Coronavirus 2019-nCoV : on a passé au microscope les rumeurs qui se sont propagées sur les réseaux sociaux
Alors que l'épidémie du nouveau coronavirus apparu à Wuhan se poursuit, les fausses informations pullulent sur les réseaux sociaux. Franceinfo s'attaque à ces intox.
Un nouveau virus apparu dans une mégapole chinoise, tuant en quelques jours plus d'une centaine de personnes, en contaminant des milliers d'autres, se propageant à la surface du globe... et engendrant une prolifération de fausses informations. Dans le live de franceinfo, vous nous avez signalé ces nombreuses rumeurs circulant à propos de l'épidémie de coronavirus 2019-nCoV, que vous avez vues pulluler sur les réseaux sociaux. Nous les avons étudiées de près.
"Le virus se serait échappé d'un laboratoire de haute sécurité de Wuhan"
La région de Wuhan abrite un laboratoire épidémiologique de haute sécurité, entré en service en 2017. Ce site ultrasensible est classé P4 : cela signifie qu'il peut abriter les souches des virus les plus dangereux du monde. Ce bâtiment, que le correspondant en Chine de Sud Ouest a pu visiter, est le fruit d'une coopération entre la France et la Chine, initiée au début des années 2000. Sa construction a suscité des réticences car le monde du renseignement craignait qu'il ne serve à fabriquer des armes bactériologiques pour l'armée chinoise, rappelle Challenges (article payant).
Le coronavirus apparu à Wuhan pouvait-il se trouver dans ce laboratoire, y avoir été créé et s'en être échappé, comme l'affirme la rumeur ? Les experts interrogés par franceinfo assurent que non. "Le laboratoire P4 de Wuhan est encore en cours de mise en route, explique Bruno Hoen, directeur de la recherche médicale à l'Institut Pasteur. Il n'avait pas manipulé de coronavirus avant le début de l'épidémie." En outre, objecte Pierre Talbot, directeur du laboratoire de neuro-immunovirologie de l'Institut national de la recherche scientifique de Québec, "un laboratoire certifié de niveau de confinement P4 est conçu pour empêcher tout 'échappement'".
Astrid Vabret, cheffe du service de virologie du CHU de Caen, rejette aussi cette hypothèse. "Les bactéries, champignons et virus sont classés de 1 à 4 en fonction de leur degré de dangerosité. Leurs conditions de conservation, de manipulation et de transport découlent de ce classement, expose-t-elle. Or ce coronavirus est un agent de type 3, comme l'est le HIV. Ebola en revanche est classé 4."
Même en faisant l'hypothèse que ce virus ce soit échappé d'un laboratoire, il n'aurait aucune raison de se trouver dans un laboratoire P4, il aurait été dans un P3.
Astrid Vabretà franceinfo
Anne-Claude Crémieux, médecin spécialiste des maladies infectieuses à l'hôpital Saint-Louis de Paris, croit d'autant moins à cette théorie que les premiers cas sont apparus chez des personnes ayant fréquenté un marché de Wuhan où des animaux vivants étaient vendus. L'hypothèse d'une maladie transmise par les animaux est donc privilégiée, comme l'indique l'Institut Pasteur. "Le lien épidémiologique est tellement fort que cette hypothèse est tout à fait plausible et extrêmement convaincante, estime l'infectiologue. Cela s'est passé comme ça pour le Sras."
"Aujourd'hui, c'est grâce à ce laboratoire de Wuhan qu'on a toutes les données scientifiques sur le virus, notamment le code de son génome, qui permettent aux scientifiques du monde entier de travailler sur ce coronavirus", conclut Samira Fafi-Kremer, cheffe du service de virologie au CHU de Strasbourg.
"Le bilan réel de l'épidémie serait beaucoup plus lourd"
Sur les réseaux sociaux, une vidéo vue des centaines de milliers de fois circule. On y voit une femme, portant une tenue de protection intégrale, avec un masque et un écran couvrant son visage, s'exprimer en chinois. Elle dit parler depuis Wuhan, ce que franceinfo n'a pas réussi à confirmer. La traduction de ses propos fait débat. Certains internautes ont compris qu'elle affirmait que l'épidémie était responsable de 90 000 morts. D'autres ont entendu qu'elle annonçait le chiffre de 90 000 personnes infectées. Le bilan officiel des autorités chinoises serait-il sous-évalué ? Les experts interrogés par franceinfo sont sceptiques.
⚠️In her full protection gear, Dr. Jinnhui announced a grave warning to her friends and families⚠️
— Terrence Daniels (Captain Planet) (@Terrence_STR) January 25, 2020
"I am currently at the infected Hankou District in #Wuhan. So far, more than 90,000 people have been infected by #Coronavirus."
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#CoronaOutbreak #coronoavirus pic.twitter.com/eHcRBoZHJK
"Il y a deux chiffres à peu près justes : le nombre de cas confirmés, c'est-à-dire pour lesquels le diagnostic virologique est positif, et le nombre de décès", assure Bruno Hoen. En revanche, "il est assez vraisemblable que le nombre de personnes infectées soit très inférieur par rapport aux vraies infections survenues", explique le spécialiste. D'abord, parce que "tous les malades ne vont pas l'hôpital". Ensuite, parce qu'"il y a des formes asymptomatiques de la maladie", mais aussi parce qu'"il y a des formes peu sévères qui ne vont pas entraîner de consultation médicale". Par conséquent, "il peut y avoir une sous-estimation en temps réel", juge Anne-Claude Crémieux. Mais de toute façon, "le bilan d'une épidémie se fait à la fin, pas en cours de route", réplique Bruno Hoen.
>> Coronavirus : doit-on redouter un manque de transparence des autorités chinoises ?
"Les chiffres peuvent être sous-estimés, mais la sous-estimation n'est pas organisée", assure Bruno Hoen. "Il y a une volonté claire d'apparaître fiable sur le plan scientifique, comme sur celui de la santé publique", abonde Anne-Claude Crémieux, qui ajoute : "Les choses sont bien différentes par rapport à la crise du Sras." "Les autorités chinoises ont communiqué plus vite", confirme Bruno Hoen. En outre, "la Chine fait partie de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et applique le Règlement sanitaire international (RSI)", relève Astrid Vabret. Ainsi, poursuit Bruno Hoen, "le Centre chinois de contrôle et de prévention des maladies (CCDC) travaille selon des standards internationaux". Et, souligne Anne Claude Crémieux, "on voit bien les efforts faits pour éviter la diffusion du virus".
"Le coronavirus provoquerait des évanouissements soudains"
Au milieu de la rue, sur un parking, sur un trottoir, dans une file d'attente... Les vidéos de personnes évanouies ont été abondamment partagées et commentées sur les réseaux sociaux. Certains internautes affirment qu'elles ont été filmées en Chine, voire à Wuhan, et qu'elles montrent des victimes du coronavirus, ce que franceinfo n'est pas parvenu à confirmer. Là encore, les experts sont dubitatifs.
video from a Wuhan hospital,patient collapes on the ground.#WuhanPneumonia #wuhanpic.twitter.com/ogD2D2ZrJH
— 巴丢草 Badiucao (@badiucao) January 23, 2020
"L'évanouissement n'est pas du tout spécifique. On peut faire un malaise pour tout un tas de raisons", répond Anne-Claude Crémieux. "Est-ce une crise d'épilepsie ? Un malaise vagal ? Un accident vasculaire cérébral ?" énumère Astrid Vabret. "Tomber dans les pommes, ça peut arriver à tout le monde et dans le monde entier, par exemple parce qu'on est resté debout trop longtemps, c'est ce qu'on appelle de l'hypotension orthostatique", continue Samira Fafi-Kremer.
"Ce n'est pas un symptôme", assure Anne-Claude Crémieux. "Aucune manifestation clinique de cette nature n'a été rapportée dans les premiers cas étudiés", fait remarquer Bruno Hoen. "Les symptômes sont ceux d'une infection respiratoire, accompagnée de toux, de fièvre et parfois de diarrhée", liste Astrid Vabret. "Un virus respiratoire ne fait pas tomber les gens comme des mouches", tranche Samira Fafi-Kremer.
"Un vaccin aurait déjà été testé en Chine"
De la Chine aux Etats-Unis, en passant par l'Australie, la Russie ou la France, les gouvernements, hôpitaux, universités et laboratoires du monde entier se sont lancés dans une course contre la montre pour développer un vaccin contre le nouveau coronavirus. Mais à ce jour, "il n'y a pas de vaccin disponible", prévient Bruno Boen.
Un vaccin pour une utilisation sur l'homme à large échelle ne sera pas disponible avant plusieurs mois.
Bruno Hoenà franceinfo
"Il y a des développements vaccinaux sur des coronavirus, précise le spécialiste. Des projets de vaccins avaient été lancés pendant et après les épidémies de Sras et de MERS. Il y a des discussions en cours pour partir de ces travaux de recherche sur ces candidats vaccins et les réorienter vers ce coronavirus."
Mais le vaccin pourrait ne pas être nécessaire. L'épidémie de Sras avait en effet été stoppée avant même l'élaboration d'un antidote, fait remarquer Anne-Claude Crémieux. "Si cette épidémie prend de l'ampleur, si les 'mesures barrières' qui ont fait leur preuve contre le Sras ne sont plus efficaces, alors on aura besoin d'un vaccin", expose la spécialiste.
"Le virus serait transmissible par l'air"
Le 2019-nCoV est un virus respiratoire. Son mode de transmission est donc aérien et passe par les voies respiratoires. La maladie se transmet par les postillons, les éternuements, la toux... Mais il faut un "contact étroit" avec une personne malade pour être infecté en inhalant ces gouttelettes chargées de virus et projetées dan l'air.
"Il y a contact étroit pour une personne ayant partagé le même lieu de vie que la personne malade lorsque celle-ci présentait des symptômes (famille, même chambre d'hôpital ou d'internat) ou ayant eu un contact direct, en face à face, à moins de 1 mètre de la personne malade au moment d'une toux, d'un éternuement ou lors d'une discussion en l'absence de mesures de protection efficaces", détaille Santé publique France.
Le virus ne peut pas se répandre seul dans l'environnement, porté par le vent. "Le virus est trop fragile. Il se dégrade en quelques heures au contact de l'air", indique Anne Goffard, virologue au CHU de Lille et chercheuse à l'Institut Pasteur de Lille. "Les coronavirus survivent jusqu'à 3 heures dans le milieu extérieur, sur des surfaces inertes sèches", précise l'Institut Pasteur. "Le virus a besoin d'un hôte vivant pour se développer", conclut Astrid Vabret.
"Un produit devrait être largué par avion pour désinfecter Wuhan"
Une vidéo d'une énigmatique opération, présentée comme une "désinfection dans un quartier de Shanghai", a été partagée des dizaines de milliers de fois sur les réseaux sociaux. Ces images, que franceinfo n'a pas pu authentifier, attesteraient-elles qu'il est possible de lutter contre l'épidémie en sulfatant une ville entière de désinfectant ? Une fois de plus, les experts interrogés par franceinfo répondent par la négative.
Désinfection dans un quartier de Shanghai #coronavirus pic.twitter.com/WuuQpx28ne
— Zhulin Zhang (@ZhangZhulin) January 21, 2020
"Il n'y a aucune pertinence à imaginer une telle mesure, rétorque Bruno Hoen. Le virus n'est pas vivant dans l'environnement, mais dans l'organisme des sujets malades." "Désinfecter l'air extérieur ne sert à rien, approuve Anne-Claude Crémieux. Ce n'est pas en respirant l'air d'une ville, où il y a de nombreux cas de personnes contaminées qu'on s'infecte, c'est au 'contact étroit' de personnes malades. La seule façon de lutter contre une épidémie, c'est de rompre la chaîne de contamination entre humains, en isolant les malades."
"Le virus aurait été breveté il y a des années"
Sur Twitter, de très nombreux internautes affirment que le coronavirus 2019-nCoV a été breveté il y a des années par les Américains ou les Européens, certains messages renvoyant vers un brevet déposé aux Etats-Unis en 2015. Pour eux, l'épidémie serait donc d'origine humaine. Mais ces affirmations sont fausses.
Specification du brevet européen sur le coronavirus pic.twitter.com/p8u7o6sThU
— asto officiel (@officialasto) January 28, 2020
D'abord, il n'existe pas un mais plusieurs coronavirus. Celui apparu à Wuhan est le dernier membre de cette grande famille de virus a avoir été découvert. Avant lui, deux autres de ces "virus à couronnes" ont fait parler d'eux : le Sras (syndrome respiratoire aigu sévère) responsable de la mort de 774 personnes en 2003 et le MERS (Syndrome respiratoire du Moyen-Orient), qui a fait 458 morts entre 2012 et 2015.
Ensuite, le brevet mentionné par ces tweets concerne le virus de la bronchite infectieuse aviaire, un coronavirus affectant les volailles. Le coronavirus responsable de l'épidémie actuelle ne pouvait pas avoir été breveté en 2015 puisqu'il n'a été découvert qu'en 2020 à Wuhan. Breveter un virus à sa découverte sert à l'étudier sous une forme altérée, afin de pouvoir créer un vaccin.
"Un colis en provenance de Chine peut transmettre la maladie"
Sur le ton de l'humour ou plus sérieusement, de nombreux internautes se sont inquiétés de contracter la maladie en ouvrant leur colis en provenance de Chine. Le hashtag #AliExpress, en référence au géant chinois du commerce en ligne, a même été l'un des plus partagés.
>> Coronavirus : un colis venant de Chine peut-il transmettre la maladie ?
Le ministère de la Santé assure que "le risque d'être infecté par le [coronavirus] en touchant un objet importé de Chine est considéré comme extrêmement faible". Un avis partagé par les experts sollicités par franceinfo. Comme franceinfo l'a expliqué plus haut, un virus ne survit que quelques heures dans l'air.
"Une soupe à la chauve-souris est à l'origine de l'épidémie"
Des vidéos de soupes de chauves-souris ont été partagées et vues des millions de fois sur les réseaux sociaux depuis le début de l'épidémie. De nombreux internautes en ont conclu que la dégustation de ce mets surprenant par des Chinois à Wuhan expliquerait l'apparition de l'épidémie. Franceinfo n'est pas parvenu à déterminer où et quand ces vidéos avaient été tournées. Mais elles laissent les scientifiques circonspects.
这东西长得像不像死神躺在你碗里?之前看纪录片,蝙蝠生活在山洞里,就地排泄,山洞里积了厚厚一层粪便,粪便里生活着各种恶心的虫子…经历这次事件能让中国人彻底放弃吃野味吗? pic.twitter.com/6mNQmBWCpi
— 陈秋实(陳秋實) (@chenqiushi404) January 22, 2020
Les partisans de cette théorie ont été confortés par la lecture d'une étude publiée dans la revue de l'Académie chinoise des sciences. Les chercheurs chinois qui l'ont rédigée concluent de l'analyse génétique du coronavirus apparu à Wuhan qu'il est probable qu'il ait avec le Sras et les coronavirus similaires au Sras un ancêtre commun qui ressemble à un coronavirus identifié sur une chauve-souris. Par conséquent, il leur paraît logique de supposer que la chauve-souris soit l'animal "réservoir" du virus. Il s'agit donc d'une hypothèse de travail. Mais, prévient l'Institut Pasteur, "même si le 2019-nCoV est très proche d'un virus détecté chez une chauve-souris, l'animal à l'origine de la transmission à l'homme n'a pas encore été identifié avec certitude".
>> Coronavirus : la consommation de chauve-souris à Wuhan est-elle à l'origine de l'épidémie en Chine ?
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