Cet article date de plus de six ans.

Les stéréotypes de genre nuisent à la santé des femmes… et des hommes

En matière de santé, femmes et hommes ne sont pas logés à la même enseigne. Le livre coécrit par Catherine Vidal et Muriel Salle "Femmes et santé, encore une affaire d’hommes ?" (Belin) se donne l’objectif de tordre le cou aux idées reçues, chez les soignants comme chez les patients, sur la santé des femmes et des hommes.

Article rédigé par The Conversation
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 22min
En santé, les inégalités entre les sexes relèvent des mêmes mécanismes que dans le reste de la société (photo d'illustration). (GILE MICHEL / SIPA)

Les différences entre les sexes dans la santé se retrouvent dans quasiment tous les champs de la médecine, au-delà du domaine de la reproduction : asthme, cancer, maladies des systèmes cardio-vasculaires et immunitaires, diabète, obésité, arthrose, ostéoporose, troubles mentaux, addiction, vieillissement, etc.

Mais les différences en question ne sont pas forcement d’origine biologique. Les codes sociaux de féminité (fragilité, sensibilité, expression verbale) et de masculinité (virilité, résistance au mal, prise de risque) influencent l’expression des symptômes, le rapport au corps, le recours aux soins de la part des patient·e·s. De même, chez les médecins et personnels soignants, les stéréotypes de genre influencent l’interprétation des signes cliniques et la prise en charge des pathologies. Le poids des représentations sociales est un facteur de risques et d’inégalités tant pour la santé des femmes que pour celle des hommes, comme en témoignent les exemples qui suivent.

Quand flanche le cœur des femmes

Les maladies cardiovasculaires sont la première cause de mortalité des femmes dans le monde, bien avant le cancer du sein qui occupe la dixième place. Les femmes sont plus vulnérables que les hommes aux maladies cardiovasculaires : 56 % en meurent, contre 46 % des hommes. Elles développent ces maladies en moyenne dix ans plus tard que les hommes.

La raison couramment invoquée tiendrait à la ménopause susceptible de favoriser l’hypertension, le diabète, l’hyperlipidémie, l’obésité et autres troubles métaboliques. La baisse des estrogènes qui survient alors a longtemps été considérée comme responsable de cette vulnérabilité accrue des femmes. Un traitement hormonal substitutif était souvent préconisé à titre préventif chez les femmes ménopausées. Or, des études statistiques sur de nombreuses populations ont montré au contraire une augmentation du nombre d’infarctus chez les femmes qui reçoivent un traitement hormonal substitutif.

Dans l’état actuel des recherches, le rôle spécifique des hormones sur les maladies cardio-vasculaires chez les femmes avant et après la ménopause ne fait pas consensus. Néanmoins l’explication hormonale, qui conforte une vision stéréotypée des différences femmes/hommes, reste très répandue chez les médecins et les chercheurs.

Quand symptômes et diagnostics sont biaisés

Les normes sociales et les stéréotypes liés au genre féminin ou masculin jouent sur l’attitude des patient·e·s et du corps médical. Ainsi, l’infarctus du myocarde reste sous-diagnostiqué chez les femmes, car considéré comme une maladie « masculine », caractéristique des hommes d’âge moyen stressés au travail. Une patiente qui se plaint d’oppression dans la poitrine se verra prescrire des anxiolytiques, alors qu’un homme sera orienté vers un cardiologue.

D’après une étude internationale sur 27 000 patient·e·s, le symptôme le plus courant chez les hommes (94 %) et les femmes (92 %) concerne les douleurs au niveau du thorax. Elles peuvent aussi présenter des signes cliniques « atypiques ». Elles se plaignent plus fréquemment de grande fatigue, de nausée et de douleurs à la mâchoire. Ces types de symptômes, pourtant fortement corrélés aux maladies cardio-vasculaires, sont rarement pris en compte par les praticien·ne·s.

Une étude du Centre de santé de l’Université McGill à Montréal (Canada) a révélé que les femmes qui arrivent aux urgences pour une suspicion d’infarctus sont moins vite prises en charge et diagnostiquées que les hommes. L’enquête menée sur plus de mille patient·e·s dans des hôpitaux du Canada, des États-Unis et de Suisse indique qu’en moyenne les femmes sont 29 % à passer un électroencéphalogramme en moins de 10 minutes, contre 38 % des hommes.

Les maladies cardio-vasculaires étant perçues comme masculines, les femmes sont sous-représentées dans les essais cliniques et les recherches biomédicales. Les enquêtes menées au niveau international et en France montrent que sur l’ensemble des protocoles de recherche clinique, seulement 33,5 % des participants sont des femmes. Cette sous-représentation est particulièrement visible dans les recherches sur les facteurs de risques d’hypercholestérolémie, d’ischémie et de crises cardiaques.

Les os des hommes… même pas durs

L’exemple en miroir de l’infarctus du myocarde est celui de l’ostéoporose. En Europe et aux États-Unis, les hommes sont sous-diagnostiqués pour cette pathologie. Or un tiers des fractures de la hanche chez les hommes est liée à l’ostéoporose. Les femmes ont certes un risque plus élevé de fracture, mais l’évolution médicale de l’ostéoporose chez les hommes est plus grave : une fracture de faible intensité chez une femme multiplie par deux le risque d’en faire une autre, alors que chez l’homme, le risque de refaire une facture est multiplié par trois.

L’ostéoporose a longtemps été considérée comme une maladie « des femmes » liée à la baisse des hormones à partir de la ménopause. Les traitements hormonaux de substitution n’ont pas donné les résultats escomptés (en particulier pour l’industrie pharmaceutique). Ils entraînent au contraire des effets secondaires délétères, avec un risque accru d’accidents cardiaques. Du coup les chercheur·e·s se sont intéressé·e·s à l’ostéoporose chez les hommes. Ce n’est qu’en 1997 que, dans les examens d’ostéodensitométrie, des normes de densité osseuse ont pu être définies spécifiquement pour les hommes. Auparavant, les normes en vigueur étaient celles établies chez des jeunes femmes blanches de 20-29 ans. Des efforts de formation des personnels de santé restent nécessaires.

L’ostéoporose n’est pas seulement liée à l’âge, elle dépend aussi des modes de vie, en particulier de l’exercice physique et de la nutrition. La minéralisation du squelette peut être défectueuse chez les jeunes filles qui font souvent moins de sport et de travaux physiques que les garçons. Les femmes chinoises qui travaillent tous les jours dans les champs ont des os plus robustes que les hommes qui échappent à ces travaux.

Quand on les pense douillettes

Les femmes souffrent plus fréquemment de douleurs chroniques : migraine, fibromyalgie, arthrite rhumatoïde, colon irritable. Ces différences n’existent pas chez les enfants et émergent à l’adolescence. Les recherches sur ces pathologies ont révélé l’implication de nombreux facteurs à la fois biologiques, psychologiques et sociaux. La perception, l’expression et la tolérance à la douleur diffèrent selon le sexe. Comparativement aux hommes, les femmes se plaignent davantage et décrivent des douleurs plus intenses et fréquentes. D’où vient cette différence face à la douleur ? La constitution biologique des femmes les rendrait-elle plus sensibles et vulnérables que les hommes ?

D’après une revue des recherches menées ces 10 dernières années sur les différences entre les sexes dans la sensibilité à la douleur, les résultats des expériences ne permettent pas de dégager de causes physiologiques qui fassent consensus. En particulier, l’hypothèse d’un rôle des oestrogènes dans la douleur n’est pas démontrée. Les mesures de la sensibilité douloureuse au cours du cycle menstruel ou lors de la prise de contraceptifs ou de traitement hormonal substitutif chez les femmes ménopausées donnent des résultats mitigés et contradictoires.

Des examens par IRM du cerveau n’ont pas non plus révélé de différences entre les sexes dans les circuits neuronaux qui traitent les informations douloureuses. Par contre, il existe un consensus scientifique sur le fait que ces différences sont en partie explicables par des facteurs culturels et sociaux.

Si ça fait mal, ça fait pas mâle…

Les représentations sociales liées au genre influencent le vécu et l’expression de la douleur. Les femmes, supposées vulnérables physiquement et psychologiquement, s’autorisent davantage à exprimer leurs émotions et leur douleur, à l’inverse des hommes censés être durs au mal et stoïques (« un garçon ne pleure pas »). L’intériorisation de ces stéréotypes se répercute sur le ressenti de la douleur de façon inconsciente. Par exemple chez des acteurs et actrices soumis à un test de douleur thermique, la tolérance à la douleur est meilleure après avoir joué un rôle de héros ou d’héroïne. À l’inverse, leur tolérance est moindre après un rôle d’âme sensible…

Le seuil de douleur est aussi influencé par le sexe de la personne qui mène l’expérience. Dans un test de douleur thermique, la tolérance est plus forte chez les hommes quand la personne en charge de l’expérience est une femme. Et si l’expérimentatrice est attractive sexuellement, le seuil de douleur est encore plus élevé ! Inversement, les femmes sont moins tolérantes si l’expérimentateur est un homme séduisant. Les vieux clichés de la femme fragile qui cherche la protection de l’homme et du mâle viril qui défie la douleur sont manifestement encore bien ancrés dans nos inconscients…

Quand les états d’âme sont genrés

Les normes de genre jouent un rôle important dans les troubles qui touchent à la vie psychique, comme la dépression. Le syndrome de dépression majeure touche deux fois plus les femmes que les hommes. On a longtemps pensé que la dépression des femmes était liée à leur constitution biologique qui les rendrait plus fragiles et plus vulnérables. Les recherches actuelles montrent que les troubles dépressifs résultent d’une intrication complexe entre des facteurs de tous ordres : biologique (gènes, hormones), psychologique, socio-culturel, hygiène de vie, etc.

Les codes sociaux féminins et masculins influencent l’expression des symptômes. Les signes classiques tels que tristesse, pleurs, anxiété, perte d’énergie, troubles du sommeil, fatigue, irritabilité, stress, sont fréquents chez les femmes. En revanche, les hommes présentent davantage d’autres types de symptômes : colère, agressivité, consommation d’alcool et de drogues, comportements à risque, hyperactivité. La faiblesse émotionnelle, signe de vulnérabilité, n’est pas socialement admise chez les hommes.

Pour eux, l’alternative est d’extérioriser leur souffrance psychique sous des formes qui satisfont aux critères de la virilité. Or beaucoup d’enquêtes sur la prévalence de la dépression ne considèrent que les symptômes classiques qui sont ceux exprimés majoritairement chez les femmes. En conséquence, la dépression est sous-diagnostiquée chez les hommes. Mais si les questionnaires des enquêtes incluent l’ensemble des symptômes exprimés par les femmes et les hommes, alors le pourcentage d’hommes présentant des troubles dépressifs est équivalent à celui des femmes, soit environ 30 %.

L’autisme sous-diagnostiqué chez les filles

L’autisme est un autre exemple de trouble influencé par les normes de genre. Les troubles autistiques sont en moyenne quatre fois plus fréquents chez les garçons que chez les filles. Les raisons de la différence de prévalence entre les sexes restent hypothétiques : origine génétique, trouble du développement du cerveau in utero, influences des hormones, de substances toxiques, environnement psychologique familial, etc.

Une théorie très médiatisée postule que le comportement autiste est l’expression d’un fonctionnement « extrême » du cerveau masculin sous l’effet de la testostérone pendant la vie fœtale. L’hormone aurait un effet masculinisant sur le cerveau des garçons, les rendant plus aptes à comprendre les systèmes complexes, les mathématiques, les sciences et des techniques. À l’inverse, chez les filles l’absence d’influence de la testostérone sur leur cerveau, les rendrait plus sociables, empathiques et attentives aux autres.

Dans cette logique, chez les autistes, le repli sur soi et les difficultés de communication, seraient l’expression d’un déficit des aptitudes cognitives à l’empathie, tandis que les capacités d’analyse des systèmes de type mathématiques serait exacerbée. On expliquerait ainsi la fréquence plus forte de l’autisme chez les garçons, et aussi des aptitudes de certains autistes pour les mathématiques. Mais les preuves expérimentales font cruellement défaut pour conforter cette théorie car le rôle de la testostérone n’est pas démontré. Les recherches se poursuivent…

Une piste pertinente pour expliquer la différence de prévalence entre les sexes dans l’autisme tient aux normes sociales liées au genre. Le retrait sur soi, le défaut d’interactions sociales sont considérés chez une petite fille comme de la réserve et de la timidité. Ces mêmes attitudes sont davantage interprétées comme un indice de trouble de communication chez les garçons, car en décalage avec les représentations sociales des comportements des garçons censées plus expansifs et dynamiques. En conséquence, l’autisme est sous-diagnostiqué chez les filles.

Dans une enquêté menée aux États-Unis sur un échantillon de 14 000 enfants présentant des troubles autistiques avérés, 18 % des filles avaient été détectées dès le plus jeune âge contre 37 % des garçons.

Éditions Belin

Nul ne conteste que les différences entre les sexes dans la santé soient le résultat d’une interaction complexe entre des facteurs biologiques, sociaux et culturel. Néanmoins, les normes sociales et les stéréotypées liées au genre font encore obstacle à la prise en charges efficace et équitable de pathologies graves telles que les maladies cardiovasculaires, l’ostéoporose ou la dépression.

The ConversationSensibiliser les soignants à la question du genre conduit à poser de meilleurs diagnostics et à prendre en charge les patients plus efficacement. Dans la recherche, la prise en compte de l’interaction entre sexe et genre permet de formuler de nouvelles hypothèses pour comprendre les pathologies et élaborer de meilleures stratégies de prévention et de traitement. L’information à donner aux patients est tout autant nécessaire pour la prévention des pathologies, pour le plus grand bénéfice de la santé des femmes et des hommes.

Catherine Vidal, neurobiologiste, membre du Comité d’éthique de l’Inserm, Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et Muriel Salle, Maîtresse de conférences en histoire, Université Claude Bernard Lyon 1

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.