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Covid-19 : depuis le 31 octobre, les crises suicidaires chez les jeunes multipliées par deux fois et demi

Selon Sylvie Tordjman, professeur de pédopsychiatrie, cheffe du pôle de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent à l'Université de Rennes 1, les hospitalisations des moins de 15 ans pour motif psychiatrique sont en hausse de 80%.

Article rédigé par franceinfo
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Sylvie Tordjman, le 20 novembre 2007, à Rennes. (MAXPPP)

"Depuis le 31 octobre, on a assisté à un nombre de crises suicidaires qui a été multiplié par deux fois et demi", a souligné lundi 22 mars sur franceinfo Sylvie Tordjman, professeur de pédopsychiatrie, cheffe du Pôle de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent à l'Université de Rennes 1, alors que les hospitalisations des moins de 15 ans pour motif psychiatrique sont en hausse de 80% et qu'une réunion interministérielle sur la santé mentale s'est tenue lundi matin.

franceinfo : Est-ce qu'il y a vraiment une dégradation de la santé mentale chez les plus jeunes ?

Sylvie Tordjman : Oui, tout à fait. Depuis le 31 octobre, on a assisté à un nombre de crises suicidaires - à savoir des tentatives de suicide, mais aussi des jeunes qui présentent des idées suicidaires, en particulier pour les moins de 16 ans - qui a été multiplié par deux fois et demi. On a une équipe mobile de pédopsychiatrie basée aux urgences pédiatriques, donc on voit passer tous ces jeunes. On était avant sur à peu près une à deux tentatives par semaine, on est passé à cinq par semaine. Pour les idées suicidaires, on avait à peu près cinq jeunes avec des idées suicidaires par semaine et actuellement c'est plus de dix. C'est vrai pour les crises suicidaires, c'est vrai aussi pour les troubles anxieux, avec des problèmes de somatisation, d'absentéisme scolaire qui ont été triplés. Et c'est vrai également pour les problèmes d'anorexie qui ont quadruplés avec un passage aux urgences pédiatriques et qui sont vus par nos équipes.

Est-ce qu'on a sous-estimé les problèmes chez cette tranche d'âge jusqu'à maintenant ?

Oui. Après, ce n'était pas évident. On est tous confrontés à cette crise sanitaire. On a été aussi les premiers surpris puisqu'ils n'étaient pas déscolarisés. Il y a eu un maintien de la scolarisation, que ce soit pour les écoliers, les collégiens et les lycéens. On a vraiment fait un brainstorming, y compris pour essayer de faire une prévention, pour essayer de mieux comprendre pourquoi ça touchait comme ça ces préadolescents et adolescents de moins de 16 ans. Dans les causes, avec ce confinement depuis le 31 octobre, on est devant une diminution des activités sociales. Le port du masque n'arrange rien. On est aussi devant une diminution de tout ce qui est activités extrascolaires de type activités physiques sportives. Et là, c'est un enjeu important pour eux en termes de mieux-être et de mal-être. On est face aussi un reconfinement, c'est à dire du stress qui se répète, un stress qui est chronique dans un contexte d'incertitude, de précarité sociale. Tout ça vient alimenter des préoccupations chez ces jeunes qui sont un peu comme des éponges qui absorbent tout ça.

Deuxième point : on a les conséquences du précédent confinement. L'Agence nationale de sécurité sanitaire montrait qu'il y avait une augmentation de la consommation d'écrans qui était extrêmement importante avec des thématiques d'addiction. Donc, on paye un peu les pots cassés de ce précédent confinement. Et puis, il y a aussi chez certains jeunes qui, quand il y a eu le déconfinement en mai, n'ont pas repris le chemin de l'école, et se sont retrouvés dans une sorte de cocon familial, avec un décrochage. Enfin un des problèmes les plus importants, c'est que beaucoup de parents sont encore dans du télétravail. Du coup, ils ont eu un changement majeur de leurs repères temporels, ne sortent plus forcément pour aller pour aller travailler. Et on assiste à une synchronisation de l'horloge biologique avec des temps qui sont complètement désynchronisés, avec des rythmes veille-sommeil qui peuvent être complètement mis à mal. Et c'est là où c'est extrêmement important que les parents puissent respecter des facteurs d'environnement extérieur, à savoir des heures régulières de coucher et de lever.

Est-ce qu'il faut privilégier désormais une approche préventive ? Est-ce qu'on peut imaginer des numéros de téléphone, des centres accessibles ?

Je suis beaucoup plus basique. La clé de tout cela, c'est cette synchronisation des horloges biologiques avec des rythmes veille-sommeil qui sont très altérés. On peut facilement faire de la prévention avec un respect des heures de coucher et de lever, de repas, d'activités sociales, scolaires, d'activités physiques. En sachant que quand il y a une désynchronisation des horloges biologiques, c'est un terrain de vulnérabilité aux troubles anxieux, aux troubles dépressifs, mais également à l'émergence de troubles psychiatriques de type psychotique entraînant la schizophrénie. C'est en effet extrêmement important que les parents puissent respecter pour eux-mêmes, mais également pour leurs enfants, ces prérequis. On est sur de la prévention.


Si vous avez besoin d'aide, si vous êtes inquiet ou si vous êtes confronté au suicide d'un membre de votre entourage, il existe des services d'écoute anonymes. La ligne Suicide écoute est joignable 24h/24 et 7j/7 au 01 45 39 40 00. D'autres informations sont également disponibles sur le site du ministère des Solidarités et de la Santé

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