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Reportage Une nuit aux urgences pédiatriques de l'hôpital Necker, où affluent les ados souffrant de troubles psychiatriques

Article rédigé par Florence Morel
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Selon Santé publique France, à la fin septembre 2021, près de 150 jeunes de moins de 15 ans ont été admis aux urgences pour des gestes suicidaires, contre une centaine à la même période en 2019. (ELLEN LOZON / FRANCEINFO)

Les urgences de cet hôpital parisien ont accueilli six jeunes atteints de troubles psychiatriques dans la nuit du 29 au 30 novembre. Autant de patients qui devraient être pris en charge par des services spécialisés, mais qui, faute de place, occupent les lits des urgences pédiatriques générales.

Allongée, les mains sur le ventre, Lena* peine à garder les yeux ouverts. Il est presque minuit, lundi 29 novembre. L'adolescente de 15 ans doit répondre aux questions de l'interne des urgences pédiatriques de l'hôpital Necker, dans le 15e arrondissement de Paris. Elle a avalé 24 comprimés d'anxiolytiques deux heures plus tôt. "Qu'est-ce qui t'a poussée à les prendre ?" s'enquiert la jeune médecin. "Je ne sais pas", murmure Lena. "Tu es triste ?" Elle détourne le regard. "Pas particulièrement. Je ressens plutôt de la colère et de la frustration."

Comme Lena, cinq autres mineurs ont franchi les portes vitrées des urgences pour des troubles psychiatriques, cette nuit-là. Au poste de soins, les médecins qui se répartissent les patients accueillent ces nouveaux arrivants comme ils peuvent. Outre ces six ados, les soignants prennent en charge des pathologies plus ordinaires. En pleine épidémie de bronchiolite, de nombreux nourrissons en détresse respiratoire nécessitent une hospitalisation de un à trois jours. Sans compter les enfants contaminés par des virus respiratoires, nombreux à l'automne.

"Il faut bien prendre en charge ces adolescents"

Dans ce contexte, accueillir des adolescents atteints de troubles psychiatriques, qui ont besoin d'une hospitalisation pouvant durer plusieurs semaines, complique la tâche du service. "On a déjà moins de lits parce qu'il manque des infirmières et les lits qui sont censés être disponibles ne le sont plus, parce qu'il faut bien prendre en charge ces adolescents", s'inquiète la professeure Hélène Chappuy, la cheffe du service qui n'était pas présente cette nuit-là. Pour recevoir ce flux de jeunes en détresse, certains soignants ont reçu une formation spécifique.

Cela fait plus d'un an que l'équipe de l'hôpital Necker prend en charge ces adolescents qui ont des idées noires. Certains arrivent après des "IMV", des intoxications médicamenteuses volontaires. "Avant la crise sanitaire, on en accueillait une à deux fois par semaine maximum. Désormais, on a plusieurs cas tous les jours", constate Julia Worcel. Présente dans le service depuis deux ans et demi, la médecin de garde est la plus ancienne du service.

Hélène Chappuy s'inquiète de "recevoir des tableaux psychiatriques plus sévères et qui touchent des adolescents plus jeunes et plus nombreux". Santé publique France a publié, le 22 novembre, des chiffres alarmants qui confirment cette observation : fin septembre 2021, près de 150 jeunes de moins de 15 ans ont été admis aux urgences pour des gestes suicidaires, contre une centaine à la même période en 2019.

Pendant ce temps, à l'accueil des urgences, le ton monte. Une vingtaine de parents patientent dans le hall. Certains se sont endormis, leur enfant sur le ventre. "Vous savez pour combien de temps il y en a ?" s'enquiert une mère. "Je suis arrivée à 18 heures ! rugit une autre. Si ma fille ne fait pas partie des cas urgents, il faut nous le dire ! Il faut nous libérer !" Il est plus de 2 heures du matin. "C'est l'heure où ça commence à devenir compliqué", explique Achraf, aide-soignant de 41 ans, dont dix dans le service. A ses côtés, Marion, 28 ans, auxiliaire de puériculture. "On ne peut pas vous répondre, expliquent-ils d'une voix douce aux parents. Cela change tout le temps en fonction des arrivées." Et des urgences à traiter en priorité.

"On est menacés presque quotidiennement"

A chaque nouvelle arrivée, une infirmière ausculte d'abord les malades, avant qu'ils passent devant le médecin, qui les classe par ordre de priorité selon un code couleur. Les patients "verts" sont, si les parents donnent leur accord, redirigés vers un pédiatre de ville présent dans les locaux de 19 heures à minuit. Les autres, les cas plus graves, sont pris en charge par un médecin ou un interne du service. Théoriquement, les patients "jaunes" doivent être pris en charge en moins d'une heure. Ceux classés dans le dossier orange en moins de 20 minutes. Ce soir-là, aucun des patients "orange" n'aura été pris en charge aussi vite. "Les bébés de moins de trois mois sont prioritaires, on les classe systématiquement en orange, car une simple fièvre peut être symptomatique d'une méningite bactérienne, d'une infection urinaire, explique Julia Worcel. Et puis, ils sont tellement fragiles qu'il faut les retirer du nid à microbes", la salle d'attente.

Deux agents de sécurité sont présents en continu aux urgences. Ils ont été installés à la rentrée 2020. Parfois, leur simple présence suffit à faire descendre la tension. Pas toujours. "On est menacés presque quotidiennement, déplore Achraf. La semaine dernière, je me suis fait filmer par un papa parce que je rappelais qu'il ne fallait qu'un seul parent dans la salle d'attente" à cause du contexte sanitaire.

Agressions verbales, parfois physiques, attentes qui s'éternisent… Les aides-soignants sont en première ligne. Les infirmières sont exténuées. Le turn-over est important. Dans ce service, ils restent en moyenne deux ans et demi. Malgré le recrutement de dix médecins, les effectifs médicaux ne sont toujours pas au complet. "C'était moins compliqué en 2018 et en 2019", assure Sylvie Hagnéré, cadre de santé à l'hôpital Necker.

"On a beaucoup sollicité les aides-soignants et les infirmiers ces derniers mois, notamment avec les heures supplémentaires majorées, ce qui a permis de suppléer rapidement les absences. Mais on a de plus en plus de mal à les remplacer."

Sylvie Hagnéré, cadre de santé à l'hôpital Necker

à franceinfo

Au poste de soins, la jeune interne revient de sa consultation avec Lena. Elle se dirige vers une autre interne, une "ancienne", présente depuis seulement deux ans dans le service.

"L'adolescente qui a pris des médicaments… Elle n'a pas vraiment fait de tentative de suicide… remarque-t-elle, prise d'un léger doute.

– Elle a pris combien de cachets déjà ? s'inquiète sa collègue.

– Vingt-quatre, mais bon, elle dit qu'elle n'a pas d'idées noires et que ça va.

– Mouais… C'est presque ça qui est le plus choquant, si tu veux mon avis."

Les deux internes marquent une pause. "C'est quand même dommage qu'il n'y ait pas de pédopsychiatre." Julia Worcel, une des médecins "senior" qui supervise les décisions des internes, choisit de garder Lena en observation au moins pour la nuit. La prise excessive d'anxiolytiques peut ralentir dangereusement son rythme cardiaque et endommager ses reins et son foie. Impossible de la laisser repartir. L'interne prescrit un électrocardiogramme et des analyses sanguines.

Au même moment, une nouvelle adolescente de 15 ans remplit sa fiche d'admission à l'accueil. Elle a fait une "TS", une tentative de suicide. "On avait dit qu'on se limitait à cinq patients psys", rappelle une interne. "Mais on ne peut pas les laisser rentrer chez eux", rétorque Julia Worcel. Elle dégaine son téléphone. Sa mission : trouver un lit disponible pour la nouvelle arrivante.

"Il faut la mettre à l'abri. Je ne sais pas comment, mais il va falloir le faire."

Julia Worcel, pédiatre à l'hôpital Necker

à franceinfo

Faute de lits en pédopsychiatrie, les urgences pédiatriques générales accueillent tant bien que mal ces adolescents. "Mais ce n'est pas prévu pour, souligne Hélène Chappuy. Ce qui amène à des accidents ou à des défenestrations au sein des services d'hospitalisation, parce qu'il n'y a pas assez d'infirmières et qu'on n'a pas les moyens de sécuriser l'environnement." Comprendre : supprimer les objets dangereux pour éviter les pendaisons ou installer les patients dans des chambres aux fenêtres équipées de barres de sécurité.

"On essaie de recréer les chambres blanches" des services psychiatriques, "mais c'est impossible", explique une infirmière du service. Ces pièces doivent pouvoir être verrouillées de l'extérieur et sont aménagées du strict minimum pour éviter que les patients ne se mettent en danger. "On fait le maximum pour passer régulièrement les voir, on retire les portables et on demande aux parents de s'en aller pour éviter que ça ne les perturbe." Finalement, quatre adolescents restent hospitalisés aux urgences ce soir-là. Julia Worcel a réussi à en transférer deux dans d'autres services.

"Rien de ce qui s'est passé ce soir n'est normal"

"Désolé, je vois bien que vous êtes débordés, mais vous savez pour combien de temps il y en a ?" Dans la salle d'attente, face à Marion et Achraf, chaque nouvelle entrée est une urgence "orange". Un bébé d'à peine 15 jours. Un autre de moins de 3 mois. Ils ont tous les deux de la fièvre. L'attente va encore s'étirer pour Yoan*, 4 ans et demi, fiévreux lui aussi. Il a vomi à plusieurs reprises et il est gêné pour respirer. "En fait, il est arrivé presque en même temps que nous", souffle Marion en regardant le père de Yoan. Il est 4 heures du matin et cela fait sept heures que l'homme somnole à l'entrée de la salle d'attente. Il retourne à sa place. Sur l'ordinateur, son fichier est cerclé de jaune.

Quand Yoan et son père quittent Necker, il est presque 6 heures. Yoan a une pneumopathie, qu'il faudra soigner avec un traitement antibiotique à domicile. Lui qui était ronchon et fatigué, sourit à l'idée de retrouver "Doudou, son léopard en peluche qui l'attend dans son lit", plaisante son père.

Au poste de soins, où traînent chips et bonbons, les internes et la médecin font le bilan de la nuit. Les internes terminent leur garde de 24 heures. Celle des médecins a duré 14 heures. En tout, 100 patients ont été accueillis, et même si aucune d'entre elles n'a eu le temps de manger, la nuit s'est "bien passée". "On sait que ça peut être pire, confie Julia Worcel, mais rien de ce qui s'est passé ce soir n'est normal : un patient a attendu pendant 9 heures aux urgences et la médecin de permanence, qui devait quitter son poste à 0h30, est partie deux heures plus tard. Deux heures offertes, comme ça, cadeau, parce qu'elle ne se voyait pas me laisser seule avec autant de patients."

Parmi les internes présentes, l'une n'est plus sûre de vouloir poursuivre sa carrière d'urgentiste. "Les urgences, c'est un rêve qui s'effondre", souffle-t-elle, fatiguée. Quelques heures plus tôt, dans le box où était prise en charge Lena, quand la mère de l'adolescente a quitté la salle, la jeune médecin lui a demandé ce qu'elle voulait faire plus tard. "Médecine." Après plus de 15 heures de garde, la praticienne a esquissé un sourire encourageant : "C'est crevant, mais ça vaut le coup."

*Les prénoms ont été modifiés pour respecter l'anonymat des patients.

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