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"Cette guerre est débile" : un rapport des pompiers sur l'épidémie de coronavirus met le feu aux poudres avec les urgentistes

La Fédération nationales des sapeurs-pompiers de France dresse un tableau très critique de la gestion de la crise sanitaire. Parmi ses griefs : l'absence de numéro unique d'urgence et la priorité accordée au Samu dans la gestion des appels téléphoniques.

Article rédigé par franceinfo
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Un sapeur-pompier dans un centre d'appels parisien, en janvier 2019. (PHILIPPE LOPEZ / AFP)

C'est le nouveau chapitre d'une longue querelle entre les pompiers et le Samu. Dans un rapport interne consulté par franceinfo, la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF) égratigne tour à tour le ministère de la Santé et les Agences régionales de santé (ARS) pour leur gestion de la crise du Covid-19. Mais le syndicat dénonce surtout le choix initial du gouvernement d'orienter vers le 15 les "appels des citoyens ayant un doute sur leur état de santé". Il accuse même le Samu d'avoir été débordé par l'ampleur de la tâche, alors que les services départementaux d'incendie et de secours (Sdis) auraient été mis de côté.

Selon la FNSPF, les autorités n'auraient donc pas suffisamment intégré les sapeurs-pompiers dans leur dispositif de crise. En conséquence, les "Samu d'Ile-de-France ont été submergés et n'ont plus répondu pendant un mois. Le 15 a montré son vrai visage : celui d'un numéro de renseignements, pas d'un numéro d'urgence !" Plus grave encore, le syndicat assure même que "des requérants non Covid en situation d'urgence vitale (arrêts cardiaques...) n'ont jamais eu de réponse du 15 à leurs appels et sont morts dans l'indifférence générale".

Une polémique "inutile"

"Si les gens n'avaient pas réussi à nous joindre, le standard des pompiers aurait explosé, la population aurait hurlé", leur a répondu François Braun, président du syndicat Samu-Urgences de France, et chef des urgences de l'hôpital de Metz-Thionville (Moselle), dans un entretien au Parisien. "C'est faux ! Je veux des preuves : qui ? quand ? comment ? Le registre des arrêts cardiaques en France montre que les chiffres sont les mêmes que l'an dernier. Non, il n'y a pas eu de perte de chance."

Les chiffres montrent qu'il n'y a pas eu plus d'appels au 18. Quand on aura ce rapport, on l'examinera de près. On ne s'interdit pas de porter plainte contre ces propos injurieux.

François Braun

dans "Le Parisien"

"On n'explique pas aux pompiers comment éteindre le feu à Notre-Dame", ajoute-t-il dans Le Parisien. Même réaction du côté d'Eric Revue, le chef des urgences de l'hôpital Lariboisière : "Cette attaque est dirigée plus sur les ARS avec un sentiment de frustration des pompiers d'avoir l'impression de ne pas avoir été impliqués dans le dispositif, ce qui est faux", a-t-il répondu sur BFMTV. "C'est complètement polémique et inutile." 

Tout en reconnaissant des constats "qui sont vrais sur la lourdeur administrative", Frédéric Valletoux, le président de la Fédération hospitalière de France (FHF), estime sur franceinfo que les propos consignés dans le rapport de la FNSPF sont "souvent très exagérés".

Il y a depuis toujours une guerre entre les blancs et les rouges, entre le 15 et le 18, pour essayer de prendre la main sur l'appel d'urgence.

Frédéric Valletoux

à franceinfo

Mais cette nouvelle passe d'armes s'inscrit dans un long débat autour des appels d'urgence. Aujourd'hui, il existe en effet de nombreux numéros d'urgence, comme le 18 pour les pompiers, le 15 pour le Samu, le 17 pour la police... Mais les pompiers estiment que leur prise en charge des appels est plus rapide, alors même que leurs missions recoupent parfois celles du Samu. "Nous sommes la variable d'ajustement", estimait l'an passé Olivier Richefou, président de la Conférence nationale des Sdis interrogé sur Europe 1. "Quand les autres acteurs ne peuvent pas intervenir, ils appuient sur le bouton rouge, parce que les pompiers répondent toujours au téléphone et partent toujours en intervention."

Le Samu recevait ainsi plus 29 millions d'appels sur l'année, selon un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l'Inspection générale de l'administration (IGA) remis en 2018. Les Sdis en recevaient 19 millions, dont 85% étaient liés à des missions de secours. Il s'agit "désormais [de] notre principale mission, [qui] n'est pas piloté par nous alors même que nous répondons plus vite et intervenons plus rapidement", résumait Patrick Hertgen, vice-président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, dans Le Journal du dimanche (article payant). Le chef du Samu de Paris, Pierre Carli, répondait que "la prise en charge des blessés et des malades, c'est une affaire de docteurs".

"Faites un 112"

Emmanuel Macron avait promis en 2017 de réformer le système, en soulignant la nécessité de mettre en place "une plateforme commune" pour "simplifier les choses". "L'interconnexion informatique est encore loin d'être généralisée", expliquait le rapport de 2018, même si le Samu et des Sdis ont réalisé des "avancées locales très intéressantes en matière d'interopérabilité, notamment dans le cas de certaines des plateformes communes". Dans un quart des départements, il n'y avait pas encore de ligne téléphonique dédiée "entre le CRRA-Centre 15 et le centre de traitement de l'alerte" du Samu.

La FNSPF, justement, promeut depuis de nombreuses années la mise en place du 112 comme numéro unique d'appel d'urgence. Du côté des urgentistes, on prône en effet la création d'un numéro 113 pour prendre en charge tous les appels liés à la santé, quand le 112 serait réservé à la sécurité et aux secours. Un numéro unique serait synonyme "de perte d'expertise et d'information" en raison de la polyvalence de la plateforme, non "centrée sur la santé", selon Agnès Ricard-Hibon, présidente de la Société française de médecine d'urgence (SFMU), interrogée en février par LCI. Avec le 113, des assistants de régulation médicale seraient au contraire chargés de détecter les cas urgents.

En attendant l'arbitrage, prévu au printemps mais reporté en raison de l'épidémie de coronavirus, plusieurs centres téléphoniques communs ont déjà été créés sur le territoire, mais les rivalités entre pompiers et urgentistes se poursuivent. Le ton employé par le syndicat des sapeurs-pompiers, lui, a fait encore monter la pression d'un cran. "La véritable guerre entre pompiers et Samu est totalement débile", a commenté de son côté Patrick Pelloux, président de l'Association des médecins urgentistes de France.

"On est au-delà de ces schémas partisans", estime pour sa part le vice-président de la FNSPF, Hugues Deregnaucourt. "Il ne faut pas avoir fait de grandes études pour comprendre que quand on fait tout acheminer par un numéro, le 15, vous avez des délais d'attente énormes", plaide-t-il sur franceinfo. "Alors vous faites un 112 comme d'autres pays européens, comme on le promeut au niveau de la FNSPF. On fait un numéro unique, on dispatche au bout de 30 secondes selon ce qui est urgent et pas urgent."

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