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Regard sur l'info. Faut-il déboulonner les statues ?

Thomas Snégaroff, dans "Regard sur l'info", reçoit un auteur qui pose son regard sur l'actualité. Aujourd'hui, c'est l'historienne Jacqueline Lalouette qui vient de publier Les statues de la discorde aux éditions Passés/Composés. Les statues des "grands hommes", déboulonnées, vandalisées, sont au coeur de l'actualité. 

Article rédigé par franceinfo, Thomas Snégaroff
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
La statue déboulonnée du colon Pierre Belain d’Esnambuc, en Martinique, le 26 juillet 2020. (FRANCOIS MARLIN / LA PREMIERE)

Jacqueline Lalouette, historienne et spécialiste de l'identité politique et religieuse de la France, notamment de la IIIe République, travaille depuis 20 ans sur le peuple de statues en France. Elle vient de publier Les statues de la discorde aux éditions Passés/Composés. 

Jacqueline Lalouette étudie le cas de la France ultra-marine et continentale, où diverses statues liées à l’histoire de l’esclavage et de la colonisation furent contestées, vandalisées et, pour certaines, détruites. Les statues des " grands hommes " sont au coeur de l'actualité. Pourquoi sont-elle aujourd'hui vandalisées et déboulonnées ? Entretien avec Thomas Snégaroff.

franceinfo : Jacqueline Lalouette, pour effacer les traces du passé, les établissements scolaires Washington, Jefferson, ou même Abraham Lincoln sont débaptisés à San Francisco, j’imagine que ça doit vous inspirer…    

Jacqueline Lalouette : Je précise pour Lincoln, accusé d'avoir autorisé en 1862 la pendaison de guerriers Sioux, qu’il s'agissait de 38 Indiens Sioux, effectivement tués, mais qui figuraient sur une liste de 303 noms qu’on lui avait présentée. Il a refusé de signer pour toute cette liste, mais il lui a semblé qu’il ne pouvait pas dire non pour tous, donc il a "choisi" 38 noms parmi les Indiens qui avaient été les plus actifs dans la lutte contre les Blancs.  

Ce que vous venez de faire là, c’est un travail d’historien, vous venez de nuancer une information donnée brute, et qui a abouti à une décision que certains jugeraient sans doute de "brutale, comme celle de débaptiser une école. C’est selon vous, la mission de l’historien, de contextualiser en permanence ?  

Absolument. Et si on l’avait davantage fait tout au long de l’année 2020 au sujet des statues qui ont un lien direct ou indirect avec l’histoire de l’esclavage ou l’histoire de la colonisation, il y aurait eu moins de dégâts, et de propos plutôt absurdes ou stupides…  

C’est l’inculture qui explique ces actes ou ces mots ?   

J’hésite ente inculture, ignorance et mauvaise foi, manipulation. Dans le cas des deux statues martiniquaises de Victor Schœlcher, brisées le 22 mai 2020, tout se mêle. Par exemple, quand on entend que Schœlcher a voulu indemniser les propriétaires des esclaves, mais a absolument refusé d’indemniser les esclaves, c’est totalement faux. Il suffit de lire ses discours prononcés en 1849 quand la question des indemnités s'est posée.

Quand on lui fait dire que les esclaves étaient comme des bêtes, avaient un comportement abject, il faut lire la suite ! Il dit que si les Noirs sont ainsi, ce n’est pas par essence, mais c’est parce qu’ils sont les victimes des comportements des propriétaires blancs qui les ont déshumanisés. Ce sont eux les véritables responsables, pas les Noirs.

Mais si on prend la statue du Maréchal Bugeaud à Périgueux, là c’est un cas différent, parce qu’il y a dans l’inscription, des formulations choquantes. Quand on dit que Bugeaud a pacifié l’Algérie, et quand on sait comment l’Algérie a été pacifiée sous la Monarchie de Juillet (1830-1847), ça fait tousser… Il faut prendre statue par statue, pour voir ce qui peut poser problème.  

Vous n’êtes pas hostile à l’idée d’ouvrir le champ statuaire à de nouvelles incarnations, pour faire exister dans l’espace public d’autres mémoires…  

Je crois même que c’est la bonne solution. Plutôt que d’abattre des statues, de les détruire irrémédiablement, il me semble que la meilleure solution c’est de rééquilibrer les images érigées dans l’espace public, avec notamment de nouvelles figures, notamment des figures de libérateurs des esclaves, noirs eux-mêmes, et que les contestataires ne semblent d’ailleurs ne pas connaître.  

Dans cet ouvrage, Jacqueline Lalouette étudie le cas de la France ultramarine et continentale, où diverses statues liées à l’histoire de l’esclavage et de la colonisation furent contestées, vandalisées et, pour certaines, détruites. (EDITIONS PASSES/COMPOSES)

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