La réforme de l'hospitalisation d'office est "sécuritaire et inapplicable", estime le psychiatre Mathieu Bellahsen
"Tout est centré sur la contrainte", nous a déclaré l"interne en psychiatrie, ancien président de l'AFFEP ( l'association nationale des internes en psychiatrie) et membre du collectif des 39 contre la nuit sécuritaire.
"C"est une perversion du système. Maintenant pour être soigné, il va falloir rentrer par la voie sécuritaire. Comment vont faire ceux qui demandent à être soignés ? Si c"est la contrainte qui prime, les volontaires vont passer en second plan. Une aberration", a-t-il lancé.
Une vision tempérée par Jean Canneva, Président de l'Unafam (Union Nationale des Amis et Familles de Malades psychiques). Défenseur de la votée en première lecture par l'Assemblée nationale, il plaide pour que les malades en demande de soins soient pris en charge de façon prioritaire et obligatoire, grâce à une "politique de secteur".
Pour lui, il est capital de protocoliser l"hospitalisation d"office et de ne pas avoir besoin de l"aval du malade. "Plus la personne est malade, moins elle veut se faire soigner alors il faut pouvoir l"hospitaliser contre son avis", nous a-t-il expliqué.
Pour Mathieu Bellahsen, les soins psychiatriques non consentis s"opposent à la relation thérapeutique qui nécessite écoute et discussion. Une conception tout à fait juste pour Jean Canneva. Mais ce dernier défend tout de même l"intervention contrainte, en prenant les exemples du Québec et de la Grande–Bretagne où les urgences psychiatriques sont prises en charge par un médecin dédié et où la thérapie sur le temps plus long terme est assurée par un autre. "Ca marche très bien là-bas", avance-t-il sans plus d"arguments.
Rapidité des soins contre progrès de la psychiatrie
Pour Jean Canneva, ce qui importe c"est la réactivité des soins, la prise en charge immédiate "parce qu"il peut être question de vie ou de mort, et que les gens veulent parfois se jeter par la fenêtre". "Quand on appelle les urgences pour un problème cardiaque, on a quelqu"un qui arrive dans le quart d"heure qui suit, pourquoi est-ce qu"on ne pourrait pas avoir la même chose en psychiatrie ?", se demande-t-il.
Sauf que pour Mathieu Bellahsen, avec de telles pratiques, les patients finissent presque systématiquement mis en chambre d"isolement et/ou attachés. "J"ai l"impression que la psychiatrie a fait un retour en arrière. On ne voyait plus ça depuis cinquante ans. Cette réforme est tout sauf un progrès."
Soins à domicile dans les déserts médicaux ?
Comment soigner des malades psychiques à domicile lorsqu"ils habitent à cent kilomètres du moindre psychiatre ? Là, se pose la question de la faisabilité, estime Mathieu Bellahsen qui n"a pas d"éléments de réponse. De son côté, Jean Canneva n"a pas de solution mais émet cette hypothèse : "on pourrait envoyer des médecins généralistes de la région. Il faudrait les rémunérer davantage. Il faudrait qu"ils soient disponibles pour les soins ambulatoires et pour les urgences". Mais M. Canneva occulte le débordement quotidien que connaissent les médecins généralistes des "déserts médicaux".
Pour Mathieu Bellahsen cette réforme est une autoroute pour la privatisation des soins psychiatriques. "Pour la première fois cette année, il y a plus de lits dans les établissements privés que dans le public", relève-t-il. "C"est une tendance qui va s"accroître, c"est une logique de saturation du public", poursuit-il. "Cela va profiter aux infirmières libérales voire même à des entreprises privées de soins à domicile. Tous les fantasmes sont possibles, on ne sait pas ce qu"il peut arriver."
Devant le juge pour les sorties d"essai, des tribunaux débordés
Depuis 2008 et le discours de Nicolas Sarkozy, les préfets sont plutôt frileux quant aux autorisations pour les sorties d"essai, relève Mathieu Bellahsen. Ils vont l"être davantage, d"après lui avec le projet de réforme.
Les avis pour les sorties passeront systématiquement devant un juge. "Nous avions demandé à ce que cela passe devant le juge uniquement en cas de désaccord entre le préfet et les médecins, mais au final ça sera le cas à chaque fois", constate Jean Canneva. "Les tribunaux sont déjà saturés, les temps de traitement sont interminables et là on va encore ajouter tout ça. Certains estiment que la réforme va leur donner 70.000 dossiers supplémentaires à traiter. Là encore, c"est inapplicable", tranche Mathieu Bellahsen.
Avec un exemple, il explique aussi pourquoi, l"idée est maladroite et inappropriée. "Pour aller vite dans les tribunaux, on prévoit de faire passer les audiences devant le juge par vidéo-audience, par webcam… Comment voulez-vous placer devant une caméra, face à quelqu"un qui va le juger, un malade qui souffre de paranoïa, un patient qui pense être constamment épié et espionné ? Ca n"a pas de sens."
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