Trains de nuit : pour Jean Viard, "cela correspond à un mode de tourisme intelligent, on a envie de partir en voyage, pas de polluer"

Voyager de nuit est redevenu à la mode. Que faut-il en penser par rapport à notre style de vie ? Décryptage avec le sociologue Jean Viard.
Article rédigé par Jules de Kiss
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Paris, 12 décembre 2023. Arrivée du train de nuit Berlin-Paris gare de l'Est. Un nouveau service de nuit entre Berlin et la capitale française. Un train géré par la SNCF et la Deutsche Bahn, les rames du train sont celles de la compagnie autrichienne OeBB. (ALEXIS SICARD / IP3 / MAXPPP)

Des habitants de Rennes manifestent aujourd'hui pour demander à ce qu'un train de nuit passe par leur gare. Certains ont fait de même à Brest, la semaine dernière, et on a vu ce même genre de manifestation à Nancy, ou encore à Lyon, le mois dernier. Des mouvements soutenus par des associations écologistes comme Greenpeace, bien souvent, alors que des lignes de trains de nuit ont aussi rouvert récemment : Paris-Bayonne, Paris-Aurillac, Paris-Berlin.

franceinfo : Comment expliquer ce regain de popularité du train de nuit en France ?

Jean Viard : Il faut toujours être relatif, les gens qui prennent le train de nuit a doublé. On est passé de 350 000 à peu près, à 700 000, entre 2019 et aujourd'hui. Mais il y a aussi une question de nombre de lignes. On a restauré 129 voitures, pour être tout à fait précis. Après, il y a eu 122 millions de clients dans le TGV, la même année. Donc il faut garder les ordres de grandeur pour se rendre compte que le train de nuit est une demande. D'ailleurs, les trains de nuit partent tous de Paris pour aller vers le sud. Ça a un petit côté week-end.

La deuxième chose, c'est, au fond, pourquoi on avait arrêté le train de nuit ? On l'a arrêté au moment où on a lancé le TGV dans les années 80, au moment où les vols low cost étaient moins chers que les trains de nuit. Et puis parce qu'il y avait aussi des problèmes de sécurité, il y a eu plusieurs affaires de femmes attaquées, de viols, il y avait un sentiment d'insécurité, donc tout ça s'est ajouté. Et puis les valeurs des années 80, c'était la vitesse et le développement, évidemment, de l'automobile. Donc on voulait aller vite, on voulait aller loin, etc.

Et nous, on a changé de monde. Même si la plupart des gens ne prennent pas le train de nuit, mais ça se développe, on est dans une époque marquée par la question de l'impact écologique, le train de nuit est beaucoup plus écologique que l'avion, évidemment, par le fait que la lenteur, ce qui renvoie à Pierre Sansot et son éloge de la lenteur, il y a déjà 30 ans en arrière, mais la lenteur peut être vue comme un principe positif.

Le train de nuit est fonctionnel. Je pars vers 10h du soir de Paris. J'arrive à 6h du matin à Toulouse ou à Venise. J'ai gagné une nuit d'hôtel, j'ai dormi. Et puis peut-être que j'ai rencontré des gens, bu un café, etc. C'est un lieu de rencontres. En avion, on ne rencontre personne. Donc c'est une tendance. Mais comme toujours, faisons attention. C'est une tendance des grandes villes qui vont dans des grandes villes, pour une population extrêmement urbaine.

Mais le train de nuit Paris-Berlin par exemple, il a été abandonné dans les années 80. Là, on le voit revenir aujourd'hui. Pour vous, le train de nuit, ça correspond à l'air du temps maintenant, et plus au passé ?

Oui, bien sûr, ça correspond à de nouvelles exigences, ça correspond au fait qu'il y a aussi de plus en plus de touristes, et que donc le fait d'aller à Berlin par exemple, faut pas se leurrer, ce sont des trains avec beaucoup de tourisme et de week-end, donc ça correspond à une mode de tourisme intelligent, de gens qui effectivement essaient, comme le développement des campings de pleine nature, etc.

Il y a de nouvelles passions qui sont liées à nos modes de vie. On a envie de partir en voyage, on n'a pas envie de polluer, donc comment on gère ça ? On voit très bien que l'avion, à l'intérieur de l'espace français a diminué, mais pas au niveau mondial, là ça a augmenté. Les Français, quand ils veulent aller partout, ils prennent l'avion, mais en France, ils prennent plutôt le train.

La SNCF n'a jamais eu autant de clients, et ils en auraient plus, s'ils avaient plus de voitures. Ils n'avaient pas prévu cette explosion liée au Covid, donc ils manquent de train physiquement en ce moment, ils sont en train d'en refabriquer à toute vitesse, mais je crois qu'il leur faut encore deux ou trois ans pour avoir des rames.

Donc s'il y a une évolution des mentalités qui est extrêmement profonde, et l'augmentation du public du TGV, alors que c'est souvent plus cher que l'avion, ou le train de nuit qui effectivement se développe un peu, c'est la même question, c'est : comment se déplacer de manière plus écologique dans la société. Et vous savez, on dit aussi que les gens qui prennent l'avion sont souvent coupables. Ils le font, mais ils se sentent coupables. Donc je dirais que le sentiment général de la société, on le mesure dans ces chiffres.

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