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"C'est encourageant, mais pour arriver où ?" : neuf ans après le scandale, le procès du Mediator a enfin débuté

Neuf ans après la révélation du scandale autour de cet antidiabétique, le procès des laboratoires Servier et de l'Agence du médicament s'est ouvert lundi à Paris. Le tribunal a tenté de temporiser un sentiment général d'"impatience" et de "frustration".

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
La salle des débats au premier jour du procès dit du Mediator, devant le tribunal correctionnel de Paris, le 23 septembre 2019.  (BENOIT PEYRUCQ / AFP)

Des avocats en robe noire, des parties civiles émues, des témoins hagards, des journalistes aux aguets... Le premier étage du tribunal de grande instance de Paris avait des allures de fourmilière, juste avant l'ouverture du procès du Mediator, lundi 23 septembre. Prévu pour durer au moins six mois, avec plus de 2 600 parties civiles, une vingtaine de prévenus et des dizaines d'avocats, ce rendez-vous judiciaire se distingue par son caractère exceptionnel. L'audience concernera essentiellement des faits de "tromperie aggravée", pour lesquels les laboratoires Servier, fabricant du médicament antidiabétique vendu comme coupe-faim, sont jugés.

Cinq salles d'audience ont spécialement été réquisitionnées pour le premier jour de ce procès hors norme. Elles se remplissent à vue d'œil. Personne n'est encore assis et l'effervescence règne. Les avocats de la défense se mêlent à ceux des parties civiles. Quelques journalistes circulent parmi eux. "Excusez-moi, est-ce que tous les avocats des parties civiles se sont enregistrés ?", crie l'huissière pour se faire entendre dans le brouhaha ambiant de la salle dite "interactive". Equipée d'un écran géant, sur lequel sont retransmis les débats dans la salle principale, elle permet aux témoins et avocats d'intervenir en direct. Avec un air de monsieur Loyal, un huissier rappelle les règles : pas de captation sonore ou visuelle. Puis tout le monde s'assoit sagement. Peu avant 14 heures, le silence se fait.

"Les débats vont être très techniques"

"Ce procès s'ouvre presque dix ans jour pour jour après la suspension de la commercialisation du [Mediator]", commence la présidente du tribunal, Sylvie Daunis, d'une voix claire et limpide. "Le tribunal est conscient des sentiments d'impatience et de frustration que cela a pu créer", poursuit-elle en parlant du temps qui s'est écoulé depuis.

Certains se sont posé la question de savoir si ce procès était utile. Il appartient aux sociologues et à chaque citoyen de répondre à cette question, pas au tribunal.

Sylvie Daunis, présidente du tribunal

à l'audience

Sylvie Daunis tient à rappeler le rôle de la justice dans ce scandale sanitaire : "Le tribunal n'est pas compétent pour dire combien de morts le Mediator a pu causer. (...) Le tribunal est là pour dire le droit, avec toute l'aridité que cela suppose." Une manière de s'imposer en cheffe d'orchestre et de donner le ton pour les 123 audiences à venir. "Les débats vont être très techniques", prévient-elle peu après. Elle conclut son propos liminaire en citant Mark Twain : "Le danger, ce n'est pas ce qu'on ignore. C'est ce que l'on tient pour certain et qui ne l'est pas."

Plus d'une heure pour énumérer les parties civiles

L'attente a été longue et, pourtant, il va falloir attendre encore. Car, dans ce dossier, tout prend du temps et l'audience n'en est que le reflet. D'abord avec l'appel des prévenus, qui se serrent à la barre. Puis avec la longue lecture des faits qui leur sont reprochés. Et enfin, avec l'énumération des parties civiles, "telle qu'elle résulte de l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel". Car les victimes peuvent se constituer partie civile tout au long du procès, jusqu'aux réquisitions du parquet. 

"Ce n’est pas parce qu'il y a plusieurs milliers de victimes qu’il faut faire l'impasse", estime la présidente avant de commencer la lecture de la liste par ordre alphabétique. Autant de noms et prénoms qu'elle égrène avec ses assesseures pendant plus d'une heure. Fuchsia, jaune, bleu, orange et vert fluo... Pendant cette lecture, une carte de France colorée, avec la proportion de victimes par région, est projetée. C'est en Provence-Alpes-Côte-d'Azur que leur nombre est le plus élevé, puis en Ile-de-France, dans les Hauts-de-France et dans le Grand Est.

"C'est encourageant, mais pour arriver où ?"

A la lettre D, Hocine entend son nom : Delmi. Ce technicien de laboratoire à l'Ecole des ponts et chaussées, âgé de 60 ans, a pris du Mediator pendant deux ans, parce qu'il avait du diabète et qu'il était en surpoids. Il a pris un jour de congé pour assister à l'ouverture du procès. Ensuite, il se fera représenter par un avocat. "Je me suis replongé dedans ce week-end seulement", dit-il en désignant l'épais dossier qu'il tient entre ses mains. Deux rangs plus loin, Marie, venue accompagner son amie Germaine, qui a pris du Mediator pendant plusieurs années, regrette le désistement de l'avocate de cette dernière peu de temps avant le procès. Quant à l'organisation de la journée, elle la trouve "un peu chaotique". "La coordination est difficile, chacun a des instructions différentes", estime-t-elle.

Hocine Delmi, lui, veut rester positif sur la suite des débats. "C'est encourageant, mais pour arriver où ?", s'interroge-t-il. Il résume à sa manière cette première journée. 

C'est un peu le foutoir, mais il y a quelque chose de tracé.

Hocine Delmi, partie civile

à franceinfo

La présidente du tribunal clôt les débats en appelant tous les témoins pour les informer de la date de leur audition. Puis elle suspend l'audience jusqu'à mercredi, 13h30. Mardi marquera une journée blanche, le temps d'examiner les questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) et d'autres questions procédurales. Il va falloir patienter encore un peu avant d'entrer dans le vif du sujet. 

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