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"Le XXIe siècle doit être celui où l'on met fin aux crimes contre la planète": une eurodéputée explique pourquoi l'écocide doit être inscrit dans la loi

L'Assemblée nationale examine le 12 décembre une proposition de loi visant à inscrire dans le droit français la reconnaissance du crime contre l'environnement.

Article rédigé par franceinfo
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Marche pour le climat à Toulouse le 29 novembre 2019. (LILIAN CAZABET / HANS LUCAS)

Des événements tels que la catastrophe nucléaire de Fukushima ou le naufrage de l'Erika pourront-ils un jour être reconnus comme crimes et punis par la loi ? Dans une lettre adressée aux députés français, la députée européenne écologiste Marie Toussaint, appelle les élus à inscrire la notion d'"écocide" dans la loi française.

Après que les sénateurs socialistes ont échoué en mai à faire adopter un texte en ce sens, l'Assemblée nationale se penche, jeudi 12 décembre, sur une nouvelle proposition de loi socialiste qui entend compléter le Code pénal afin de "sanctionner les crimes les plus graves qui portent atteinte à la santé de la planète de manière grave et durable". Que changerait ce nouveau crime ? Qui pourrait être concerné ? Franceinfo a interrogé la cocréatrice de la pétition "L'Affaire du siècle".

Franceinfo : Comment définissez-vous le terme d'"écocide" ? 

Marie Toussaint : L'idée de la reconnaissance des écocides vient de loin. Dès 1970, lors de la Conférence sur la guerre et la responsabilité nationale aux Etats-Unis, le biologiste Arthur Galston propose la reconnaissance du crime d'écocide. Pour dire les choses simplement, un écocide, c'est un crime contre le vivant, commis en portant atteinte à la nature, en attaquant le système écologique de la Terre.

Pour les associations Notre affaire à tous et End Ecocide on Earth, dont je fais partie, il s'agit de reconnaitre juridiquement l'"endommagement grave de tout ou partie du système des communs planétaires". L'idée est portée dans le cadre des travaux des Nations unies sur le Statut de Rome, qui a institué la Cour pénale internationale, et a même été proposée aux Etats membres en 1993, avant d'en être retirée à la demande de ces derniers. Depuis, l'idée sommeille, mais elle a connu ces dernières années un regain de force face à l'ampleur de la crise environnementale.

Quelles sont, selon vous, les situations qui pourraient correspondre à cette définition ?

L'ancien Premier ministre socialiste suédois Olof Palme a ouvert la conférence de Stockholm en 1972 en dénonçant l'écocide commis au Vietnam avec l'agent orange de Monsanto. On peut aussi citer la catastrophe de Bhopal en Inde en 1984 [une cuve de produits chimiques a explosé dans une usine de la multinationale américaine Union Carbide, faisant plus de 3500 morts], les catastrophes nucléaires de Tchernobyl et Fukushima, ou les marées noires.

A chaque fois, les responsables de ces catastrophes se réfugient derrière des arguties juridiques ou harcèlent les défenseurs de l'environnement pour éviter toute condamnation judiciaire. Mais les écocides ne se limitent pas aux catastrophes spectaculaires.

Nous vivons en ce moment l'un des plus grands écocides : l'émission irresponsable de gaz à effet de serre, d'abord et avant tout de CO2, par les 'carbon majors', ces multinationales des énergies fossiles qui développent, en toute connaissance de cause, leurs activités charbonnières, gazières et pétrolières.

Marie Toussaint, députée européenne

à franceinfo

Il faut que ces activités s'arrêtent et qu'il y ait un vrai changement de comportement.

Que changerait son inscription dans la loi ?

C'est une révolution juridique. Si la notion d'écocide est inscrite dans le droit français, toute personne pourra porter plainte pour crime d'écocide contre des personnes morales ou physiques (entreprise, chef d'Etat)... Dès lors, une procédure judiciaire traditionnelle pourra être mise en place : enquête, procédure engagée par un juge, avec de possibles condamnations à des peines d'amende ou de prison. Les écocides n'ont pas de frontière, il est donc indispensable de porter la reconnaissance de l'écocide également au niveau de l'Union européenne, et auprès de la Cour pénale internationale, afin de garantir également que les autorités judiciaires et policières d'autres pays coopèrent. 

Nous souhaitons que l'écocide soit consigné parmi les crimes les plus graves déjà définis par le Statut de Rome : crime de guerre, crime contre l'humanité, génocide... Au-delà, je propose d'accorder des droits à la nature. Il faut octroyer un statut légal aux écosystèmes afin de les protéger. Notre droit continue aujourd'hui d'être un droit où l'humain domine. Je veux protéger le vivant dans son ensemble. C'est d'ailleurs ainsi que les droits humains fondamentaux seront garantis.

Dans votre lettre, vous évoquez aussi les enjeux de justice sociale et de démocratie.

Nous ne sommes pas toutes et tous exposés de la même manière aux risques climatiques. Nous en sommes à la sixième extinction des espèces, et ceux qui sont à l'origine de cette situation sont majoritairement les pays les plus riches, occidentaux, et ce sont les plus vulnérables qui souffrent. 

Je défends donc l'idée de la justice environnementale, qui demande d'agir avec les personnes les plus démunies pour améliorer leur situation sociale et leur garantir le droit à un environnement sain.

Marie Toussaint, députée européenne

à franceinfo

C'est aussi un enjeu démocratique : les responsables de la catastrophe doivent rendre des comptes et ne pas se réfugier dans une impunité inacceptable. Nos chefs d'Etat ou les entreprises qui agissent contre l'environnement, de manière intentionnelle ou en connaissance de cause, doivent répondre de leurs actes devant la loi. 

Et même lorsque l'intention n'est pas de nuire, mais qu'on a persisté dans des activités climaticides ou destructrices, il faut en répondre devant la loi. Pénaliser les écocides, c'est, enfin, protéger l'environnement. Le juge est d'ailleurs en capacité de prendre des mesures conservatoires, de cessation d'activités, par exemple en arrêtant les investissements dans des projets dangereux, ou dans les énergies fossiles.

Le crime d'écocide existe-t-il déjà dans d'autres pays ? Des condamnations ont-elles déjà été prononcées ?

Cette atteinte à l'environnement est reconnue dans l'article 8 du Statut de Rome, mais uniquement en cas de guerre, ce qui est insuffisant. L'écocide n'a été inscrit dans la loi que dans quelques pays du monde. Le Vietnam a adopté cette notion en 1990, après la guerre et l'utilisation de l'agent orange. Puis, dans la foulée, dans une dizaine de pays de l'ex-URSS. Mais elle n'a jamais fait l'objet d'une application, parce que les régimes juridiques et judiciaires ne fonctionnent pas très bien, et que les populations n'ont que peu accès à la justice, et n'en ont pas les moyens. Résultat : aucune personne, physique ou morale, n'a pour l'heure été condamnée pour écocide, malgré la multitude d'atteintes à l'environnement.

A chaque siècle son défi. Au XIXe siècle, il y a eu le défi de l'industrialisation et des droits sociaux, au XXe siècle celui des crimes contre l'humanité, le XXIe siècle doit être celui où l'on met fin aux crimes contre la planète.

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