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11-Novembre : pour Jean Viard, "est-ce qu'il ne serait pas temps qu'il y ait une journée d'hommage aux combattants et aux héros des guerres ?"

Emmanuel Macron a présidé aujourd'hui les cérémonies du 11-Novembre place Charles-de-Gaulle à Paris, et sous l'Arc de triomphe, pour le 105e anniversaire de l'armistice de la Première Guerre mondiale.
Article rédigé par Jules de Kiss
Radio France
Publié
Temps de lecture : 8min
Emmanuel Macron a présidé les cérémonies du 11 novembre 2023 sous l'Arc de Triomphe, accompagné de sa Première ministre, Elisabeth Borne. (OLIVIER CORSAN / MAXPPP)

Dans le cadre des commémorations du 11-Novembre aujourd'hui, la fin de la Première Guerre mondiale, – ça remonte maintenant à plus d'un siècle – on salue également la mémoire des victimes des deux guerres mondiales et, depuis une loi de février 2012, de tous ceux qui sont morts pour la France. Les victimes de 14/18 et cette terrible guerre de tranchées, ça reste encore quelque chose de très présent dans beaucoup de familles. On en parle avec le sociologue Jean Viard. 

franceinfo : On l'a dit, Jean Viard, presque 1 million et demi de morts et énormément de blessés en France.

Jan Viard : Oui, pour les gens de ma génération, la guerre de 14-18, c'étaient les obus qu'on avait sur le bord des cheminées, avec les culots en cuivre ou en laiton, des objets de décoration, mais c'étaient aussi des objets de mémoire. J'ai bien connu mes deux grands-parents qui étaient artilleurs en 14-18 et qui ont fait toute la guerre, ils étaient à Verdun tous les deux. Et il y en a un qui a sauvé la vie de l'autre. Et ils ont décidé de se voir une fois par an, et puis plus tard, il y en a un qui a eu une fille, l'autre a eu un garçon, et les deux enfants se sont mariés. Donc, j'ai un rapport ambivalent parce qu'il y a le deuil, et j'ai horreur des guerres, c'est monstrueux. Et en même temps, il y a la victoire, il y a ce qui se passe après.

Et ce qui est frappant, c'est que pour quelqu'un de ma génération, mes grands-parents ont fait Verdun. Mon père était engagé volontaire en 39, il y a eu la guerre d'Algérie, etc. On voit bien qu'il y a les guerres où on a gagné, on appelle ça une victoire, une victoire sur le nationalisme allemand, donc on les chante. Et puis il y a les guerres où on est un peu en défaite, 1939 par exemple, ceux comme mon père qui ont été soldats volontaires, ils n'en parlaient jamais parce que la victoire, c'était la résistance, ou c'était Leclerc en Afrique, ou de Gaulle, bien sûr.

L'Algérie, c'est pareil, la plupart d'entre nous, les pères de l'Algérie, ce sont des pères qui ont eu des enfants dans les années 60, donc en fait, leurs enfants sont encore largement vivants, mais ils en ont très peu entendu parler. Donc c'est pour ça que dans le récit collectif, il y a des guerres positives parce qu'on a gagné, et puis des guerres silencieuses, parce qu'on a perdu.

Alors la mémoire de cette Première Guerre est très présente dans beaucoup de familles. Et puis il y a pour tous les autres Français, et notamment les plus jeunes, cette vision des commémorations comme quelque chose peut-être d'un peu poussiéreux, qui n'a pas forcément énormément de sens, qui n'est pas très concret. Pourquoi ces commémorations sont importantes ?

D'abord, ce qui est important, c'est l'hommage aux combattants, c'est l'hommage aux morts. La guerre fait partie des sociétés, c'est comme les violences. Évidemment, il faut les limiter. Mais il y a des violences privées, il y a des violences dans l'espace public. Et le rôle de l'armée ou le rôle de la police, c'est que ces violences restent supportables, car supprimer totalement la violence, c'est une très belle utopie. Donc ces commémorations sont importantes, même si, il faut le dire, celles du 11 novembre, souvent, ne rassemblent plus énormément de monde. 

Après la fin de la guerre froide en 1989, on a tous un peu cru que les guerres, c'était fini. Les budgets militaires se sont effondrés, et là, ça remonte à toute vitesse. On met 2000 milliards d'argent, à l'échelle mondiale, et si on remet le service militaire, ce sera un service militaire, ce ne sera pas un service social. On est dans cette logique. On voit bien ce qui se passe en Ukraine, et l'Ukraine, 40 millions d'habitants, c'était la France de 1914. Il y avait aussi 40 millions d'habitants, c'était à peu près la même taille.

Après ce qui est compliqué, est-ce qu'il faut faire évoluer les dates ? Le président Giscard d'Estaing avait supprimé la commémoration du 8 mai, qui était la commémoration de la fin de la Seconde Guerre mondiale, et elle a été remise après. Est-ce qu'il ne serait pas temps qu'il y ait une journée d'hommage aux combattants et aux héros des guerres, y compris parce qu'on est tellement proches de l'Allemagne aujourd'hui, que commémorer deux fois des guerres qui ont un siècle avec l'Allemagne, est-ce que c'est une bonne idée dans l'Union européenne ?

Et vous, vous voudriez donc aller plus loin, et parler de tous les morts militaires qui s'engagent pour leur pays, qui sont dans l'Union européenne ? 

Y compris les résistants, et je pense qu'à un moment, c'est très important de soutenir l'armée, d'ailleurs, les Français les soutiennent, même si la plupart d'entre nous, n'ont plus cet engagement, mais c'est évident qu'une société doit se défendre, elle doit suffisamment impressionner pour qu'il n'y ait pas de guerre. Alors dans un monde qui change, car la guerre aujourd'hui, c'est de plus en plus technologique, encore que ce qu'on voit en Ukraine fait un peu penser à la guerre de 14-18. Moi, j'ai tendance à penser que les commémorations doivent évoluer. Il devrait y avoir une journée de la Terre, c'est un sujet majeur. Il devrait y avoir une journée à la mémoire des combattants, de respect des combattants, mais pas forcément l'une des dates de victoire sur l'Allemagne, ce serait normal. 

Vous savez, en France, il y a 11 jours fériés, il y a 6 jours liés aux chrétiens, cinq jours liés à l'histoire collective, le 1ᵉʳ janvier et le 14 juillet. Donc, la culture chrétienne dans les jours fériés, reste hégémonique, dominante. Il n'y a aucune commémoration pour la communauté juive, ce qui serait peut-être une question qu'on pourrait se poser en ce moment, après ce qui s'est passé en Israël, et après la manifestation de demain. Il n'y a aucune commémoration pour le culte musulman. Pour eux, ce serait peut-être flottant, puisque leur date dépend de la Lune. Et puis, il pourrait y avoir des commémorations pour d'autres phénomènes. Mais que la nature soit fêtée et que les combattants soient fêtés, c'est bien, mais essayons de tourner un peu la page des guerres à l'intérieur de l'Europe. 

Bon, c'était un tout petit peu l'idée il y a 10 ans quand même, quand on a transformé cette journée du 11 novembre pour tous les soldats morts pour la France ?

Ça va dans la bonne direction et c'est très bien, mais dans la mémoire, 14-18 a profondément traumatisé la société française, ça reste dans les familles. Moi, chaque fois que je vais dans un village, je fais l'effort de lire tous les noms sur le monument aux morts. Je considère que c'est une marque de respect. Et c'est pour ça qu'il y a tous les noms. Et on voit très bien qu'il y a moins de noms pour 39-45. Il n'y a pas les noms des Juifs qui ont été emmenés dans la Shoah, ce qui pourrait aussi être sur les monuments aux morts, parce que ce sont des victimes du nazisme, et des victimes de la guerre.

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