Maladies professionnelles : qu'est-ce que le "préjudice d'anxiété" ?
Dix anciens mineurs réclament réparation devant le conseil des prud'hommes de Longwy (Meurthe-et-Moselle), vendredi 3 octobre. Ils craignent de tomber malades car ils ont été exposés, pendant leur carrière professionnelle, à des produits dangereux.
Ils ne sont pas malades, mais craignent de le devenir. Dix anciens salariés des mines de fer de Meurthe-et-Moselle demandent que le "préjudice d'anxiété" qu'ils estiment avoir subi soit reconnu. L'audience a lieu devant le conseil des prud'hommes de Longwy (Meurthe-et-Moselle), vendredi 3 octobre.
La reconnaissance du préjudice d'anxiété a déjà été entérinée pour les victimes de l'amiante. Si cette atteinte est reconnue pour tous les salariés qui estiment avoir été exposés à des produits dangereux, ce sera une décision inédite. Francetv info vous explique pourquoi le préjudice d'anxiété risque d'être un enjeu majeur des années à venir en droit du travail.
Un préjudice psychologique déjà reconnu par la justice
Durant leur carrière professionnelle, ces mineurs ont été exposés à une dizaine de produits cancérigènes, selon François Dosso, délégué CFDT mineurs de Freyming-Merlebach (Moselle), contacté par francetv info. Le préjudice d'anxiété reconnaît "la situation d’inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d’une maladie", explique à francetv info Thomas Montpellier, avocat associé du Cabinet Accanto Avocats spécialisé dans la responsabilité de l’entreprise et le risque industriel. Il s'agit donc d'un préjudice psychologique.
Quelque 275 anciens salariés du groupe Chaffoteaux, une entreprise de chaudières, qui avaient été exposés à l'amiante, ont obtenu la reconnaissance de leur préjudice d'anxiété devant le tribunal des prud'hommes de Saint-Brieuc (Côtes-d'Armor), jeudi 2 octobre. Ils ont été indemnisés, au total, à hauteur de 2,2 millions d'euros.
Le 9 mai, 30 salariés, dont 29 retraités, de l'usine Ponticelli, à Bassens (Gironde), spécialisée dans la tuyauterie et la mécanique de maintenance industrielle, ont eux aussi été dédommagés, raconte Sud Ouest. Si aucun des plaignants n'a contracté de maladie, ils estiment que leur vie a été bouleversée. "Nous passons des scanners, nous avons des rendez-vous réguliers, nous sommes en surveillance renforcée. Cela nous pourrit la vie, et il y a préjudice", a déclaré leur porte-parole, Jean-Louis Leymergie, ancien salarié.
Le préjudice d'anxiété a été consacré en mai 2010 par la Cour de cassation. En outre, les salariés "peuvent être indemnisés au titre de l’anxiété jusqu’à la date de déclaration de leur maladie, et au titre de la maladie après cette date", précise François Dosso. Jusque-là, ce préjudice a été appliqué exclusivement aux victimes de l'amiante, souligne Me Thomas Montpellier. Tous les salariés indemnisés travaillaient dans des établissements inscrits sur les listes établies par arrêté ministériel.
Le sujet de deux procédures en cours
Les mineurs font à leur tour appel à la justice, comme le relaie France 3 Lorraine. "La nouveauté dans le dossier des mineurs, c'est que précisément on sort de cette catégorie [amiante]", explique Me Jean-Paul Teissonnière, avocat, spécialiste des questions de responsabilité et d'indemnisation en matière de sécurité au travail. "Les mineurs ont été exposés à des risques multiples, dont l'amiante, mais aussi des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), du trichloréthylène, des solvants", détaille-t-il. Or ces cancérigènes ont été utilisés de "façon massive" et "sans aucune protection dans les mines", selon Jean-Paul Teissonière. Il estime aussi que la dangerosité des produits "était augmentée par le confinement dans lequel travaillaient les mineurs".
Par ailleurs, François Dosso juge que "le manque d'information de l'employeur est une faute". Le délibéré ne sera connu que dans un mois, selon le syndicaliste, qui s'attend à une procédure longue. Dans quelques semaines, une autre audience aura lieu devant le conseil des prud'hommes de Forbach (Moselle). Cette fois, 760 mineurs retraités des bassins houillers de Moselle réclameront réparation. "Si les prud'hommes nous donnent raison, il y aura forcément un appel. Cela peut aller ensuite jusqu'à la Cour de cassation. Pour ces mineurs de Moselle, on s'attend à une fin de procédure en 2019, pas avant", précise François Dosso.
Une "bombe à retardement" pour le droit du travail
Peut-on s'attendre à une extension de ce préjudice d'anxiété à d'autres domaines ? "Juridiquement, rien ne s'oppose à ce que ce préjudice soit généralisé à d'autres expositions", assure Me Thomas Montpellier à francetv info. "On peut aussi imaginer que la Cour de cassation apporte des limites", nuance-t-il. Dans le cas de l'amiante, par exemple. "Ainsi, on peut dire que travailler dans des bureaux d'une tour parisienne bourrée d'amiante, ce n'est pas la même chose que de manipuler directement de l'amiante sans aucune protection", explique-t-il.
Dans tous les cas, le temps d'incubation des maladies liées à l'amiante (cancers, fibroses…) peut être très long, jusqu'à vingt ans. "Ce dossier est une bombe à retardement dans les années à venir", estime encore Thomas Montpellier.
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