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Agriculture : "Aujourd'hui, qui parle du rôle essentiel de la terre, du foncier, de la forêt, dans la révolution que nous sommes en train de vivre ?" souligne Jean Viard

Le Salon de l'Agriculture touche à sa fin. Il fermera ses portes ce dimanche 5 mars. Toute la semaine, les milliers de visiteurs de la Porte de Versailles ont pu voir comment l'agriculture se modernise avec la présentation de nouvelles technologies. Regard sur les changements dans le monde agricole avec le sociologue Jean Viard.
Article rédigé par franceinfo - Benjamin Fontaine
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2 mars 2023.Salon international de l'Agriculture, porte de Versailles à Paris. (Illustration) (BRUNO LEVESQUE / MAXPPP)

Le Salon de l'Agriculture, ouvert depuis le 25 février, porte de Versailles à Paris, ferme ses portes ce dimanche 5 mars.  Des milliers de visiteurs ont découvert les nouvelles technologies mises au service des agriculteurs, dans un secteur agroéconomique qui a toujours su se moderniser et évoluer. Sauf qu'aujourd'hui, les objectifs sont peut-être un peu différents, parce que les enjeux sont différents. Le sociologue Jean Viard décrypte pour nous cette question de société. 

franceinfo : Aujourd'hui Jean Viard, on ne cherche plus seulement à simplifier les tâches des agriculteurs ? 

Jean Viard : Alors, c'est compliqué. Sylvie Brunel, vient de sortir un livre chez Buchet-Chastel, qui s'appelle Nourrir, Cessons de maltraiter ceux qui nous font vivre ! Et au fond, elle dit bien : ne faisons pas avec l'agriculture, ce qu'on a fait avec l'industrie, c'est-à-dire qu'au fond, on a cassé, en grande partie, notre outil industriel, parce qu'on n'avait plus l'envie de ce type de métier, et on a exporté essentiellement la production, et maintenant on rame pour la faire revenir.

Il y a un peu le même risque avec l'agriculture. Il y avait 3 millions de fermes en 1945, il en reste 350 000. On a complètement concentré, c'est de plus en plus technique, la plupart des agriculteurs ont fait des études supérieures, dans des écoles d'agriculture, ils sont souvent passés par l'université. C'est devenu un métier extrêmement complexe, et en même temps, la demande de la société a changé. On est engagé dans la guerre climatique, et dans la guerre climatique, la question du 'faire pousser' devient absolument centrale. On est face à une grande révolution. Mais le problème, c'est que la France s'est toujours modernisée avec des politiques agricoles.

En 1789, c'est très rare, on a fait une immense réforme foncière, personne n'a fait ça. Ensuite, en 1870, on a fait les 500 000 élus locaux, on a fait les paysans républicains et propriétaires, les soldats de la Grande Guerre. Ensuite, de Gaulle est arrivé en 1960, il a dit : les colonies, il n'y en a plus, on se nourrit en France, les paysans, vous allez devenir des producteurs productifs. Ils sont devenus des producteurs productifs. Mais aujourd'hui, qui parle du quatrième pacte agricole ? Qui parle du rôle essentiel de la terre, du foncier, de la forêt, dans la révolution que nous sommes en train de vivre ?

Et le problème, il est là. D'un côté, les paysans se modernisent et se défendent. Ils sont souvent encore dans la culture qu'ils ont héritée de leurs parents, qui est celle de De Gaulle, même s'ils se sont énormément modifiés. Et de l'autre côté, les gens des villes voudraient en toute urgence, à toute vitesse, qu'on change complètement, alors qu'ils ne sont pas capables souvent de faire pousser une carotte. On vit ces heures-là, où, au fond, la politique ne porte pas le quatrième pacte agricole qui sera un pacte écologique, peut-être que les paysans ne seront plus propriétaires du foncier parce qu'ils passent leur vie à rembourser des fermes. C'est un métier qui devient très, très technologique. De plus en plus, on suit les champs sur Internet.

On aura bientôt des tracteurs électriques qui iront dans les vignes tout seuls, la nuit, il n'y aura plus besoin de pilotes. On va vers cette agriculture technologique, le problème, c'est qu'il faut qu'elle soit technologique, et en même temps, très biologique, donc il y a tout ça qui joue. Et puis, ce qui est très net après la pandémie, c'est que les produits bio, se sont un peu calés, par contre, les produits locaux ont augmenté. Il y a toute cette question du 'local' qui est aussi un élément qui rentre en ligne de compte.

Le risque de la modernisation, c'est aussi de vouloir plus grand, de produire plus. Et aujourd'hui, on a un effet de concentration qui fait qu'on a des petits élevages qui meurent dans les campagnes ?

Oui, mais vous le savez, en France, on aime toujours ce qui est petit, et pas ce qui est grand. Donc, il peut y avoir des petits élevages qui soient remarquables. Allez sur l'Aubrac, c'est sûr que c'est le paradis de la vache, ou du bœuf ou du veau, mais en même temps, la plupart de nos repas sont d'abord faits par le prix, que ce soit dans les milieux modestes, ou que ce soit dans la restauration collective. Donc, il faut tenir les deux bouts, le mythe du petit paysan qui a ses 20 vaches etc, c'est parfait, comme modèle de luxe. Mais est-ce que c'est un modèle de grande consommation ?

Le problème, il est très largement comment la grande production devient une production qui fait moins d'intrants chimiques, qui développe plus des techniques de travail. Regardez dans les vignes. Il y a 85 000 agriculteurs qui sont en fait des vignerons sur les 350 000. Il y a des tas d'endroits où on a fait d'énormes avancées technologiques dans la vigne, avec notamment des machines qui passent entre les rangées, mais qui passent en même temps entre les pieds. Donc on n'a plus besoin de mettre de désherbant. Vous voyez, il y a aussi toutes ces innovations technologiques qui font partie des solutions pour sortir de l'agriculture chimique de nos générations précédentes.

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