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Pollution minière : les habitants vivant à proximité de milliers de sites s'inquiètent face à un possible scandale sanitaire

Publié Mis à jour
Article rédigé par franceinfo - Isabelle Souquet
Radio France

En France, des milliers d'anciens sites miniers pollués aux métaux lourds inquiètent les habitants alentour, parfois atteints de graves maladies. Quelles responsabilités ? Quelles solutions ?

L'ancienne plus grande mine d’or d’Europe à Salsigne (Aude), petite ville de 500 habitants à 15 kilomètres de Carcassonne, semble inoffensive. Pourtant, cette ancienne vallée est devenue une colline de déchets. "C'est une fausse colline de 10 millions de tonnes de déchets, dont 5 % extrêmement toxiques au cyanure, à l'arsenic, au cadmium", décrit Fréderic Ogé, chercheur au CNRS et riverain de la ville. "De l’autre côté, 800 000 tonnes de déchets toxiques dont 15 % à 20 % donnent une résurgence orangée à 5 km, avec 400 fois la dose admissible d’arsenic qui repart dans la nature", poursuit-il.

À Saint-Félix-de-Pallières (Gard), les habitants ont découvert très tardivement la pollution des anciennes mines de plomb et de zinc. Michel Bourgeat y a vécu 40 ans sans que rien ne l’alerte, pas même le ruisseau de Paleyrolles devenu orange. "Pour les gens, c'était ferrugineux. La population ne savait pas, mais l'État et l'exploitant savaient que des tonnes d'arsenic se jetaient dans les ruisseaux", accuse-t-il.

Pour Michel Bourgeat, riverain de Saint-Félix-de-Pallières (Gard), aujourd'hui atteint d'un cancer, "l'État et l'exploitant savaient que des tonnes d'arsenic se jetaient dans les ruisseaux". (ISABELLE SOUQUET / RADIO FRANCE)

Une augmentation des maladies graves et des cancers

Manuel Gomes, lui aussi riverain de l'ancienne mine de Saint-Félix-de-Pallières, ignorait aussi que sa maison était un ancien bâtiment minier où les minéraux étaient broyés. Tout autour, sans qu’il ne le sache non plus, des tas de déchets étaient chargés de métaux lourds. Il a fallu attendre des analyses de surveillance, en 2012, pour que les habitants apprennent le danger. "On m'a dit que j'avais le record quasiment mondial en plomb sur le site : 432 000 mg de plomb par kilo de résidus au-dessus de ma maison", se souvient-il. Sa femme "a le même taux de plomb dans le sang depuis trois ans", et tout l'entourage de Michel Bourgeat est malade. 

Mon épouse a eu deux cancers, ma fille vient d'en avoir un autre, moi-même je suis atteint. Toutes mes chiennes ont eu des cancers des mamelles. On approche des 100 % !

Michel Bourgeat riverain de l'ancienne mine de Saint-Félix-de-Pallières

à franceinfo

Pourtant jusqu'ici, les autorités sanitaires ne font pas de lien direct 

Officiellement, aucune causalité n'a été établie entre cette pollution aux métaux lourds et l'augmentation de cancers. Aujourd'hui à la retraite, le docteur François Simon a effectué toute sa carrière de médecin généraliste dans la région. "En 2015, le dépistage réalisé par l’Agence Régionale de Santé (ARS) concernait 675 volontaires. On s'est aperçu qu'il y avait une imprégnation de la population : 23 % des gens ont présenté des chiffres au-delà des références nationales concernant l'arsenic, et 14 % au-dessus des références nationales concernant le cadmium", explique-t-il.

Manuel Gomes, riverain de Saint-Félix-de-Pallières (Gard) : "On m'a dit que j'avais le record quasiment mondial en plomb sur le site : 432 000 mg de plomb par kilo de résidus au-dessus de ma maison". (ISABELLE SOUQUET / RADIO FRANCE)

L’ARS parle "d’imprégnation" mais pas encore de "contamination directe". Le rapport laisse en effet pour l’instant la question en suspens. "Cette étude ne permettra pas de préciser, pour chaque personne, l’origine de l’arsenic et du cadmium éventuellement détecté dans ses urines ni de celle du plomb détecté dans le sang. Cette étude ne permettra pas non plus de prédire pour chacun les effets sur la santé du niveau d’arsenic éventuellement mesuré dans ses urines, les connaissances scientifiques actuelles étant insuffisantes", souligne le texte.

Annie Thébaud-Mony, chercheuse à l'Inserm, spécialisée dans les questions de santé publique, connue pour avoir été lanceuse d’alerte dans le dossier de l’amiante est très affirmative. Selon elle, "les pouvoirs publics s'abritent derrière une notion éminemment qualitative". 

Ce mot de risque négligeable, je ne peux plus l'entendre. L'amiante, le plomb, l'arsenic, même à très faibles doses, sont des toxiques absolument redoutables.

Annie Thébaud-Mony, chercheuse à l'Inserm et lanceuse d'alerte

à franceinfo

André Picot, toxicochimiste, n’a lui non plus pas de doute sur les risques. "L'arsenic est un polluant majeur de l’eau qui amène des cancers de la peau, des cancers internes, des fosses nasales, des poumons, du foie. Il peut y avoir une diminution des défenses immunitaires. Un autre élément très inquiétant : le cadmium, surtout pour les enfants qui ont des reins immatures", affirme le scientifique.

Eau polluée en contrebas de l'ancienne mine de Salsigne. (ISABELLE SOUQUET / RADIO FRANCE)

Des rapports alarmants

Parallèlement à ces chercheurs indépendants convaincus, des rapports officiels font des constats qui vont dans le même sens. En 2004, l'expert technique indépendant Geoderis a été missionné par la Direction régionale de l’industrie de la recherche et de l’environnement (DRIRE) pour faire des prélèvements dans le sol des sites pollués autour de Saint-Félix-de-Pallières. Les conclusions du rapport sont sans appel. "Le résultat global est alarmant puisque pour toutes les analyses effectuées, au moins une substance présente potentiellement des risques en cas d’ingestion et dans 80% des cas, au moins une substance présente un risque maximum, il s’agit toujours soit du plomb, soit de l’arsenic", est-il écrit.

Mais les pouvoirs publics ne se sont pas saisis de ce rapport pour lancer une étude plus vaste et prendre véritablement la mesure du danger. La chercheuse Annie Thébaud-Mony a eu beau lancer l’alerte, elle pense qu’il y a un déni "organisé" de ce danger. "Nous avions demandé un registre de cancers qui aurait permis de mieux circonscrire les victimes de cancer, mais la santé publique n'a pas donné suite à ces propositions. Elles auraient permis de ne pas laisser le moindre doute. Cette organisation du déni est aux bénéfices des industriels et des employeurs", dénonce-t-elle.

Le combat arrive sur le terrain judiciaire 

Pour sortir de ce silence, des associations se sont montées partout en France. A Salsigne, les Gratte Papiers se battent pour obtenir des documents. Ils les volent, les "grattent" dans les mairies, les collectivités locales, les préfectures. "Il y a toujours un refus du Conseil général. Nous sommes allés au tribunal administratif, et nous avons enfin pu accéder à ses documents", raconte le président de l'association, François Espuche. "Le Conseil général n'est pas si bon que cela. Ils nous ont donné une copie qui comportait une version Word, donc on a pu remonter toute la construction du rapport. Tous les inconvénients avaient été supprimés. Ce mensonge n'a pas été supporté par la population et on a tout dévoilé", poursuit-il. Résultat, petit à petit, l'association se fait connaître et de plus en plus de personnes lui apportent leur aide, parfois discrètement.

Après ce combat pour l’information, le combat judiciaire. Selon les associations, il s'agit du seul moyen de se faire entendre. Les plaintes au pénal contre X pour mise en danger de la vie d'autrui, atteinte à l’intégrité physique, tromperie, arrivent de partout. L’avocate des habitants de Saint-Félix-de-Pallières, Maître Bertella Geffroy, connaît bien ces dossiers. Avec la pollution des mines, elle s'est confrontée aux lenteurs de l’Etat. 

Dans ma plainte, j'ai souligné l’inaction de l’Etat. Les personnes qui déposent plainte veulent la vérité. Pourquoi de telles négligences ? Dans ce type de dossier, tout a été caché. Je parle d’omerta à tous les niveaux, local, régional et national

Maître Bertella Geffroy, avocate des habitants de Saint-Félix-de-Pallières

à franceinfo 

Ces procédures peuvent ouvrir sur des demandes d’indemnisation, qui permettraient aux victimes de quitter ces lieux pollués pour aller vivre dans un milieu sain.

Nouveau code minier : "Ils peuvent affirmer que la mine sera propre, on n’y croit pas !"

Parallèlement, des projets industriels de réouverture de mines se font entendre. L'enjeu économique est important, les courbes de l’or et des "terres rares" ont remonté. L’industrie et les nouvelles technologies sont très gourmandes de ces métaux spécifiques et la France voudrait se débarrasser de la suprématie de la Chine qui domine le marché de ces métaux pour la haute technologie.

Pour l’instant, aucune décision de réouverture n’a été prise mais plus de 80 demandes de permis de recherche ont été déposées en métropole et en Guyane. Un texte pour encadrer l’exploitation des éventuelles futures mines est en cours d'étude entre l’Assemblée et le Sénat. Il s'agit d'un nouveau "code minier". Mais ce texte ne concerne pas ce qui s’est passé auparavant. Pour Jean-Paul Chanteguet, le député rapporteur du texte, ce projet va toutefois dans le bon sens. "Nous ne réglons pas tous les problèmes, mais nous progressons. Nous indiquons que les activités minières relèvent du principe pollueur/payeur. C'est un progrès non négligeable. L’Etat, à partir du moment où il n’y a plus d’exploitant et plus d’entreprise, doit assumer ses responsabilités", asssure-t-il. 

Du côté des riverains, cette éventualité fait bondir. "Ils peuvent affirmer que la mine sera propre, on n’y croit pas. Ce discours a toujours été le même : tout était nickel, mais ce n'était pas vrai. Comment faire confiance aux décideurs ? Ils ne sont même pas capables de gérer l’après-mine !" s'insurge Jean-Louis Tessier, président de l’association Terres d’Orbiel, une association de riverains de Salsigne. Les habitants ont compris que le seul barrage à la réouverture était leur mobilisation. De plus en plus de manifestations fleurissent, par exemple au Pays Basque contre la réouverture d’une mine d’or à Espelette, ou en Ariège, à Couflens et Salau, contre la reprise d’une exploitation de tungstène, mais aussi en Bretagne, dans le Limousin, et encore beaucoup d'autres.

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