Question de société. Jean Viard sur la laïcité : "Quand le politique est en crise, le religieux reprend la main"
Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'Intérieur, en charge de la Citoyenneté, a lancé, un peu à la surprise générale, des États généraux de la laïcité cette semaine. Jules de Kiss et le sociologue Jean Viard reviennent sur ce débat.
Question de société sur la laïcité cette semaine, puisque la ministre en charge de la Citoyenneté, Marlène Schiappa, a lancé des États généraux de la laïcité. Plusieurs réunions d'intellectuels et des groupes de travail qui vont se mettre en place jusqu'à l'été. Une consultation auprès des jeunes aussi. Tout cela a commencé donc au début de la semaine, et ce, alors qu'on sort à peine du débat sur le projet de loi contre les séparatismes à l'Assemblée nationale. L'idée, c'est de faire vivre ce débat sur la laïcité ailleurs que sur les réseaux sociaux, avec les dérives possibles qu'on y trouve.
franceinfo : Est-ce que, d'après vous, Jean Viard, les Français ont envie, ont besoin de débattre sur la laïcité ?
Jean Viard : Moi, je ne crois pas que ça soit un enjeu à ce niveau-là très important, mais ce qui est vrai, c'est que les choses ont profondément changé. La première chose, c'est qu'on élève tous nos enfants ensemble. Quand on amène 80% des enfants au bac, moi, vous voyez, dans ma classe, il n'y avait aucun enfant qui s'appelait Mohamed. Donc, les choses ont changé, les jeunes se connaissent, ils s'apprécient, quelles que soient leurs coutumes, leur religion, leur couleur de peau, leur costume. Ça, c'est une première chose.
La deuxième chose, c'est qu'on vit dans un monde mondialisé et qu'on ne peut plus faire comme si on était une "île intellectuelle". Donc, les jeunes, ils regardent des télés, ils regardent des séries, il y a des séries anglaises où y a pas le même rapport entre les religions, etc. Et ça, il faut y être extrêmement attentif parce que c'est la même question que les caricatures. Le principe de caricature est fort et légitime, mais après, quand on dessine, on doit penser que l'ensemble du monde le voit. Donc, si on n'a pas cette pensée mondiale des faits locaux, on passe à côté d'un enjeu majeur. Il y a tout ça.
Et puis, de l'autre côté, ne nous cachons pas, il y a une pression des salafistes, une pression de mouvements islamistes, une pression souvent financée par le Qatar ou par l'Arabie saoudite qui développent dans certains de nos quartiers des moyens, des groupes, des mosquées, mais pas seulement, des associations culturelles et sportives, etc. Donc, il y a un état des lieux de rapports de force, faut pas s'en cacher. Mais le problème, il est plutôt à ce niveau- là.
Je pense que la laïcité est la toile de fond d'un principe de tolérance et des valeurs de la République. Et ça, j'y suis, comme beaucoup de monde très attaché, mais en face, effectivement, on a eu un État faible, qui a peu réfléchi sur ces quartiers, qui les a, au fond, essentiellement traités par le bâtiment. Alors on dépense des milliards, et c'est tant mieux, à améliorer le cadre bâti avec l'ANRU (l'agence nationale pour la rénovation urbaine). Mais au fond, c'est quoi le projet pour les enfants de ces quartiers ? C'est quoi pour ces enfants qui sont biculturels, qui amènent une autre culture dans la nôtre? C'est une chance, c'est une ressource. C'est un apport. Peut-être qu'ils parlent d'autres langues, peut-être qu'ils ont une intimité culturelle avec le Maroc, l'Algérie, le Mali, le Sénégal ? Au lieu de se dire on a une richesse qui nous arrive, comment on en tire profit...
Au fond, on en est très embêté parce qu'on n'arrive pas à les cacher, vous savez derrière tout ça, il y a quand même le poids d'une mémoire coloniale. On ne peut pas enlever ce poids, et il se trouve qu'on ne fait pas ce travail-là suffisamment fort, pour dire effectivement, on a à construire dans ces faubourgs, une façon pour ces jeunes de se fondre dans la société, par leurs études, par leurs sports, par leurs activités culturelles. C'est une richesse en plus, mais on le traite comme une richesse en moins.
Et justement, pour revenir à cette question de la laïcité, vous avez abordé l'évolution de la perception de la laïcité dans le temps, notamment auprès des jeunes. Et il y a dans ce projet d'États généraux de la laïcité une consultation lancée auprès de 50 000 jeunes pour savoir justement quelle est leur conception de la laïcité et qui n'est donc pas forcément la même aujourd'hui. Que l'on soit jeune au sortir de l'adolescence, ou alors plus âgé qu'on ait la cinquantaine ou plus...
Mais parce qu'on n'a pas vécu dans le même monde. Moi, quand j'étais enfant, l'Algérie était encore la France. Forcément, on ne m'a pas appris les mêmes choses que ce qu'on apprend aujourd'hui. Les générations plus jeunes que moi qui n'ont pas été aussi scolarisées ensemble, n'ont pas la même approche, qui n'ont pas regardé autant de séries, qui n'ont pas passé autant de temps sur des films, etc. Dans le monde numérique, si vous voulez. Depuis 15 ans, on est dans le monde du numérique, donc le monde du numérique ne connaît pas les frontières. Donc, on doit réfléchir à toutes ces dimensions, non pas pour reculer sur nos principes, mais pour comprendre qu'ils doivent être pensés en relation avec ce qui arrive par le petit écran, etc.
Mais là où on a été pris à contre-pied, c'est qu'on croyait tous que les religions, c'était un peu fini. Il y a 30 ou 40 ans, la plupart des gens pensaient que la question religieuse était marginalisée, renvoyée aux vieilles dames, si on peut se permettre ce genre de parallèle, ou aux naissances et parfois aux enterrements. Et puis, on se rend compte que ce n'est pas vrai. Parce que quand le politique est en crise – Michel de Certeau le disait très bien – le religieux reprend la main, et en plus, nous, il y a une nouvelle religion qui s'intègre dans la société française, qui cherche sa place, et qui est la deuxième religion en France, c'est l'islam. Et on ne lui fait pas la place légitime qu'elle a, ce qui favorise tous les extrémismes.
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