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Recherche sur l'embryon homme-singe : "Quand on parle de chimères, on n'est pas en train d'imaginer des monstres délirants"

Des chercheurs ont introduit des cellules humaines dans des embryons de macaques. L'un de ces scientifiques, Pierre Savatier, explique à franceinfo les enjeux de ces expériences.

Article rédigé par franceinfo - Charlotte Causit
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Temps de lecture : 4 min
Vue microscopique d'un embryon humain sélectionné pour une fécondation in vitro (FIV) (SCIENCE PHOTO LIBRARY - ZEPHYR / BRAND X / GETTY IMAGES)

Un organisme à la fois humain et singe. C'est le projet ambitieux sur lequel travaillent plusieurs scientifiques à travers le monde. Deux équipes, l'une française et l'autre sino-américaine, ont réussi à créer des embryons chimères (des organismes constitués de deux variétés de cellules ayant des origines génétiques différentes) singe-homme. Leurs expériences, relayées dans les revues scientifiques Stem Cell reports en janvier et Cell en avril, ont consisté à introduire des cellules souches humaines dans des embryons de singes cultivés en laboratoire pendant trois jours (pour l'équipe française) et dix-neuf jours (pour l'équipe sino-américaine). 

Pierre Savatier, directeur de recherche à l'Inserm à Lyon et coordinateur de l'équipe de chercheurs français qui a créé le premier embryon homme-singe, répond aux questions de franceinfo.

Franceinfo : Pourquoi introduire des cellules humaines dans un embryon de singe ?

Pierre Savatier : Depuis des dizaines d'années, on travaille sur les cellules souches pluripotentes. C'est une catégorie très particulière des cellules souches que l'on trouve naturellement dans les embryons très jeunes de toutes les espèces. On les appelle pluripotentes car ce sont des cellules souches qui vont donner naissance à l'ensemble des organes qui constituent un être vivant. Elles savent tout faire.

On est capable de les extraire et de les cultiver in vitro. Et on a même créé une nouvelle catégorie de cellules souches : les cellules souches pluripotentes induites qui sont obtenues, elles, grâce à la reprogrammation de cellules d'un individu adulte. C'est-à-dire qu'on prend les cellules hautement spécialisées [de la peau par exemple] d'un individu et on les fait revenir en arrière jusqu'à ce qu'elles retrouvent leur état embryonnaire de cellule pluripotente.

Chez la souris, on injecte ensuite ces cellules dans un embryon de façon à voir si elles sont capables de participer à son développement. Et ce qui est relativement nouveau, c'est qu'on essaie à présent de le faire chez l'être humain. Pour cela, il faudrait remettre ces cellules dans des embryons humains, mais c'est délicat sur le plan éthique et ce n'est peut-être pas absolument nécessaire. Donc on utilise des embryons d'autres animaux et on crée des chimères. On a commencé par la souris, puis on a pris des lapins. D'autres équipes travaillent sur les porcs et, récemment, on a injecté des cellules souches dans des embryons de macaques.

Quel est l'objectif de ces expériences ? 

Pour l'instant, l'objectif est de développer des compétences dans ce domaine pour les utiliser à des visées thérapeutiques dans quelques années. A moyen et long terme, il y a différents objectifs. Les premiers grands domaines qui pourront bénéficier de ces recherches sont la médecine de la procréation et la thérapie cellulaire, notamment utilisée dans la lutte contre la dégénérescence cellulaire. Actuellement, il est clair que le domaine de la procréation médicalement assistée (PMA) a besoin de connaissances sur le développement des embryons humains pour améliorer la fécondation in vitro.

Ensuite, à plus long terme, dans des années ou des dizaines d'années peut-être, il y aura la question de la fabrication d'organes humains dans un objectif de transplantation. On sait que c'est possible, mais cela reste quelque chose d'extrêmement complexe.

Ces embryons peuvent-ils donner vie à de véritables chimères ?

On en est encore très loin ! Jusqu'à l'année dernière, l'hypothèse qui prévalait était la suivante : les chimères homme-souris ou homme-porc marchaient mal car les deux espèces étaient trop éloignées. Et on se disait tous : "Le jour où on va mettre des cellules souches humaines dans un embryon de singe, ça va marcher, c'est sûr !" Et en fait non, au contraire. Quand on injecte des cellules souches humaines dans un embryon de singe, ça marche un petit peu mieux qu'avec un embryon de lapin, mais pas beaucoup plus.

Cet échec relatif nous permet de savoir que le principal fautif n'est pas l'embryon hôte. Je suis prêt à parier que si on avait utilisé des embryons humains, on aurait eu les mêmes résultats. Le problème, c'est donc l'état actuel des cellules souches pluripotentes humaines, qui ne sont pas assez puissantes. Notre travail maintenant va consister à améliorer leur qualité. Nous sommes donc encore loin de créer de vraies chimères.

Quel regard portez-vous sur les risques médicaux et les questions éthiques que soulèvent ces recherches ?

Il ne faut pas paniquer, on est actuellement très en amont de l'apparition de problèmes comme les dangers de zoonoses [maladies infectieuses atteignant les animaux et qui peuvent être transmises à l'homme] ou le franchissement de lignes rouges. Mais il faut être extrêmement prudent. Il n'est pas question de faire n'importe quoi.

On n'a pas encore réussi à développer suffisamment ces chimères pour qu'on puisse se poser ces questions. Mais on propose déjà des solutions pour ne pas se retrouver dans ces situations. On pourrait par exemple interdire aux cellules souches de se transformer en neurones ou en cellules germinales (qui forment les cellules sexuelles). Ça, techniquement, on sait le faire.

Et concernant ce débat, il y a une conjonction dans le temps entre ces publications et la révision de la loi de bioéthique. L'article 17, qui concerne les chimères, va être rediscuté en troisième lecture avec l'avis final donné par l'Assemblée nationale. La possibilité de travailler sur ces objets biologiques est extrêmement importante. Quand on parle de chimères interespèces, on n'est pas en train d'imaginer des monstres délirants. Bien sûr qu'il y a des enjeux éthiques, et c'est pour cela qu'il faut encadrer ces recherches. Pour nous, l'issue de ce parcours législatif est absolument essentielle.

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