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Le datura, une plante invasive hallucinogène, est-il le poison de l'agriculture bio ?

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6 min
Un datura dans une culture, en juillet 2017. (MAXPPP)

Des farines de sarrasin bio font régulièrement l'objet de retraits des rayons pour des contaminations ou des soupçons de contamination au datura, une plante contenant des alcaloïdes.

Ne vous fiez pas à ses jolies feuilles et à ses fleurs allongées. Parfois nommé "l'herbe du diable", le datura stramonium est une plante très toxique, bien connue des exploitants agricoles qui lui font la guerre. Mais il y a parfois des ratés. Fin août, les autorités sanitaires ont procédé au rappel de farines de sarrasin bio contaminées commercialisées par plusieurs marques. L'une d'elle, Ma Vie sans Gluten, annonce à franceinfo qu'elle mène désormais des analyses systématiques sur les produits vendus par son fournisseur, alors qu'elles étaient jusque-là aléatoires. Ce dernier doit également fournir une analyse réalisée avant transformation en farine.

Ce nouveau rappel a relancé les interrogations sur l'abandon des pesticides pour lutter contre les plantes invasives dans les cultures. Aux mois de décembre 2018 et février 2019, des lots de farine de sarrasin bio avaient déjà fait l'objet d'un rappel, avec une quinzaine d'hospitalisations en Martinique pour des cas sans grande gravité. L'une des entreprises mises en cause, Moulin des Moines, a évoqué le cas d'un agriculteur qui n'avait "pas pris ses précautions sur le désherbage". Les analyses sont aujourd'hui menées lors de la réception des grains et après transformation. Par ailleurs, la société se fournit désormais auprès d'une coopérative qui informe les agriculteurs sur les risques liés à la présence de la plante.

Fièvre, hallucinations, coma convulsif...

Et ces risques sont sérieux. Les alcaloïdes (atropine et scopolamine) du datura peuvent en effet entraîner de graves complications. Toutes les parties de la plante sont toxiques et peuvent provoquer un syndrome dit "anticholinergique", qui associe troubles neurologiques et cardiaques. Dilatation des pupilles, hallucinations, fièvre, sécheresse de la bouche, détresse respiratoire, coma convulsif... Les symptômes sont variés et "des décès sont possibles car les hallucinations peuvent entraîner des actes auto-agressifs" et des auto-mutilations, explique Magali Labadie, responsable du Centre anti-poison de Bordeaux (Gironde).

Le datura est dangereux. Ce n'est pas une plante sympathique.

Magali Labadie

à franceinfo

En novembre 2018, une quinzaine de personnes ont ainsi été intoxiquées après avoir mangé des crêpes cuisinées à base de farine de sarrasin bio, se souvient Magali Labadie. "Les gens s'en tirent bien car les quantités ne sont pas importantes mais c'est suffisant pour entraîner des troubles. Tous avaient été hospitalisés." La responsable rappelle d'ailleurs qu'il faut contacter immédiatement les centres anti-poison en cas d'apparition de symptômes.

"La grande majorité de ces cas sont en fait dus à un usage 'récréatif' d'ailleurs en augmentation, explique Magali Labadie. Il existe également des confusions alimentaires, quand des cueilleurs confondent le datura avec des épinards ou de la rhubarbe." Les données du Centre anti-poison de Bordeaux ne permettent toutefois pas d'analyser la part respective des trois situations.

Mauvaise graine

Les récents cas de farines de sarrasin bio contaminées soulèvent la question du rôle de l'agriculture biologique qui, par définition, n'a pas recours aux produits phytosanitaires pour éliminer cette plante toxique. "Il faut prendre au sérieux ce risque", insiste Xavier Reboud, directeur de recherche à l'Inra, tout en assurant qu'il n'y a "pas d'augmentation significative du nombre de situations problématiques". A l'heure actuelle, aucune étude n'a été menée pour établir ou non un lien entre la diffusion de la plante et l'essor des productions bio.

Si les lots de bio contaminés concernent du sarrasin, ce n'est pas par hasard, ses grains arrivant à maturité au même moment que les graines du datura. De taille similaire et de couleur sombre, ces dernières résistent ainsi au tamis des moissonneuses ou aux trieurs optiques. Si le nombre de retraits liés au datura reste extrêmement faible, l'effet de prisme est réel. En effet, "il est insupportable pour un consommateur de bio que des produits toxiques passent à travers les mailles du filet", relève Xavier Reboud, alors même qu'il est engagé dans un effort pour se procurer une alimentation saine.

Des drones pour survoler les parcelles

La question du datura, pourtant, peut être réglée avec les cultures hivernales comme le blé ou l'orge. En effet, cette plante toxique, qui apprécie les fortes températures, s'installe à l'automne avant de succomber aux gelées. L'une des réponses agronomiques est donc de privilégier ces cultures. Xavier Reboud propose ainsi la mise en culture d'autres variétés que le sarrasin en cas de risque, même lorsque les débouchés commerciaux existent. Et de rappeler que la plante toxique nécessite une attention toute particulière dans ces parcelles.

Des exploitants ont peut-être été moins regardants.

Xavier Reboud

à franceinfo

Le faible nombre de rappels montre la réussite des centaines de contrôles menés chaque année en amont par les agents de la Direction générale de l'alimentation. "Ils sont ciblés sur les produits ou les modes de production les plus à risques pour les consommateurs", ajoute le ministère de l'Agriculture, sans livrer davantage d'explications.

Et le bio n'est pas le seul concerné. Ces contaminations concernent également des légumes produits de manière conventionnelle : haricots et épinards, notamment, sont parfois susceptibles d'être confondus avec les feuilles vertes et les tiges du datura. Des lots de porc à la provençale et haricots ont ainsi été retirés des rayons en février, tout comme des lots de haricots surgelés le mois suivant. Le groupe Leclerc s'était alors justifié dans un communiqué transmis à l'AFP en évoquant le moindre recours aux pesticides.

Le recours à une agriculture de plus en plus raisonnée, avec un minimum de pesticides, explique le risque potentiel de retrouver un datura dans un lot de haricots verts.

Le groupe Leclerc

dans un communiqué de mars 2019

Certes, les réglements ont évolué ces dernières années et plusieurs produits phytosanitaires permettant de lutter contre le datura ont été interdits. Mais la situation n'est pas "orpheline" et de nombreuses alternatives existent, toutes recensées sur le site de l'Anses. Les progrès technologiques ouvrent également une nouvelle piste pour détruire la plante : des start-up comme Telespazio proposent déjà aux exploitants de survoler leurs parcelles avec des drones afin de détecter la présence de datura et d'engager des actions adaptées.

Datura des champs, datura des villes

Plus largement, le chercheur Xavier Reboud estime que la surveillance collective n'est plus aussi soutenue qu'autrefois, en raison "de la désertification des campagnes, il n'y a plus autant de monde qu'avant pour faire attention à la gestion de ces espèces. Il existe des territoires où on a laissé des plantes toxiques et où il faut désormais fournir des efforts considérables pour rattraper les niveaux de contamination élevés." La surface moyenne des exploitations a augmenté, et avec elle les difficultés pour surveiller les parcelles sans avoir recours au phytosanitaire.

Si les autorités ont retiré quatre lots du marché, c'est bien le signe qu'il existe un déficit de connaissance de ce côté-là. L'atropine et la scopolamine – les deux alcaloïdes du datura – sont pourtant des produits toxiques violents.

Xavier Reboud

à franceinfo

L'ensemble du territoire français est aujourd'hui concerné par le risque, comme en témoignent ces données compilées par le site Sifflore. "C'est une espèce qui apprécie les températures élevées", explique le directeur de recherche à l'INRA, qui rappelle que le réchauffement climatique fait partie des hypothèses pour expliquer l'expansion de la plante vers le nord. "L'effet est peut-être direct, peut-être indirect : ces changements climatiques permettent en effet aux agriculteurs de cultiver du tournesol ou du maïs plus au nord."

  (SIFFLORE)

De façon plus surprenante, le datura s'immisce d'ailleurs peu à peu dans les villes. "Nous en avions même sur la pelouse de l'hôpital ou place de la Victoire", se souvient Magali Labadie, la responsable du Centre anti-poison de Bordeaux, qui a dû réclamer une campagne d'arrachage aux services de la ville.

C'est comme si on laissait pousser partout du cannabis !

Magali Labadie

à franceinfo

Un regain de travail en perspective pour les équipes techniques des communes françaises. Depuis 2017, elles n'ont plus la possibilité d'utiliser des produits phytosanitaires chimiques pour entretenir les espaces verts et la voirie.

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