Rapport sur la santé mentale : "Un adolescent isolé, c'est comme une hirondelle isolée, c'est forcément un individu en souffrance"
Le psychiatre Xavier Pommereau pointe sur franceinfo les "idées reçues" sur la dépression des adolescents.
L'OCDE appelle les Etats européens à faire davantage pour alléger le fardeau économique et humain que représentent les suicides et les maladies mentales.
La dépression "reste encore un sujet un peu tabou (...) les gens ont tendance à banaliser", a commenté ce jeudi sur franceinfo le docteur Xavier Pommereau, psychiatre, chef du Pôle aquitain de l'adolescent au CHU de Bordeaux. "On reste encore avec des idées reçues qui mériteraient qu'on puisse un peu les dénoncer". Le médecin a aussi pointé le cas des adolescents. "Un adolescent isolé, c'est comme une hirondelle isolée, c'est forcément un individu en souffrance", a-t-il indiqué tout en précisant que "les jeunes adolescents déprimés peuvent être très actifs".
franceinfo : Est-ce qu'on accompagne suffisamment les adolescents, un public fragile ?
Xavier Pommereau : En France, on les accompagne mieux qu'il y a 15 ans, grâce aux maisons des adolescents, et à un certain nombre d'unités de consultation dans les services publics. Mais, à mon avis, on n'a pas encore vraiment ouvert un vrai programme de prévention pour les très jeunes adolescents. Aujourd'hui, quand on parle d'adolescents, il faut savoir que, dès l'âge de 11-12 ans, c'est-à-dire vraiment très, très jeune, des enfants - appelons les comme ça puisqu'ils ne sont pas forcément pubères - peuvent présenter déjà des signes inquiétants comme par exemple, le repli relationnel, quand ils se coupent complètement de leurs camarades. Ce n'est pas quand ils boudent dans leur chambre contre leurs parents, ça c'est un adolescent normal, mais quand il se coupe de ses camarades, qu'il ne veut plus entendre parler de personne, quand il coupe y compris sa ligne Internet et son portable, là, on a du souci à se faire, parce qu'un adolescent isolé, c'est comme une hirondelle isolée, c'est forcément un individu en souffrance.
Ce sont les mêmes signes de désociabilisation que l'on retrouve chez l'adulte ?
Oui, avec quelques pièges, puisque parfois ce n'est pas forcément seulement l'isolement, mais au contraire, une sorte d'hyper excitation qui caractérise les jeunes, à la différence des adultes. Les adultes déprimés sont plutôt repliés sur eux-mêmes, alors que les jeunes adolescents déprimés peuvent être très actifs, y compris dans le passage à l'acte et malheureusement, en faisant des tentatives de suicide, des automutilations, qu'il faut toujours prendre au sérieux. Il ne faut jamais banaliser une tentative de suicide ou une automutilation qui paraît bénigne sur le plan physique. Il faut la prendre très tôt. On le voit bien. Quand on voit des jeunes adultes qui souffrent de dépression majeure, on s'aperçoit que, très souvent, ils présentaient déjà vers l'âge de 12-13 ans des signes. Mais malheureusement, ces signes n'avaient pas été pris en compte. Par exemple, ils ne dormaient plus bien la nuit, ils se réveillaient très tôt le matin, ça c'est un signe de dépression très important chez les jeunes. Le réveil matinal précoce à 4 heures du matin, ce n'est pas du tout normal. Un adolescent, on doit le secouer un petit peu le matin pour qu'il se réveille. Quand il se réveille spontanément tout seul, qu'il n'arrive pas à dormir, cette insomnie-là, au lieu de la traiter avec un médicament, il faut absolument que ça fasse l'objet d'une évaluation approfondie, parce que ça peut être, en effet, une dépression. Une dépression qui va évoluer et s'aggraver avec l'âge.
Dans la société française, il y a un problème à intégrer d'autres types de handicap, avec le côté psychiatrique notamment ?
Oui, ça reste encore un sujet un peu tabou, parce que si vous commencez à dire aux gens que vous êtes déprimé, que vous êtes en arrêt maladie parce que vous souffrez d'angoisse, etc, les gens ont tendance à banaliser et dire : "Oui, écoute, change toi les idées, prends une semaine pour aller au soleil". Enfin, on garde encore en tête ces fausses idées, qu'il suffirait de se bouger un peu pour aller mieux. Quand on ne va pas bien du tout, quand on est très angoissé et très déprimé, malheureusement, on ne peut plus bouger. C'est pour ça qu'il faut obtenir de l'aide, fournir de l'aide et c'est important que l'entourage puisse réagir, notamment pour les jeunes gens. Il faut absolument que l'entourage se saisisse de ces problèmes. Un adolescent qui perd l'appétit, dort mal, s'isole ou qui se montre paradoxalement hyperactif, c'est un adolescent qui mérite une évaluation.
Des progrès ont-ils malgré tout été réalisés en France ?
On a incontestablement fait des progrès, grâce à la formation des infirmières scolaires. C'est vraiment de véritables sentinelles de la santé des jeunes gens. Elles sont généralement bien formées, suivent des programmes de formation permanente et sont capables de dépister très tôt des signes. Les médecins généralistes ont aussi fait beaucoup de progrès et voient mieux les choses. Mais, au niveau de la population générale, on reste encore avec des idées reçues qui mériteraient qu'on puisse un peu les dénoncer. Cette idée que : "Oh, il travaille moins bien en classe, il est un peu feignant". Ça ne va pas du tout ! Il faut parler de mal-être, de souffrance, et d'ailleurs, quand on demande à un adolescent s'il a l'impression d'être en souffrance, en général, il va répondre sincèrement la vérité. Si on lui dit : "Bouge-toi un peu !" Là, on n'obtient pas grand-chose.
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