Environnement et méga-bassines : "Le nouveau commun de l'humanité, c'est la bataille contre le changement climatique"
À l'heure de la mobilisation contre les "méga-bassines", notamment à Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres ce week-end, le sociologue Jean Viard se penche sur cette question qui provoque de nombreuses manifestations et un débat de société, depuis plusieurs années.
Un nouveau rendez-vous de Question de société, consacré aux méga-bassines, ces réservoirs d'eau très grands, qu'on remplit en pompant l'eau des nappes phréatiques ou des cours d'eau, pour que ces réserves d'eau soient utilisées ensuite, essentiellement par des agriculteurs. La mobilisation très forte ce weekend autour d'un chantier de méga-bassine, dans les Deux-Sèvres à Sainte-Soline en est une illustration. Le décryptage du sociologue Jean Viard.
franceinfo : Vous diriez que c'est la question de l'appropriation des ressources qui se pose là-dedans ?
Jean Viard : Oui, mais l'eau est un bien commun, donc on ne peut pas vendre de l'eau. Ce qu'on vend, c'est le travail pour amener l'eau, pour le stocker, pour nettoyer l'eau etc. C'est le service qu'on vend. Ça, c'est la première chose. La deuxième chose, c'est qu'on est en période de réchauffement climatique, et on commence la bataille sur le carbone pour effectivement revenir à une planète habitable. Une bataille qui va être compliquée, mais on est là-dedans.
C'est ce qui est intéressant dans ce débat. D'un côté, on a des gens qui veulent capter l'eau pour arroser, des champs ou des golfs. Et puis, il y a des gens qui disent non, il faut laisser tomber, qu'elle aille dans les nappes et qu'elle revienne. Juste un chiffre : il tombe en France 500 milliards de mètres cubes d'eau par an, mais une grande partie –300 milliards de m3 –s'évapore avant d'arriver au sol. Donc l'eau, c'est un cycle en réalité, et il en tombe effectivement une partie sur le sol, qui rentre dans le sol, et finalement, l'humanité en prélève à peu près 10%.
Alors quand après on en prélève, l'eau ne se perd jamais, si on la nettoie, si on la remet en cycle etc., mais c'est sûr que le moins cher, c'est l'eau de pluie. Vous récupérez l'eau de pluie, il faut quand même la nettoyer, mais beaucoup moins que si elle sort d'une usine ou d'une ville. Donc c'est clair que l'eau de pluie est très avantageuse.
Après, la question c'est qu'avec le réchauffement climatique, d'une part, les pluies se déplacent plutôt vers l'hiver, regardez le temps qu'il fait en ce moment, il ne pleut pas, et c'était la même chose avant l'été, donc ça veut dire qu'entre le moment où les agriculteurs ont besoin d'eau et le moment où elle tombe, il y a un décalage. Ça, c'est un premier enjeu, et la deuxième chose, c'est qu'il fait plus chaud. Donc il faut davantage d'eau pour les cultures ou pour changer les cultures. Les deux peuvent être possibles dans certains territoires, mais pas partout. Et puis il y a les golfs, les terrains de foot, tous les lieux du jeu, du sport, etc. On peut se dire : est-ce que c'est légitime de mettre de l'eau à ces endroits ?
On peut très bien considérer que le sport est légitime, qu'il y a des gens qui font du golf, du foot, du tennis, d'autres qui courent dans la pinède. Là, ce qui fait débat, c'est d'une part qu'il y a une bassine, avec des gens qui sont contre, en disant qu'on a besoin de l'eau à un niveau plus bas, ce qui est exact. Mais le problème, c'est : est-ce qu'on peut en prélever une petite partie à la saison des pluies ?
Ce que disent aussi les opposants, c'est que c'est une fuite en avant. Plutôt que de changer le système, on confisque l'eau en quelque sorte, parce que ce n'est pas uniquement de l'eau de pluie, ce sont vraiment les nappes phréatiques et les cours d'eau ?
Oui, mais l'eau de pluie forcément rentre dans les nappes phréatiques, rentre dans les cours d'eau, et effectivement c'est un cycle, puis elle tombe dans la mer à la fin, et elle s'évapore à nouveau, et retombe dans ce processus. Et l'humanité la salit, et c'est pour ça qu'on la nettoie. Le problème, c'est que pour des décennies, on est entré dans ce combat. Au siècle précédent, c'était l'affrontement entre deux idéologies du progrès, celle favorable plutôt aux travailleurs, celle favorable plutôt au patronat, et on se disait toujours : on est pour le progrès, mais qui profite du progrès ?
Aujourd'hui, on a le même débat, on est lancé dans la guerre climatique, et il y a deux façons de mener des choses. D'un côté, je me protège, donc je stocke de l'eau. De l'autre, j'essaie au contraire de laisser vivre les écosystèmes, et il va y avoir arbitrage en permanence pour arriver, j'espère un jour, à réduire le carbone dans notre société. C'est un débat qu'on va avoir pendant des décennies et sans arrêt, on va devoir arbitrer. Cela va être vrai sur les mobilités, sur le vélo en ville, et la voiture etc.
On est dans une société d'arbitrage parce que le nouveau commun de l'humanité c'est la bataille contre le changement climatique. Et la pandémie nous a tous mis le nez là-dessus, la pandémie, les incendies, le fait que là, il fasse 30 degrés au bord de la mer etc., et c'est normal qu'il y ait débat. Et je pense que la politique va se centrer sur ce débat chaque fois : j'économise ou je change ? Et j'innove et comment ça se répartit ? On a un siècle de débat là-dessus.
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