Pour Jean Viard "La braderie de Lille, c'est un peu la Tour Eiffel de Lille, un événement comparable au Festival d'Avignon ou à la Féria de Nîmes"
La question de société du jour avec le sociologue Jean Viard, c'est la braderie de Lille. Environ deux millions et demi de personnes sont dans les rues de la ville depuis hier et jusqu'à ce soir. Elles déambulent parmi les stands de 8 000 exposants. On se souvient aussi de la déception immense suscitée par les annulations à cause du covid en 2022, 2021.
franceinfo : Cet événement Jean Viard, est immensément populaire, pourquoi ?
Jean Viard : C'est un peu la tour Eiffel de Lille. C'est-à-dire ? En gros, on est dans une société où on valorise les appartenances locales, les traditions. La brasserie de Lille est un évènement majeur où les gens viennent de loin. C'est à la fois une braderie, une fête, on vient y manger. Il y a des gens qui n'achèteront rien mais qui vont rester deux jours... Moi, je compare un peu au Festival d'Avignon, à la Feria de Nîmes ou à la fête des santons de Strasbourg.
Dans notre société, il y a d'immenses événements dans les territoires qui sont, soit des événements très anciens comme la braderie, soit des phénomènes plus récents comme le Festival d'Avignon créé après la dernière guerre, et qui deviennent d'énormes moments festifs. A Avignon. Il y a plein de gens qui viennent sur la place, qui ne sont jamais allés au théâtre, ce n'est pas leur souci. Là, je crois qu'on est dans la même question, et en même temps, ça incarne bien une appartenance, une culture locale, cette culture merveilleuse du Nord, cet art de recevoir, cet art de la sociabilité, on va dire Dany Boon pour faire carte postale, et donc effectivement, c'est tout ça.
Donc c'est bien l'incarnation d'une mise en scène et d'une culture. Et ça, je crois que c'est une grande force pour le monde de Lille qui est une ville qui s'est complètement transformée, qui a été portée par deux mairies successives, que ce soit Pierre Mauroy et Martine Aubry qui ont énormément fait pour la vie urbaine, pour son développement, pour l'économie locale. Rappelez-vous 'Lille, capitale européenne de la culture'. Donc tout ça rentre dans la force du pays du Nord et de sa force positive, parce qu'on parle trop souvent de sa force négative en matière de transformation économique ou en matière de climat.
Alors certains pourraient se dire que les brocantes et braderies, c'est un truc de vieux. Beaucoup de jeunes, d'enfants, y vont avec les grands-parents. Mais on voit que toutes les générations s'y mettent. Les brocantes, les vide-greniers ont la cote, il y a cette fibre de la réutilisation et du réemploi de la seconde main ?
Évidemment, il y a aussi les vide-poussettes pour dire que ce n'est pas que les vieux, puisqu'on a toutes les affaires pour les nourrissons. Et même je crois que la Camif vient de monter un fonds où vous louez les affaires de bébé, et tous les deux mois on vous donne ce qu'il faut pour le mois d'après. Vous avez l'idée que c'est fait pour être réutilisé, réparé, réutilisé. On entre dans une culture de la réutilisation. C'était déjà là, pour les logements, pour les voitures. La majorité des gens n'ont jamais acheté que des voitures d'occasion,c'est en train de devenir commun, élégant pour le vêtement, les jouets qu'on donne aux enfants.
Donc ça veut dire que notre société est entrée dans la révolution climatique, et elle est en train de changer très vite sur ce genre de choses. Avant, il y avait des gens modestes et pour eux, ils ne pouvaient pas acheter autre chose, mais aujourd'hui, il y a aussi l'élégance de l'idée que l'objet a été porté, qu'il a une mémoire, il a vécu une aventure, et au fond, on continue l'aventure de l'habitant de la veste, si on peut dire les choses comme ça. Et ça, je trouve que c'est une très belle image.
Le tout porté par le succès de plateformes numériques, on pourrait citer Le Bon Coin, il y en a beaucoup d'autres qui ont un aspect local aussi. Sur ces plateformes, on regarde où l'objet est en vente près de chez nous. C'est là que les deux sujets se rejoignent, la proximité, et ce dont on parlait ?
Oui, mais d'ailleurs la proximité s'organise toute seule. Si vous cliquez, ils vont d'abord vous proposer des choses autour de chez vous, parce qu'évidemment ils savent vous localiser. Ça contribue à construire une société du proche, et c'est ça qui se passe. C'est une société du proche et de la livraison. Je dis toujours les deux, les gens qui vont à la braderie font peut-être partie des 21 millions de familles qui ont un compte chez Amazon. Donc, les deux ne s'opposent pas. Ce qu'on cherche dans le proche, c'est peut-être une épicerie, du bon pain local, regardez le rôle des marchés quand on a su les déplacer le soir et le week-end, et en même temps, on va se faire livrer par Amazon, parce que c'est ça, le nouveau couple.
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