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Débat sur la corrida : "Ne passons pas notre temps à casser ce qui rassemble, même si ça ne rassemble qu'un groupe social", souligne Jean Viard

Une proposition de loi portée par les Insoumis pour interdire la corrida va être examinée la semaine prochaine à l'Assemblée nationale. Ce weekend, les défenseurs et détracteurs de la tauromachie se font entendre et manifestent. Décryptage de cette question de société avec le sociologue Jean Viard. 

Article rédigé par Jules de Kiss
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Madrid. Un matador face à un taureau. Le débat sur la corrida oppose détracteurs et défenseurs en France ce weekend, et une proposition de loi pour interdire cette pratique va être soumise à l'Assemblée nationale le 24 novembre. (Illustration) (ERIC O'CONNELL / THE IMAGE BANK RF / GETTY IMAGES)

Ce n'est pas du Mondial dont nous parlons aujourd'hui, mais certains pourraient se dire qu'on est un peu dans la même veine, dans des jeux du cirque qui repaissent l'humanité depuis des millénaires. Notre sujet aujourd'hui, c'est la corrida. Le groupe des Insoumis a fait une proposition de loi pour interdire la corrida, proposition qui sera examinée la semaine prochaine, le 24 novembre, à l'Assemblée nationale. L'éclairage du sociologue Jean Viard, directeur de recherche au CNRS.

franceinfo : Jean Viard, on a déjà évoqué votre position sur la corrida ici : vous dites, pas besoin de l'interdire parce qu'elle va disparaître naturellement...

Jean Viard : Je pense que le rapport à l'animal change profondément. A terme, c'est vrai que ça va disparaître, parce que cette façon de jouer avec les animaux, de les blesser avant de les tuer, a quelque chose de profondément choquant, qui me choque, comme tout le monde. Je suis allé à des corridas, deux ou trois fois, mais je n'y suis pas retourné parce que c'est un spectacle d'une extraordinaire violence.

Après, il faut aussi respecter les cultures populaires parce qu'une société, c'est une association de cultures, de croyances, de mémoire. Et donc il faut petit à petit, je dirais, les limiter. Peut-être qu'il n'y ait pas d'argent public dans les corridas, des mesures comme ça qui restreignent. Mais je pense qu'avec la succession des générations, les jeunes auront une vision différente, donc je pense qu'on est sur ce genre d'évolution. Mais vous savez, toujours tout vouloir interdire, c'est une culture politique. Moi, j'aime les gens qui proposent.

L'identité culturelle que vous avez évoquée, le poids de la tradition, c'est un argument complètement rejeté par Aymeric Caron. C'est le député de Paris des Insoumis qui porte cette proposition de loi. Selon lui, neuf Français sur dix voudraient qu'on en finisse avec la corrida. Le dernier sondage Ifop de février avance plutôt ce chiffre de 77 % de Français favorables à l'interdiction.

Est-ce que cela veut dire, Jean Viard, qu'au nom d'une démocratie de la majorité, il faut interdire la corrida, ce serait logique ? 

Une démocratie, c'est un modèle dans lequel la majorité décide, tout en respectant la minorité. Et donc ça, c'est le fondement même de la démocratie. Il ne suffit pas d'être majoritaire pour avoir raison, ça c'est essentiel, et c'est ce que disait très bien Camus. Une partie de la vérité est dans l'œil de l'autre, de mon adversaire avec lequel je ne suis pas d'accord. C'est ça la démocratie.

La démocratie qui impose le pouvoir de la majorité à des minorités culturelles, à des minorités de gens, à des minorités de pratiques sociales, je pense que c'est une démocratie qui s'affaiblit, et c'est ça le cœur du débat en ce moment. C'est comment on a une démocratie qui respecte les minorités tout en ayant un objectif à terme. Effectivement, regardez les cirques, on est arrivé à interdire les animaux en cage, c'est une très bonne nouvelle. Mais faisons attention à ne pas faire de la démocratie un modèle autoritaire. 

On parlait hier des bienfaits d'un évènement comme la Coupe du monde. A cet égard, quelles sont les vertus d'évènements fédérateurs, peut-être localement, comme la corrida ? 

Mais ce sont des évènements qui rassemblent. Le problème de la politique, c'est de rassembler les gens, ce que nos sociétés ne savent pas faire en ce moment, je veux bien le reconnaître, ils les rassemblent localement dans une région. Mais on pourrait dire la même chose pour le football. Moi qui suis Marseillais, j'y vais quand même rarement. Mais je soutiens l'OM et quand il gagne, je suis content. Mais il y a différentes façons de consommer un événement.

Et la Coupe du monde de foot va rassembler sans doute plus de monde que les corridas dans les régions de corrida. Mais ce sont des faits de rassemblement. Et donc la grande question en ce moment, c'est comment on rassemble la société, les riches, les pauvres, les jeunes, les vieux, etc. Dans ces régions-là, ça fonctionne. A terme, peut-être qu'il arrivera autre chose, mais ne passons pas notre temps à casser ce qui rassemble, même si ça ne rassemble qu'un groupe social. Dans une période de bouleversements, avec la grande pandémie, avec la guerre climatique qui démarre à toute vitesse, faisons attention. L'urgence, ce n'est pas de casser ces rassemblements.

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