Route 128 : "Learning by doing", le mot d'ordre du MIT
Le MIT Venture Mentoring Service est un service créé en 2000
qui propose aux jeunes entrepreneurs d'être accompagnés par des tuteurs. Il y
en a 180, tous bénévoles, tous créateurs d'entreprise ayant réussi. Ils ont
interdiction de se faire rémunérer pour leurs services ou de prendre des parts
dans les entreprises qu'ils aident afin d'éviter les conflits d'intérêt.
Une
vingtaine d'entreprises en gestation entrent chaque mois dans le dispositif
parmi lesquelles, il y a huit ans, celle de Tristan Jehan, un diplômé en sciences de
l'université de Rennes qui était venu compléter ses études au MIT. Scientifique
et musicien, il a l'idée d'une technologie qui permet de puiser dans toutes les
ressources disponibles via internet pour créer des programmations musicales
cohérentes de manière automatique.
C'est le genre de service qu'offre un site comme Spotify qui
vient justement d'acheter l'entreprise. Mais le succès n'est pas venu en un
jour. Echo Nest - c'est le nom de l'entreprise - a mis plusieurs années à trouver
un équilibre économique au cours desquelles Tristan s'est régulièrement tourné
vers son mentor - et sans cela il aurait probablement eu beaucoup de mal : "au
début, dit-il, j'ignorais absolument tout de la façon de créer, de gérer, de
développer une entreprise" . C'est aussi le genre de service que
propose le Martin Trust for Entrepreneurship qui a développé un programme
accessible dès le début des études. Et là aussi on passe directement aux
travaux pratiques : "notre conviction est qu'on peut apprendre à
devenir entrepreneur, explique Kyle Judah, mais on apprend en faisant" .
On retrouve cette croyance dans le "learning by
doing" qui est le mot d'ordre du MIT. À quoi s'ajoute une considération
beaucoup plus pragmatique : la fenêtre de tir pour créer une entreprise est
étroite rappelle Kyle Judah, qui est lui-même passé par là. Une fois qu'on doit
rembourser son prêt étudiant, acheter un logement, nourrir une famille, on
hésite à prendre le risque. Et cette angoisse est de plus en plus forte aux
États Unis où le montant de l'encours de la dette étudiante a dépassé 1.000
milliards de dollars.
Les universités ne financent pas toutes ces structures ou, souvent dans des
proportions très modestes. La plupart de ces structures lèvent des fonds
notamment auprès d'anciens étudiants qui ont réussi. De la même façon qu'ils
acceptent de venir donner du temps pour faire du tutorat, beaucoup sont prêts à
donner pour leur université. C'est une tradition ici. Le Martin Trust vient par
exemple de recevoir un don de 5 millions de dollars d'un particulier.
Ces programmes destinés à favoriser la création d'entreprises profitent aussi
de la proximité de financeurs et de grandes entreprises. Tout se joue sur
quelques kilomètres carrés. Mais ce qui est frappant c'est tout de même la
densité d'espaces de formation, de rencontre, de réseautage. "Les
investisseurs sont à deux pâtés de maison d'ici, explique Kyle Judah, c'est une
chance mais aussi un risque : il ne faut pas frapper à leur porte tant qu'on
n'est pas prêt" .
La vigueur de cet écosystème de la route 128 ne doit donc rien au hasard. On
parle souvent du tempérament entreprenant des Américains. En fait, c'est le
produit d'un discours, entêtant, parfois enivrant. Nous avons rencontré hier
des étudiants français de Harvard et du MIT et ils ont confessé une certaine
irritation face à ce discours. L'un d'entre eux nous disait "à chaque
fois que je croise un étudiant, il me dit qu'il va créer une entreprise, même
s'il n'a pas le commencement d'une idée" . Il n'empêche l'un d'entre
eux a confessé avoir monté une start-up avec un ami, presque
naturellement.
Ce discours sur l'entrepreneuriat
existe aussi en France. Ce qui le distingue tient d'abord des programmes dédies
à la création d'entreprise. A de rares exceptions près, ils ne commencent qu'au
niveau du master. Ensuite ils sont avant tout académiques : nous n'avons pas
cette culture du "learning by doing", de l'apprentissage grandeur
nature, à l'exception notable des junior entreprises mais
elles passent rarissimement le cap pour devenir de vraies entreprises.
Les
sommes en jeu sont également beaucoup plus modestes, pas tellement
au début - il existe en
France des dispositifs très attractifs. Mais les start-uppers ont plus de
mal à trouver des
investisseurs pour la deuxième phase, non pas celle de la conception et du
lancement, mais celle où il faut financer la croissance rapidement - si
je reviens à l'exemple d'Echo Nest
et de Tristan Jehan : il a levé plus de vingt millions d'euros en quatre ans
alors que son entreprise ne gagnait encore pas un centime.
Au bout du compte
les investisseurs s'y sont retrouvés puisque même s'il ne dévoile pas le montant
de la transaction, son entreprise fait partie des 28 entreprises lancées avec l'appui du
Venture Mentoring Service qui ont été valorisées à plus d'un milliard
de dollars. C'est ce type d'investisseurs qui sont plus difficiles à trouver chez nous or
ils ont un rôle déterminant notamment
dans le numérique où il faut imposer sa
technologie très vite pour ne pas être dépassé par les autres.
Enfin il existe aussi beaucoup plus de structures ici qui organisent la rencontre entre la
recherche, l'industrie et les investisseurs, rencontre évidemment facilitée par le fait qu'il
n'y a pas de défiance mutuelle entre
le monde de l'université et celui de l'entreprise, ce qui n'est pas forcément le cas en
France.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.