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Regard sur l'info. Le piège de la croissance verte

Chaque dimanche, Thomas Snégaroff reçoit un auteur dont la thèse éclaire l'actualité. Aujourd'hui, il est question de la croissance verte, un leurre dangereux pour l'économiste Hélène Tordjman qui vient de publier "La croissance verte contre la nature, critique de l'écologie marchande".

Article rédigé par franceinfo, Thomas Snégaroff
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
L'écologie marchande, la croissance verte, un leurre ? (Illustration) (BORIS SV / MOMENT RF / GETTY IMAGES)

Hélène Tordjman économiste, maître de conférences à l'Université Sorbonne Paris-Nord qui vient de publier La croissance verte contre la nature, critique de l'écologie marchande, aux éditions de la Découverte, est l'invitée de Thomas Snégaroff. Des ingénieurs ont mis sur le marché une petite révolution, un drone pollinisateur. Un numéro d'Envoyé spécial nous en parlait, il y a deux ans déjà. 

franceinfo : Des robots pollinisateurs, du pollen diffusés par des drones. On est aux États-Unis, mais on y songe partout. On est là, je crois au cœur de votre livre ?

Hélène Tordjman : Oui absolument. C’est tout à fait typique de l’absurdité du monde contemporain où, dans le même temps, on tue des abeilles par des néonicotinoïdes qui ne sont toujours pas interdits, et on invente des libellules robots qui vont venir polliniser les fleurs.

Mais on pourrait dire, "c’est formidable, voilà une solution !", non ? 

Ce n’est pas une solution. On ne va pas pouvoir refaire toutes les fonctions effectuées par la nature dans la biosphère. La cycle de l’eau, du carbone etc. ce n’est pas ce qui peut être fait par les machines 

Plus largement, ce que vous rejetez c’est le technicisme, la croyance folle selon laquelle la technique peut régler les problèmes environnementaux… 

Alors, c’est la technique et le marché. Le capitalisme industriel qui existe depuis deux siècles a montré ses limites en termes environnementaux mais aussi du bien-être humain. Le problème, logiquement faux, c’est de chercher dans le capitalisme industriel des réponses aux problèmes qu’il a lui-même posés. En le faisant, on ne fait qu’approfondir le problème.  

Vous ne croyez pas du tout au marché vertueux ? Par exemple, les quotas de carbone ?  

Non je n’y crois pas. Les économistes n’ont jamais réussi à prouver la supériorité du mécanisme du marché. Cela relève de la foi, du dogme de l’économie orthodoxe. Les marchés sont rarement à l’équilibre. Regardez le marché du travail, de l’immobilier, les marchés financiers… Ils nécessitent toute une série d’institutions autour pour fonctionner correctement. Le libre marché tout seul ne fonctionne pas.  

Si l’on revient au titre du livre, vous considérez que la croissance ne peut être verte, c’est un oxymore, "croissance verte" ? 

Aujourd’hui, on a besoin de décroître. Je sais que ça fâche beaucoup de gens, mais on a besoin de réduire notre empreinte sur la planète. Cela ne peut passer que par une baisse de la production matérielle. C’est impossible autrement… 

Et pour vous, les solutions techniques qu’on a évoquées, c’est une forme de leurre qui nous empêche de penser un autre monde ? 

Oui, ça nous rassure de nous dire que l’homme est tellement ingénieux, intelligent. On trouvera toujours des solutions… Or, le problème est tellement énorme aujourd’hui, ce ne sont pas solutions techniques ou locales qui suffiront.

Vous n’êtes tout de même pas hostile aux solutions, peut-être à court terme, mais comme les outils développés pour nettoyer les océans ou les voitures électriques ? 

Non, c’est nécessaire pour une transition, mais la voiture électrique pose aussi des problèmes. Elle n'est pas si verte que ça, il y a tout le problème du recyclage des batteries, l’extraction de terres rares etc….Mais ceci dit, il faut tout de même être pragmatique, on ne va pas pouvoir tout changer miraculeusement tout d’un coup. 

Hélène Tordjman, La croissance verte contre la nature, vient de paraître aux éditions de La Découverte. 

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