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Génocide au Rwanda : Félicien Kabuga dans le box, un procès pour l'Histoire

Le procès de cet homme clé du génocide au Rwanda en 1994 va s'ouvrir devant la justice internationale à La Haye aux Pays-Bas, ce jeudi 29 septembre. C'est un moment très attendu par les familles de victimes.

Article rédigé par franceinfo - Jean-Marc Four
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Des journaux kenyans évoquant Felicien Kabuga, 27 septembre 2022. (JAMES WAKIBIA / MAXPPP)

"Nous aurons les yeux rivés sur la Cour : qu’elle rende cette Justice que nous attendons depuis trois décennies". Voilà ce qu’écrit 28 septembre dans son éditorial, le quotidien New Times, de Kigali, la capitale du Rwanda. Tout le pays attend ce procès : Kabuga a échappé à la justice pendant 25 ans. Or, il sait tout de ce qu'il s’est passé en 1994, lors de ce génocide qui a fait 800 000 morts, dans leur immense majorité, membres de la minorité tutsie. Kabuga était alors l’un des hommes les plus riches du Rwanda. Il est considéré comme l’un des financiers du génocide, au Rwanda certains le surnomment même "l’architecte". Proche du pouvoir hutu, il a armé les milices extrémistes Interhamwe, qui ont perpétré l’essentiel du génocide. Il est également soupçonné d’avoir importé des centaines de milliers de machettes. Kabuga était aussi l’un des dirigeants de la Radio des Mille Collines, cette radio devenue tristement célèbre avec ses appels en la haine pour exterminer "les cafards", comprenez les Tutsi. Kabuga, c’est encore l’homme qui connait les noms de tous les financiers, de toutes les banques qui ont été impliquées directement ou indirectement dans la tragédie. Plusieurs noms de grandes banques occidentales, belges, suisses, françaises, ont été régulièrement citées.

La longue cavale du financier du génocide

Kabuga, c’est donc l’homme qui connaît toutes les faces cachées du génocide et il a échappé à la justice pendant plus de 25 ans : c’est l’autre volet, mystérieux, de ce dossier. Kabuga a fini par être arrêté il y a 2 ans et demi, en mai 2020, dans un appartement d’Asnières (Hauts-de-Seine), en banlieue parisienne. Il y coulait des jours discrets sous le nom d’Antoine Tounga avec un passeport de la République démocratique du Congo. Auparavant, il avait toujours échappé aux recherches, bien qu’on ait trouvé des traces de sa fuite en Suisse, au Kenya, aux Comores, en Allemagne, en Luxembourg. Et donc, finalement, en banlieue parisienne. Ses relations avec la France sont d’ailleurs troublantes. Un seul exemple : son gendre a servi de traducteur au très controversé juge Bruguière lorsqu’il instruisait l’enquête sur l’assassinat du président Habyarimana, l’élément déclencheur du génocide.  Kabuga c’est donc aussi l’homme qui sait tout sur les réseaux qui ont permis à nombre de génocidaires rwandais d’échapper à la justice pendant de longues années.  

Le risque de l'enlisement procédural avec un accusé très âgé

Le risque, c'est que ce procès à La Haye ne soit pas à la hauteur des attentes pour plusieurs raisons. La première, c’est l’âge de l’accusé, qui a entre 87 et 89 ans. On dit Kabuga fatigué, voire sénile. Il a d’ailleurs cherché à faire annuler ou reporter le procès pour ce motif. Donc il pourrait ne pas dire grand-chose pendant les audiences. Deuxième raison, il est en conflit avec son propre avocat. Me Emmanuel Altit ne veut pas obtempérer aux consignes que cherchent à lui imposer les enfants de Kabuga. Donc l’exercice de la défense sera compliqué. Enfin, troisième raison, il y a des doutes sur la solidité des éléments collectés dans le dossier d’accusation. C’est une faiblesse récurrente de la justice internationale. De là, à voir le procès s’enliser dans des procédures et accoucher d’une souris, il n’y a qu’un pas.

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