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Question de société. Jean Viard : "Ce sont les hommes qui vont faire l'histoire, celle des 20 prochaines années, mais il y a un risque d'éclatement"

Le sociologue analyse les enjeux de la crise.

Article rédigé par franceinfo, Jules de Kiss
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Coronavirus. (GETTY IMAGES)

franceinfo : Premier épisode de 2021, avec le sociologue Jean Viard : beaucoup espèrent que cette nouvelle année en finisse avec le virus, est-ce que ce sera l’année de la libération ?

Jean Viard : on est passé de l’autre côté du miroir, on pourrait relire Lewis Carroll. On est de l’autre côté du miroir, on ne sait pas encore ce qu’il va se passer mais on sait qu'on est de l'autre côté…Dans une année qui va être double. Parce que ce qu’on sait aujourd’hui c'est qu'on va rentrer dans la phase du vaccin, ion va continuer à avoir des morts, il va y avoir des discussions à n’en plus finir sur : "Est-ce que c’est bien, est-ce qu’il faut le faire, et en même temps, petit à petit, on va rentrer là-dedans, avec une société dans laquelle la pandémie sera, en partie, un souvenir.

Et donc après, on va avoir des désirs, ça va être une année de voyages, d’amour, de vacances, de séduction, mais aussi, des années opportunes pour créer des entreprises, pour monter des associations nouvelles. Parce qu’on est dans une phase de changement accélérée. Il y a évidemment des entreprises qui vont faire faillite. Il y a des restaurants qui ne rouvrirons jamais. Il va y avoir des suicides de petits patrons, il va y avoir des désespoirs d’artistes, il y a cette dimension là, mais il y a aussi des innovations parce qu’on a basculé dans le monde numérique. Donc, les gens qui sauront trouver une opportunité pour créer un tiers lieu, un espace de coworking, les start-ups qui vont apporter des réponses aux questions technologiques…

Au fond, on va passer, si on est positif, dans un nouveau champ politique. On était dans un champ politique issu de la révolution industrielle dans lequel on opposait la propriété et le travail. On va essayer de sortir de cette opposition, y compris avec les masques qui sont fabriqués en Asie ce qui est une absurdité totale ! Et là au fond, ça va être un affrontement entre écologie de croissance et écologie de décroissance. Et je pense qu’on va reconstruire le champ politique, parce que la toile de fond du monde de demain, c’est la lutte contre le réchauffement climatique et il y a différents chemins qui vont s’affronter. Il y aura un peu de l'un, un peu de l’autre, comme souvent. Et c’est ça l’alternance démocratique. Et j’espère que c’est elle qui va gagner et pas les populismes.

Mais les populismes, au fond, c’était un monde sans espérance. J’ai tendance à penser que là, il y a une bataille qui commence, c’est celle de l'écologie de la décroissance et d'écologie de la croissance, donc dans les deux camps, on va se remobiliser pour sortir du réchauffement climatique et on a 20 ans devant nous, c’est-à-dire une génération politique.

Si on parvient à maîtriser le virus et à relever collectivement ce défi est-ce que c’est du genre à apaiser les fractures de notre société ou au contraire à laisser le champ libre à l’expression de ses fractures ?

Il y a plus de pauvres. Il va peut-être y avoir deux millions de séparations. Des gens seuls… Des gens en difficulté… Il va y avoir des secteurs économiques en faillite, parce que, par exemple : est-ce qu’on va reprendre l’usage de l’avion comme hier ? Ce n’est pas sûr du tout ! Ce n’est pas qu’on ne prendra plus l’avion, mais peut-être que l’idée d’aller pour trois jours à New York avec un billet Ryan Air à 40 euros ça va être fini…

Donc il y a des champs d'activité qui vont se mettre en en faillite. D’autres qui vont exploser. Il va y avoir des basculement, des ruptures. Est-ce que les hommes vont savoir faire une politique, regardez ce qu’a proposé l’institut Montaigne en disant qu'il faut distribuer pendant deux ans 450 euros tous les mois par famille modeste, pour les aider à reconsommer, à relancer la machine. Peut-être en les prenant de l’autre côté,avec une surtaxe sur les riches pour qu’on ait un sentiment de solidarité entre les deux bouts qui se sont écartés dans cette société. Vous voyez, si on arrive à cela ce sera positif.

Ce sont les hommes qui vont faire l’histoire. Il y a un risque d’éclatement. Il y a 25 ans déjà j’avais écrit Une société d’archipels. Avant on était unifiés  par des grandes classes sociales qui s’affrontaient, mais il faisait chaud dedans. On était dans sa classe sociale, on militait ensemble, On était pauvre, ou riche, mais ensemble pour les autres. Nous, nous sommes devenus une société d’archipels, beaucoup plis complexe. Il est possible que le chemin de la lutte contre le réchauffement climatique nous rassemble mais je dirais que le jeu politique va être très important dans cette période et nous avons les cartes en main. 

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