Question de société. A-t-on atteint les limites de l'acceptabilité des décisions prises par le gouvernement face à la crise ?
La révolte des restaurateurs et des cafetiers marseillais, ainsi que celle des élus est, selon le sociologue Jean Viard, dûe à un manque de concertation, mais il ne faut pas oublier les vies sauvées
À Marseille, les bars et restaurants doivent fermer ce soir, pour tenter de freiner la propagation du Covid, explique le gouvernement, et éviter une éventuelle saturation dans les services de réanimation. On attend toujours la publication de l’arrêté préfectoral qui actera cette mesure. Les bars et restaurants doivent fermer alors que d’autres lieux publics restent ouverts, comme les salles de spectacles, les cinémas, les musées…
franceinfo : Jean Viard, vous avez consacré quatre ouvrages à Marseille, une ville que vous connaissez bien, vous y avez été élu municipal de gauche, candidat aux législatives pour La République en marche et vous êtes avec nous tous les dimanches matin sur franceinfo pour "Question de société" ; votre regard de sociologue sur l’actualité. Aujourd’hui, le rejet suscité par cette fermeture des bars et des restaurants à Marseille. Les élus se sont insurgés à l’annonce du gouvernement. Les restaurateurs aussi ; on les a beaucoup entendus. Atteint-on les limites de l’acceptabilité de la décision politique, après maintenant sept mois de contraintes liées à cette crise sanitaire ?
Jean Viard : il y a beaucoup d’entreprises pour lesquelles la situation est économiquement dramatique ; les restaurants, les hôtels... Et les aides ne sont effectivement peut-être pas toujours à la hauteur. Il faut dire deux choses : la première, c’est qu’on a mené depuis six mois un combat à cinq milliards et qu’on a sauvé des dizaines de millions de vies. C’est la première fois qu’on fait ça et c’est gigantesque ! Évidemment, ça a des conséquences économiques, financières, pour beaucoup de gens. Mais d’abord, disons qu’on a quand même sauvé des dizaines de millions de personnes âgées sur cette planète. En France, sans doute des centaines de milliers. Il faut rendre les gens les gens fiers du combat.
Après, il est clair que dans cette affaire, le gouvernement travaille un peu "à la godille"». On avait cru comprendre qu’on concerterait avant les décisions et là, on ne concerte pas et on vient le lendemain ! Il est clair qu’il y a des morts, il est clair qu’il y a des endroits plus dangereux que d’autres, il est clair que la jeunesse a envie de se retrouver, et c’est normal, parce que la jeunesse, c’est les papouilles ! Mais après, si il n’y a donc pas moyen d’avoir des règles de concertation ? Pourquoi le ministre n’est-il pas venu à Marseille ? En plus, ce ne sont que des médecins : le président de région, la maire de Marseille… Ne peut-on pas adopter une ligne qui soit de concerter ? C’est à l’État de prendre ses responsabilités, je n’en discute pas, mais pourquoi n’a-t-on pas concerté mieux ? Parce que sinon, regardez, il y a eu des bagarres à Londres et ailleurs. Les gens sont tous énervés : il y a 10 % des couples qui sont en train de déménager, il y a 40 % des Français qui craignent le chômage, donc forcément on est un peu énervés. Dans cette logique-là, il faut gouverner avec une main de fer, je suis d’accord, mais avec beaucoup de concertation. C’est la manière qui me choque.
Deuxième idée : il faut arrêter le cinéma avec Marseille ! On a eu le professeur Raoult, après on s’est compensés : on a regagné sur le PSG, ça nous a fait du bien ! Je le dis un peu en riant, mais c’est vrai aussi ! Faisons attention ! Marseille est une immense ville, scientifique, technologique, une ville bourrée de start-up, tournée vers le monde parce que son port… Ne faisons pas une caricature, vous savez, souvent, Marseille, c’est "avé l’accent" de Jean-Claude Gaudin. Les Marseillais n’ont plus voulu de ça, ils ont mis en place une équipe différente, la ville veut aller vers la modernité, elle tourne la page, elle travaille sa façon de vivre.
Donc, ne caricaturons pas la ville non plus : c’est une très grande ville française, Une grande ville scientifique, notre plus grand port, donc forcément, c’est une ville un peu agitée, et évidemment, c’est l’ancien port de l’empire africain. Donc il y a des savoirs technologiques et médicaux particuliers… Je veux dire ça parce que je ne voudrais pas qu’on enferme la ville dans la caricature. Je trouve que certains élus sont un peu tombés dans le panneau qu’on leur tendait. Mais aujourd’hui, il y a des élections sénatoriales et je pense que ça a un peu "agité les attitudes" !
Vous pensez que, dans les réactions de colère à Marseille, il y a cet antagonisme entre Marseille et Paris, d’un côté comme de l’autre ?
On le sait, c’est comme ça et moi je l’ai senti toute ma vie. Moi, ma carrière a décollé quand j’ai été intégré à Sciences-Po Paris ! L’antagonisme fait partie du jeu. On ne le voit que dans l’O.M., mais à Marseille, il y a plus de gens qui vont au théâtre que de gens qui vont au stade, même si ceux qui ne vont pas au stade ; quand l’O.M. gagne, ils disent "c’est nous qui avons gagné ! " Mais n’enfermons pas la ville dans cette caricature. C’est une ville absolument merveilleuse ! Alors je ne sais pas s’il faut insister sur cet antagonisme. La colère des restaurateurs, on la comprend. Certains sont au bord de l’agonie financière. C’est moins grave que d’être au bord de l’agonie médicale, il faut relativiser les choses, même si on comprend. Essayons de calmer le jeu, essayons d’apprendre à se parler. Il faut relire Camus : "Celui qui est en face de moi a une partie de la bonne réponse ".
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