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Confinement : "On sent que l’isolement et le manque d’interactions commencent vraiment à se faire sentir", témoigne une psychiatre hospitalière

Psychiatre à l’hôpital Saint-Antoine, Lucie Joly observe notamment un changement du profil des patients qu'elle prend en charge. Des patients angoissés ou en état de stress aigu. Une conséquence de la crise du coronavirus. 

Article rédigé par Gaële Joly
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Lucie Joly, psychiatre à l’hôpital Saint-Antoine, à Paris (APHP). (FRANCEINFO)

Lucie Joly, 32 ans, est psychiatre à l’hôpital Saint-Antoine, à Paris (APHP). Elle fait aussi des gardes aux urgences. Mobilisée depuis le début de la crise sanitaire due au coronavirus, elle s’inquiète de l’impact du confinement sur les Français. Elle sait que pour elle, le travail ne fait que commencer.

franceinfo : est-ce que le profil et les symptômes des patients qui arrivent en psychiatrie a changé avec le confinement ?

Lucie Joly : Avec l’annonce de la prolongation du confinement, décrété par Emmanuel Macron (lundi 13 avril), on s’attend clairement à une forte augmentation de l’activité en psychiatrie. Jusque-là, on avait une baisse d’activité de 40 à 50% aux urgences, avec principalement des patients psychotiques en décompensation délirante, amenés par la police ou les pompiers et nécessitant souvent des hospitalisations sous contrainte.

Mais depuis quelques jours, on a des patients qui viennent d’eux-mêmes, trop angoissés.

Lucie Joly, psychiatre

à franceinfo

Ils préfèrent venir aux urgences se confronter à la possibilité d’une contamination au Covid-19, plutôt que de rester chez eux. Et ça, c’est nouveau. Il y a aussi, ces derniers jours, beaucoup plus d’appels des autres services de médecine pour réclamer des avis psychiatriques, en particulier des états de stress aigu.

Avec les mesures de confinement, comment assurez-vous le suivi de vos patients habituels ?

Dans le service, on a dû s’adapter et réinventer une nouvelle psychiatrie, trouver des alternatives à des soins qu’on avait dû réduire ou arrêter, comme les sismothérapies (électrochocs), et transformer nos consultations en consultations téléphoniques. C’est vrai qu’une de nos spécificités chez les psychiatres, c’est la rencontre physique, en face à face, et ça enlève beaucoup d’efficacité dans la relation avec le médecin. 

Ça fait un mois que nos patients n’ont pas leurs soins habituels, sont confinés chez eux, certains ont arrêté leur traitement, ils ne supportent plus le confinement. On s’attend à ce que ça se dégrade.

Lucie Joly, psychiatre

à franceinfo

C’est compliqué aussi pour les patients hospitalisés dans le service, qui ne peuvent pas recevoir de visite de leurs proches, avoir de permissions pour sortir, ou simplement fumer une cigarette. Normalement, ils peuvent descendre dehors, mais avec les mesures barrières, on limite les sorties à trois fois dix minutes par jour.

Comment se passe vos gardes aux urgences ?

Je vois des patients pour des intoxications médicamenteuses volontaires. Des patients qui prennent plus d’anxiolytiques ou de somnifères pour mieux supporter le confinement, beaucoup ont des troubles du sommeil. J’ai vu aussi pas mal de patients alcoolisés, ou des personnes âgées isolées qui parlent de suicide à leurs voisins. On sent que l’isolement, le manque d’interactions commencent vraiment à se faire sentir.

Les patients viennent plus nombreux, ils demandent à être hospitalisés, ce qu’ils ne faisaient pas depuis le début du confinement le 17 mars dernier.

Lucie Joly, psychiatre

à franceinfo

Il faut savoir que le confinement crée de l’anxiété et ça peut aller jusqu’à de la dépression. Ce qui ressort aussi beaucoup du discours des patients que j’ai vus c’est l’angoisse de l’avenir, perdre son travail, ne pas pouvoir payer son loyer suite à la prolongation du confinement.

Quel est l'impact de cette crise sanitaire mondiale sur des personnes psychologiquement déjà fragiles ?

Ce matin, je suis rentrée de ma garde à pied, et ce que j’observe c’est que dans la rue, il y a beaucoup plus de patients psychotiques qui déambulent. Comme les centres médico-psychologiques sont fermés ou leur activité est fortement réduite, ils n'ont pas leurs soins habituels et commencent à se dégrader sur le plan psychique, ils parlent tout seuls, soliloquent.

Aux urgences, il y a de plus en plus de décompensations délirantes sur des thématiques de persécutions, de surveillance, de contamination.

Lucie Joly, psychiatre

à franceinfo

Les délires se nourrissent de la réalité. En plus, quand les urgentistes nous appellent pour venir évaluer un patient, on peut se retrouver en difficulté, en tant que psychiatre, parce qu'on doit se présenter à eux avec un masque, une surblouse et pour un patient délirant, persécuté ça crée encore plus de méfiance et de réticence.

Et les soignants, dans quel état d'esprit sont-ils aujourd'hui ?

Dans le ressenti des soignants, j’ai pu percevoir plusieurs phases. Au début il y avait une sorte d’exaltation d’être investi d’une mission, d’être un combattant face au Covid-19, puis une phase d’attente de la vague, et maintenant on ressent de la fatigue et de la tension, les soignants sont plus irrités, lassés de tout ça.

Quels conseils donnez-vous à vos patients pour mieux supporter le confinement ?

Les conseils que je donne aux patients pour bien vivre le confinement, c’est de maintenir des interactions sociales avec sa famille, ses amis, par internet. Il faut aussi structurer sa journée, se lever, se laver, s’habiller, ne pas se décaler et faire des repas à heure fixe, essayer d’avoir une activité sportive régulière via des tuto sur internet.

Il faut essayer de ne pas regarder le journal télévisé en boucle, et en cas d’anxiété essayer de faire de la méditation ou de la cohérence cardiaque.

Lucie Joly, psychiatre

à franceinfo

Un ensemble de conseils que vous pouvez d’ailleurs retrouver sur internet : "Conseil aux cerveaux confinés", réalisé par le docteur Stéphane Mouchabac et Florian Ferreri de notre service de psychiatrie à Saint-Antoine.

Comment voyez-vous les semaines, les mois à venir dans le secteur de la psychiatrie ?

On sait qu’après tout ça, il va y avoir beaucoup de choses à gérer, et notamment les deuils non faits. Les familles qui n’ont pas pu assister aux cérémonies, du fait de la rapidité des enterrements, des inhumations très encadrées. Impossible de voir le corps, pas de gestes tendres, donc c’est très difficile de faire son deuil.

Il y aura aussi la prise en charge des patients qui vont sortir de réanimation. Avec un syndrome de stress post-traumatique. Pour eux, c’est un vrai traumatisme car pendant le séjour, il y a de nombreux facteurs de stress, le manque de sommeil, la fatigue, l’intubation, la douleur, le bruit, la lumière. Et après le séjour en réanimation, les symptômes dépressifs sont fréquents.

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