette lutte judiciaire contre l'"infodémie" présente déjà ses limites, lorsqu'elle sert ainsi à légitimer le recours à la censure. Sur ce point, l'histoire la plus cruelle est sans doute celle de l'ophtalmologue lanceur d'alerte Li Wenliang. Après avoir consulté le rapport médical d'un patient, ce médecin de Wuhan a évoqué la piste du Sras sur la messagerie WeChat, afin d'inviter ses collègues à prendre leurs précautions. Tous les participants à cette discussion ont été arrêtés le 1er janvier et Li Wenliang a dû présenter des excuses, après avoir été déclaré coupable d'avoir propagé "de fausses rumeurs en ligne". Réhabilité fin janvier par la Cour suprême chinoise et lui-même contaminé par le coronavirus, le médecin est mort, début février, à l'âge de 34 ans.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.