Spécial innovation. Vicky Colbert, Wise Prize 2013 pour Escuela Nueva
C'était il y a près de 40 ans... Est-ce que cette Escuela Nueva est toujours nouvelle ?
Oui.
D'abord elle s'adresse aux enfants qui ont difficilement accès à l'éducation, et ça reste le cas de centaines de millions d'enfants dans le monde. Elle a commencé dans les zones rurales colombiennes et s'est étendue aux zones urbaines pauvres puis à essaimé dans une vingtaine de pays - en Amérique latine mais aussi en Ouganda ou au Vietnam. C'est un des rares exemples de dispositif qui permette à des enfants de zones rurales pauvres d'obtenir de meilleurs résultats que des enfants de milieu urbain.
Comment marchent ces écoles nouvelles ?
La philosophie est dans le slogan de la fondation : "volvamos a la gente", "revenons aux gens". Ces gens ce sont d'abord les enfants. Escuela Nueva place l'élève au cœur du dispositif de plusieurs façons : dans les programmes (ils sont reliés à la vie quotidienne des enfants - on leur demandera de travailler les mathématiques à partir des contraintes de la production agricole, la géographie à partir de cartes de leur région) ; élève au cœur également à travers la mise en œuvre de pédagogies actives inspirées de Montessori ou de Freinet. Beaucoup de coopération, d'enseignement mutuel, c'est à dire d'entraide entre les élèves. Dans le supplément que le quotidien Le Monde consacre à ce sommet, on peut lire un reportage qui met en scène ces classes où, je cite, "le bon élève n'est pas celui qui obtient les meilleures notes, mais celui qui explique le mieux aux autres".
"Revenons aux gens"... Les gens ce sont aussi les enseignants...
En fait l'acte fondateur des esculeas nuevas a été la réalisation d'un guide pour les professeurs qui devaient enseigner à des classes multi-niveaux, un peu l'équivalent des classes uniques de nos campagnes d'antan. Ces guides existent toujours et ils sont conçus selon la méthode qu'ils préconisent d'utiliser avec les élèves. Donc les enseignants peuvent mesurer à quel point c'est efficace. Ils bénéficient également d'une formation robuste et se rencontrent régulièrement, visitent mutuellement leurs classes, leurs écoles... Rien de tout cela n'est nouveau dans l'absolu, la nouveauté c'est de le mettre en œuvre.
Les gens, enfin, ce sont les parents...
Et leur rôle est fondamental dans le dispositif, ainsi que celui de la communauté en général. A fortiori dans un pays comme la Colombie. Là-bas, comme au Mexique par exemple, toute l'administration est remplacée quand le gouvernement change de couleur. Cela signifie que la continuité de l'action est sans cesse mise en péril.
Ce Wise Price, il va changer quelque chose pour Vicky Colbert ?
C'est la question que j'ai posée au gagnant du prix Wise 2012, l'indien Madhav Chavan, il a créé une ONG, Pratham, pour contribuer à l'éducation de base des enfants en Inde. Eh bien il dit sentir le changement dans le regard que portent les institutions y compris en Inde et peut-être même encore plus en Inde, sur son initiative. La fondation Escuela Nueva est déjà bardée de reconnaissances internationales dans le monde des ONG, mais dans son propre pays elle menace de s'essouffler. L'enjeu est considérable. Vicky Colbert le rappelle : les enfants des zones rurales pauvres sont un vivier de recrutement des groupes armés. Or une étude de l'université de Londres a montré que la présence d'une Escuela Nueva dans une zone de conflit permettait de favoriser des comportements pacifiques. La question est donc tout sauf théorique en Colombie.
Peut-on retirer un enseignement de cette expérience pour la France ?
Dans l'Education nationale, pas vraiment. Les principes pédagogiques de cette Escuela Nueva ne sont pas neufs, Vicky Colbert le sait et le dit. La France en a même expérimenté certains : nous avons eu nos "classes nouvelles" après la Libération, elles pratiquaient aussi des pédagogies actives, elles ont été abandonnées ; nous avons également tenté de mette l'élève au centre du système - c'était le cœur de la loi d'orientation Jospin de 1989 - mais ça a donné lieu à des débats sans fin et très français sur le fait de savoir où on mettait les enseignants et les connaissances si on mettait l'élève au centre. Donc on est très loin, tout de même, de ce genre d'innovations.
Y compris dans l'éducation prioritaire ?
Non. Vous avez raison. C'est sans doute là qu'on en trouve le plus de traces. Autre dispositif qui s'en rapproche, celui des Maisons familiales rurales, un mouvement créé en 1937 et qui scolarise 70.000 enfants et adultes sur des principes pédagogiques assez comparables. Attention à l'humain, importance de la vie en communauté - ce sont des internats -, reconnaissance et valorisation des parents... Mais c'est un système basé sur l'alternance qui accueille des élèves plus âgés, donc ça reste assez différent tout de même de notre Escuela Nueva. En France, le système dominant fait encore peu de place à ce genre d'approches.
Merci. On vous retrouve demain même heure en direct de Doha pour la suite du Wise.
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