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Enseignante tuée à Saint-Jean-de-Luz : "Il n'y a jamais de sanctuaire absolu : l'école est comme la société, il y a une certaine violence autour de l'école", estime Jean Viard

L'école peut-elle rester un sanctuaire protégé ? Décryptage avec le sociologue Jean Viard, après la mort d'une professeure d'espagnol dans un lycée de Saint-Jean-de-Luz, poignardée par un élève en plein cours, le 22 février dernier.
Article rédigé par franceinfo - Benjamin Fontaine
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
23 février 2023. Saint-Jean-de-Luz. Des fleurs déposées à la porte d'entrée du collège-lycée catholique Saint-Thomas-d'Aquin, où une enseignante est décédée après avoir été poignardée par un élève le 22 février. (GAIZKA IROZ / AFP)

Après cette semaine marquée par la mort d'une professeure d'espagnol dans un lycée de Saint-Jean-de-Luz, poignardée par un élève en plein cours, on se demande dans Question de société, avec le sociologue Jean Viard, comment, et pourquoi, les établissements scolaires ne sont plus les sanctuaires qu'ils ont pu être.

On a en tête évidemment l'assassinat de Samuel Paty, ces violences qui touchent des profs ou des élèves, violences régulièrement rapportées dans l'actualité. Pour commencer avec Jean Viard, décryptage de cette notion de sanctuaire, pour l'école, de lieu inviolable où le pire ne peut pas exister.

franceinfo : Quand on parle d'école, est-ce que cette notion de "sanctuaire" est encore une notion appropriée ? 

Jean Viard : Bon, l'assassinat de Madame Agnès Lassalle, évidemment, fait écho à Samuel Paty et il y a un risque de répliques mimétiques, comme il y a souvent, dans ce genre de situation. Donc, il y a là, une résonance qui nous traumatise tous, parce que normalement, l'école est un lieu sanctuaire. En même temps, si vous regardez les collèges, les écoles, le travail qu'on a fait depuis 20 ou 30 ans, pour mettre des portails, pour que tout le monde ne puisse pas entrer, il faut utiliser sa carte pour entrer, on a, petit à petit, fait aussi de ces lieux, des lieux plus protégés, ouverts, bien sûr, ce sont des lieux d'accueil démocratique, mais réglementés. Je crois que ça, il faut le dire.

Mais, il faut dire une chose simple : il y a une certaine violence autour de l'école. C'est difficile de donner des chiffres dans la longue période, mais les études récentes à la Fondation Jean-Jaurès, on se rend compte qu'il y a, à peu près, 7% des enseignants qui disent qu'ils ont déjà eu des agressions physiques, 45% des enseignants qui disent qu'ils ont été injuriés. 

Cette semaine sur franceinfo, on s'est penché sur ce problème pour montrer qu'il n'y a pas eu d'augmentation majeure des violences ces quatre dernières années, mais qu'il y a eu des faits plus marquants...

Voilà, il y a ces faits qui sont marquants. Après, c'est vrai que sans doute il y a un rapport des parents qui souvent, ont un peu tendance à penser que les enseignants sont un peu à leur service. Donc quand le gamin a  une mauvaise note, c'est presque si on "n'engagerait" pas l'enseignant. Là, il y a certainement des tensions.

Et puis il y a des tensions aussi, parce qu'on a démocratisé l'éducation, c'est-à-dire le collège pour tous. Tant que le collège était au fond très sélectionné socialement, il y avait peut-être moins de tensions. Là, les collèges sont très hybrides, il y a des enfants de différents milieux. Il y a aussi une jeunesse qui peut être dans des conflits idéologiques, notamment sur la laïcité, sur le récit colonial, etc. Je crois qu'il ne faut pas être complètement naïf non plus. On voit bien qu'il y a là une jeunesse en conflit.

C'est important que ces écoles soient le reflet de la société ? 

Mais oui ! Y compris qu'on parle de ça. La question, c'est qu'il faut qu'on puisse en parler, par exemple de la laïcité. Mais après, l'école, elle est comme la société, comme les boîtes de nuit, comme les bars. Il y a des points de tension, il y a des gens très différents. Le grand problème de l'école, c'est qu'il faut qu'elle soit hybride et tolérante. Il faut être tolérant aux différences des enfants. Il y a l'énorme problème des enfants qui sont embêtés par les autres. Rappelez-vous ce jeune qui s'est suicidé récemment, parce que les autres l'agressaient en disant qu'il était homosexuel. Il y a aussi ces phénomènes de genre.

On est dans une époque où je crois, on est beaucoup plus tolérant, et c'est le mouvement de fond. Nos jeunes aujourd'hui, à mon avis, sont beaucoup plus tolérants qu'à ma génération, parce qu'ils ont été élevés avec des gosses de toutes origines, de toutes couleurs, du moins dans la plupart des écoles républicaines. Ce n'est pas absolument vrai partout, puisque les écoles sont par quartier, mais globalement quand même, le collège pour tous, à mon avis, a fait un immense brassage des cultures. On voit bien les tolérances, les blagues chez les jeunes, etc. Sur le fond, je pense qu'ils sont plus tolérants que les générations d'avant, mais il y a des points de tension et de violence. 

Donc c'est un peu galvaudé aujourd'hui, de dire que l'école est un sanctuaire ?

Il n'y a jamais de sanctuaire absolu, à partir du moment où c'est la vie, où il y a des élèves qui ne réussissent pas, des élèves qui ne s'entendent pas avec leurs profs, il y a des enfants qui sont bons partout, sauf dans une matière, ils ont l'impression que c'est le prof qui leur en veut, etc. C'est aussi un lieu de tensions l'École, c'est aussi un lieu où vous redoublez, on peut vous punir, ce n'est pas non plus le paradis sur terre, mais je pense quand on voit les enseignants, à plus de 80%, ils sont contents de leur métier, contents de leur travail, mais il y a effectivement des points de tension. Mais je pense qu'il faut y être très attentif, et il ne faut pas non plus trop les exagérer. 

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