"Personne n'y croyait" : comment des médecins français ont réussi à greffer des trachées artificielles
Le professeur Emmanuel Martinod et son équipe ont créé une technique de greffe permettant de guérir des patients qui vivaient avec une trachéotomie.
"On est allés de surprise en surprise." Après près de dix ans de recherches, un chirurgien français et son équipe ont réussi à mettre au point une technique de greffe permettant de guérir des patients vivant avec une trachéotomie. Les résultats ont été présentés, dimanche 20 mai, au congrès de l'American Thoracic Society, à San Francisco (Etats-Unis).
Cette série d'opérations a consisté à prélever des aortes, canal sanguin du corps humains, sur des donneurs morts, puis à les transformer en trachée, un conduit du système respiratoire, grâce à "l'ingénierie cellulaire" et à les transplanter sur des malades, précise la revue médicale Journal of the American Medical Association (article en anglais). Franceinfo vous explique cette découverte.
Quel a été le point de départ des chercheurs ?
"Cela ne marchera pas !" Il y a dix ans, lorsque le professeur Emmanuel Martinod, chef du service de chirurgie thoracique et vasculaire de l'hôpital universitaire Avicenne AP-HP à Bobigny (Seine-Saint-Denis), s'est lancé dans la greffe d'organes respiratoires artificiels, personne n'y croyait, raconte-t-il au JDD. "On savait remplacer un cœur, un poumon ou un foie, mais toujours pas les voies aériennes. C’est fou !" raconte-t-il.
Le professeur de médecine se met alors à éplucher toutes les études effectuées ces cinquante dernières années sur le sujet et définit son objectif : "Remplacer les voies aériennes par un greffon d’aorte, le seul tissu qui n’avait quasiment pas été exploré pour ce type d’opération."
Comment ça marche ?
L'intervention s'est effectuée en deux étapes : l'ablation de la lésion par des méthodes chirurgicales habituelles et la reconstruction des voies respiratoires par des morceaux d'aorte. Les aortes ont été prélevées sur des donneurs morts, puis cryogénisées (conservées à -80°C). Le tissu d'aorte a un énorme avantage : lorsqu'il est greffé sur une autre personne, il n'induit que très peu de rejet et, en quelque sorte, "repousse" sur le receveur.
Ce tissu d'aorte a donc ensuite été greffé à la place de la zone de la trachée du receveur préalablement retirée. Pour permettre au greffon d'aorte de rester rigide, un stent (petit ressort) a été inséré à l'intérieur. Le morceau d'aorte a ensuite été cousu aux extrémités de la trachée du receveur. Au bout de quelques mois – entre 5 et 39 mois – les chercheurs ont remarqué que l'aorte se transformait en trachée grâce aux cellules du patient, précise Le Parisien. La couche la plus superficielle de la trachée, l'épithélium, s'est mise à repousser et du cartilage s'est reformé. Résultat, la trachée a pu fonctionner de nouveau.
Première mondiale : l’incroyable trachée artificielle qui a changé la vie d’Eric >> https://t.co/Khw7qa7aAf pic.twitter.com/BXCX7ppcmv
— Le Parisien Infog (@LeParisienInfog) 20 mai 2018
"On est allés de surprise en surprise", indique le chirurgien. "L'aorte s'est transformée en trachée" grâce à sa "matrice extraordinaire", décode-t-il dans le JDD. "Ce n'est pas de la magie" mais "personne ne croyait vraiment à tout ça."
Combien de patients ont bénéficié de cette greffe ?
Sur 20 patients sélectionnés, atteints de cancer ou d'autres maladies, sept ont bénéficié d'un traitement plus classique, sans greffe d'aorte. Sur les 13 autres, cinq se sont vu reconstruire une trachée, sept des bronches souches (les plus proches de la trachée), et le dernier une carène trachéale (bifurcation entre bronches gauche et droite). A chaque fois à partir d'une aorte prélevée sur un donneur.
"La mortalité à 90 jours a été de 5%. Il n'y a eu aucune complication grave liée au greffon ou au stent (...). La grande majorité des patients respire aujourd'hui à l'aide du greffon qui s'est transformé", résume l'AP-HP. "Une personne est morte dans les 90 jours suivant l'opération", a précisé l'hôpital Avicenne de Bobigny à franceinfo.
Comment vivent les patients sauvés ?
Éric Volery, 40 ans, fait partie des personnes opérées. Greffé en 2011, il faisait partie de ces patients dits en "impasse thérapeutique". Atteint d'une sténose trachéale qui l'étouffait, il avait subi des opérations, sans succès. Il y a sept ans, il a croisé la route du professeur Martinod qui lui a proposé d'être opéré selon sa technique de greffe.
"Il m’avait prévenu que ce ne serait pas un parcours de santé mais j’ai eu confiance et j’ai accepté l’opération... Enfin, les opérations", confie-t-il au Parisien. Depuis, cet homme de 40 ans a vu sa nouvelle trachée se régénérer d'elle-même et a pu se faire enlever le stent. Il assure être en parfaite santé et pouvoir même "courir 45 ou 50 minutes".
Surtout, cette greffe présente l'avantage de ne pas présenter de problème de compatibilité entre le donneur et le receveur, puisque la prothèse est biologique. Le receveur n'a donc pas besoin de "prendre de traitement antirejet à vie", contrairement aux autres types de greffes, détaille Le Figaro. Cette opération améliore aussi le mode de vie des patients,"un des patients a ainsi pu affronter une grippe carabinée. Il aurait été beaucoup plus fragile sans l’intervention", ajoute le chirurgien.
Pourquoi s'agit-il d'une découverte importante ?
"Ces résultats représentent une avancée majeure dans le domaine de la greffe d'organes artificiels", ajoute l'AP-HAP. "D'autres permettront de mieux comprendre les mécanismes impliqués et de proposer ce type de traitement à de plus en plus de malades." De plus, "l'intervention a permis d'éviter l'ablation complète du poumon pour [les patients] qui souffraient de lésions bronchitiques évoluées", précise l'AP-HP. En revanche, cette greffe ne peut être considérée comme un nouveau traitement contre le cancer.
"Aujourd'hui, la communauté scientifique pense qu'au lieu d'utiliser un bioréacteur externe [dispositif qui recrée des conditions biologiques], de faire tout en dehors du corps humain, il faut utiliser ce magnifique corps, qui est capable de réparer lui-même", estime le professeur Emmanuel Martinod au Parisien.
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