La Wallonie peut-elle faire capoter l'accord de libre-échange entre l'UE et le Canada ?
L'accord Ceta est suspendu au refus du Parlement wallon, qui demande la réouverture des négociations. Un bloquage lié au système fédéral belge.
"Oui, je continuerai à dire non au Ceta". La phrase, prononcée par le ministre-président wallon, Paul Magnette, ne risque pas de réchauffer les relations entre le Canada et la Wallonie, relate le quotidien belge Le Soir. Le responsable politique de cette région francophone belge a exclu, mercredi 19 octobre, que la Belgique approuve le traité de libre-échange entre l’Union européenne (UE) et le Canada d'ici vendredi, "même si ça aura des conséquences politiques". Jeudi soir, il a rejeté de nouvelles propositions pour débloquer la situation.
De fait, la survie de l'accord Ceta (ou le Canada-EU Trade Agreement, en français Accord économique et commercial global) négocié entre l'UE et Ottawa dépend de la Wallonie, qui refuse d'y souscrire. Réunis mardi 18 octobre au Luxembourg, les 28 ministres du commerce européeens ont ainsi dû reporter leur vote, alors même que la signature du traité est prévue le 27 octobre à Bruxelles en présence du Premier ministre canadien, Justin Trudeau.
Nous ne pourrons apporter une réponse à l’EU d'ici vendredi. Notre processus démocratique est incompatible avec le calendrier imposé. pic.twitter.com/AVU0SHkFF1
— Paul Magnette (@PaulMagnette) 18 octobre 2016
Mais comment près de 3,6 millions de Wallons peuvent remettre en cause un traité qui concerne 544 millions d'Européens et Canadiens ? Franceinfo revient sur ce bras de fer.
Les Wallons peuvent-ils bloquer le Ceta ?
Oui, car dans le système fédéral belge, il suffit qu'un seul des trois Parlements régionaux s'oppose pour à un traité pour qu'il soit rejeté au niveau national. Une exception belge qui remet en cause l'avenir du traité.
Les trois régions du pays, soit la région flamande (néerlandophone), la région wallonne (francophone) et la région de Bruxelles-Capitale (bilangue), exercent des compétences dites "exclusives" sur leur territoire en ce qui concerne le développement, l'agriculture ou encore l'environnement. Et chacune de ces régions et communautés dispose d'un Parlement élu au suffrage universel et d'un gouvernement.
Conséquence ? Lorsque la Belgique signe un traité international, comme le Ceta, et que son contenu touche aux compétences des régions ou des communautés, les instances représentatives régionales doivent donner leur aval. Et dans le cas du Ceta, les Parlements de la Wallonie et de la Communauté française l'ont rejeté la semaine passée.
Faute de consensus entre ses différents parlements, la Belgique ne peut donc prendre part au vote. Or, l'UE a besoin de l'aval unanime de ses 28 membres pour valider l'accord trouvé avec Ottawa.
Que reprochent les Wallons au Ceta ?
Principalement de remettre en cause leus normes sanitaires et sociales. Paul Magnette reproche à la Commission européenne de n'avoir pas suffisamment pris en compte les "difficultés majeures" de la population wallone. Il a fallu attendre début octobre, et le rejet du texte par les Wallons, pour ouvrir les discussions.
Le ministre-président Wallon pointe plusieurs problèmes juridiques, relate Le Soir : "Un mécanisme d’arbitrage international n’est pas acceptable. On nous a dit que dans certains cas, on pourra continuer à réguler nous-mêmes, mais qu’il faudra payer des multinationales. C’est évidemment un élément essentiel de notre refus, mais l’agriculture pose également problème."
Il dénonce ainsi la "clause de sauvegarde", qui protège les agriculteurs canadiens mais pas leurs homologues européens en cas de distorsion du marché. C'est-à-dire quand les prix et la production deviennent supérieurs ou inférieurs aux niveaux qui existeraient normalement. Il critique aussi la possibilité, pour des entreprises américaines ayant des activités au Canada, de profiter du traité et de ses avantages.
"Oui à l'approfondissement des échanges commerciaux avec le Canada (...), mais non au texte qu'on nous propose sous cette forme", a lancé de son côté Olga Zrihen, lors des débats au Parlement wallon le 14 octobre. Pour la députée socialiste, "nous ne sommes ni anti-atlantistes primaires, ni anti-échanges commerciaux, ce n'est pas non plus une opposition au Canada, car l'absence de garanties que nous dénonçons l'est aussi par la société civile canadienne", relate le site d'information belge 7sur7.
Est-ce que la situation pourrait s'arranger ?
Pas sûr. Pour le ministre allemand de l'Economie, Sigmar Gabriel, ces points de dissension pourraient être réglés dans les prochains jours, afin de voter vendredi.
Si le président-ministre wallon a toutefois reconnu que les intenses discussions des derniers jours ont permis d'engranger des "vraies avancées", elles restent toutefois insuffisantes à ses yeux. Pour le responsable politique belge, les "trois jours pour accepter" proposés par la Commission ne suffiront pas. Objectif ? "Rouvrir une vraie négociation, bien sûr." Le blocage belge pourrait bien perdurer.
"On parle ici de traités qui vont concerner la vie de 500 millions d'Européens, de 35 millions de Canadiens, pendant des années et des années. On n'a pas d'urgence", a justifié Paul Magnette.
On peut prendre quelques semaines, quelques mois, pour analyser les problèmes des uns et des autres et en sortir par le haut. Et si on fait un traité qui fixe des normes sociales et environnementales très élevées, tant mieux pour tout le monde.
De son côté, à Ottawa, la ministre canadienne du Commerce, Chrystia Freeland, s'est dite prudemment optimiste. "Nous sommes réalistes et nous comprenons que la politique européenne est compliquée… Au final, c'est une décision européenne. J'ai bon espoir que l'Europe et les Européens puissent s'entendre pour prendre cette décision", a-t-elle déclaré. La signature formelle de l'accord est prévue le 27 octobre à Bruxelles, en présence du Premier ministre canadien, Justin Trudeau.
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