Congélation d'ovocytes : un espoir à relativiser...
On a beaucoup parlé de l’ouverture de la PMA à toutes les femmes, mesure phare de la loi de bioéthique, et l’autorisation de congeler ses ovocytes pour toutes les femmes est passée un peu inaperçue.
La congélation des ovocytes, ou autoconservation de gamètes, ou encore vitrification ovocytaire, est le fait de prélever et de conserver ses ovocytes, c’est-à-dire ce qui évoluera en ovule, pour une grossesse future. Grâce à une technique aujourd’hui très efficace, on fige les ovocytes dans le temps.
Aujourd’hui en France, la congélation des ovocytes n’est autorisée que dans des cas très précis :
- Pour des raisons médicales. Par exemple, en cas de maladie comme l’endométriose, ou en cas de traitement qui peuvent altérer la fertilité, comme la chimiothérapie, la radiothérapie pour traiter un cancer.
- Dans le cas du don d’ovocytes. Les donneuses peuvent garder pour elles une partie de leurs ovocytes congelés, sous certaines conditions.
Que prévoit le projet de loi adopté par l’Assemblée nationale ?
Le projet de loi qui a été adopté prévoit que toutes les femmes pourront conserver leurs ovocytes si elles le souhaitent mais de façon très encadrée.
Par exemple :
- Il faudra un consentement écrit, chaque année, pour poursuivre la conservation.
- Seuls les établissements de santé autorisés pourront procéder au prélèvement, au recueil et à la conservation des gamètes.
- Des limites d’âge, minimal et maximal, feront l’objet d’un décret.
- La question du remboursement est encore en discussion mais l’employeur ne pourra pas prendre en charge la conservation. En 2014, les entreprises américaines Facebook, Google et Apple avaient défrayé la chronique en annonçant qu’elles allaient financer la congélation des ovocytes de leurs salariées. En couverture de Bloomberg Businessweek, on pouvait lire : "Congelez vos œufs, libérez votre carrière".
En France, cette annonce avait été vivement critiquée. Avec l’idée que ça allait pousser les salariées à retarder la maternité pour privilégier leur carrière et travailler plus. C’était vu comme une ingérence du milieu professionnel dans la vie personnelle.
Autoconservation des ovocytes pour toutes, une bonne nouvelle ?
C’est une très bonne nouvelle pour les femmes car ça répond à une évolution sociétale. En France, l’âge moyen de la première grossesse est de 28,5 ans en 2015, contre 24 ans en 1974.
Pour tout un tas de raisons :
- La durée des études s’allonge donc on rentre plus tard dans la vie active.
- Les femmes ont une vie professionnelle, une carrière.
- Elles veulent une stabilité financière.
- Il y a de plus en plus de deuxième union, qui s’accompagne souvent d’un désir d’enfant, à un âge qui peut être avancé.
- Le célibat est aussi une cause.
- Parfois on est en couple mais le désir d’enfant n’arrive pas au même moment dans le couple.
Tout cela fait que les femmes font des enfants plus tard. On le sait la fertilité baisse avec l’âge, elle baisse de façon significative après 35 ans et considérablement après 38-40 ans. C’est la fameuse horloge biologique.
La congélation des ovocytes possible pour toutes les femmes permet d’avoir un peu de répit, de se détendre face à cette pression de l’horloge biologique. Cela rassure les femmes qui souhaiteraient réaliser un projet parental plus tard. C’est pour ça qu’on parle de congélation d’ovocytes "sociétale".
Les femmes n’ont pas attendu ce projet de loi pour congeler leurs ovocytes
C’est en effet déjà une réalité.
- Depuis quelques années, des Françaises, de plus en plus nombreuses, vont congeler leurs ovocytes à l’étranger dans des pays où c’est autorisé, comme l’Espagne. Le profil type c’est une femme autour de 35 ans, diplômée, célibataire et sans enfant.
- Certains médecins, en France, prescrivent les traitements, les examens, pour une congélation qui aura lieu à l’étranger. Ce qui n’est pas légal.
- Il y a aussi des gynécologues qui font carrément le prélèvement et la congélation en France, pour des patientes qui n’entrent pas dans les cas où c’est normalement autorisé, ce qui est interdit.
Ces gynécologues le font, par militantisme. Ils jugent la loi actuelle obsolète. Pour eux, il faut mettre fin à une certaine hypocrisie. Légaliser la congélation des ovocytes pour toutes, ça permettrait de mieux suivre les patientes.
Afflux considérable de patientes dans les services ?
Autoriser la congélation des ovocytes c’est une très bonne nouvelle pour les femmes et on pourrait penser que cela risque de créer une arrivée massive de ces femmes mais rien n’est moins sûr.
- Il faut savoir que c’est quand même très lourd de congeler ses ovocytes. Ce n’est pas une partie de plaisir. Il faut d’abord stimuler les ovaires avec un traitement hormonal, c’est-à-dire des injections quotidiennes pendant une douzaine de jours, il y a des échographies de contrôle, des prises de sang tous les 2 jours, et enfin la ponction d’ovocytes sous anesthésie locale ou générale. L’idéal c’est de prélever entre 15 et 20 ovocytes. Il faut souvent plusieurs ponctions, donc ce n’est pas évident de se lancer dans ce parcours parce que : "Peut-être un jour j’en aurai besoin".
- Il y a un décalage entre l’âge où il faudrait congeler ses ovocytes c’est-à-dire idéalement avant 30 ans, et l’âge auquel on réfléchit à la congélation d’ovocytes, plutôt après 35 ans. Quand on est jeune, à 25 ans, on ne pense pas forcément aux enfants et on ne se dit pas :
"Et si je congelais mes ovocytes parce que peut-être que 10 ans je serai célibataire ou que je vais galérer pour avoir un enfant" ! Pourtant, c’est là que ce serait le moment idéal pour l’autoconservation.
Ne pas congeler ses ovocytes trop tard
Plus on congèle ses ovocytes tard, plus les chances d’aboutir à une grossesse sont minces. Pour les trentenaires qui se réjouissent de ce projet de loi, il faut savoir que le stock d’ovocytes d’une femme est entièrement constitué dès la naissance. Tout au long de la vie, le stock se réduit et les ovocytes vieillissent et sont de moins bonne qualité. Effectivement, plus la congélation a lieu tard, plus les chances d’arriver à une grossesse avec les ovocytes congelés sont faibles.
Même si on le fait tôt, congeler ses ovocytes n’est pas une garantie d’avoir des enfants, ce n’est pas une solution miracle. Il ne faut pas attendre trop longtemps pour les utiliser en se disant "J’ai congelé mes ovocytes tôt, je suis tranquille" parce qu’il y a aussi toutes les difficultés liées à une grossesse tardive, plus de risques de fausse couche, de prématurité…
Adapter la loi aux évolutions sociétales, c’est une très bonne chose mais il faudra que les professionnels de santé fassent preuve de beaucoup de pédagogie pour bien informer tôt les femmes sinon il risque d’y avoir beaucoup de déceptions. Informer aussi les hommes, car si eux ont plus le temps, qu’ils prennent au moins conscience que les femmes elles, ne l’ont pas ce temps-là !
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