Européennes : le vote des jeunes était annoncé
C’est une constante dans tous les scrutins en France : le vote des jeunes amplifie celui du reste de la population. Les jeunes avaient majoritairement voté Hollande en 2012, mais Sarkozy en 2007, ils avaient aussi été plus nombreux que la moyenne à voter pour Jean-Marie le Pen en 2002. De la même façon, ils sont plus nombreux à s’abstenir.
En tout cas l’équation jeunesse = vote à gauche est périmée…
Pas totalement, du moins si l’on en croit la sociologue Anne Muxel. « Quand les jeunes votent, ils privilégient les candidats de gauche, et tout particulièrement la gauche socialiste » explique-t-elle. Mais d’ajouter que « les forces extrêmes et hors système, et particulièrement le Front national, séduisent une partie significative de la jeunesse » - ces propos datent de 2011 : vous le voyez, la tendance n’est pas nouvelle.
De quoi se nourrit-elle ?
Toujours selon Anne Muxel : contrairement à leurs aînés ils ont grandi dans une atmosphère de désenchantement et de défiance vis-à-vis du politique, qui se nourrit de l’impuissance des gouvernements successifs à faire reculer le chômage et à ce contexte de crise permanent – ils sont nés dedans. Ils sont également, je cite toujours, « porteurs des désillusions de leurs parents ». Il suffisait d’écouter ce matin sur France Info les témoignages de jeunes électeurs du Front National pour vérifier la validité de cette analyse. Enfin « les organisations politiques ou syndicales traditionnelles n’attirent plus les jeunes ».
Justement, vous dites « les jeunes »… Mais ce n’est pas forcément une catégorie homogène…
Absolument. L’autre classique de la sociologie électorale consiste à regarder du côté des niveaux de diplômes. Et là vous avez un redoublement quand il s’agit des jeunes avec une amplification qui joue en faveur du vote Front national : plus on est diplômé, notamment de l’enseignement supérieur, plus on vote en faveur de partis modérés. « Les fractures sociales, et tout particulièrement celles qui sont induites par le diplôme, provoquent des fractures politiques » explique Anne Muxel.
Pourtant le nombre de diplômés augmente…
Oui. Mais il y a une part de trompe l’œil. Prenez le baccalauréat : l’essentiel de l’augmentation, depuis 20 ans, s’est faite au profit des baccalauréats technologiques et professionnels, dont les titulaires ont en partie grossi les rangs de deux catégories qui votent plus Front National que la moyenne : les employés et les ouvriers. Vous avez donc une redondance. Il ne faut pas non plus oublier que 150.000 jeunes sortent chaque année sans qualification ni diplôme du système éducatif, et que plusieurs centaines de milliers ne sont pas scolarisés dans le cycle normal de l’Education nationale – ce sont les élèves de Segpa, les apprentis, les élèves de l’enseignement agricole, etc. Cela ne fait évidemment pas d’eux des électeurs naturels du Front national mais il faut bien avoir en tête qu’un large pan de la jeunesse fait ou a fait dès l’âge de 16 ans l’expérience d’une forme d’exclusion des voies d’insertion scolaire et sociale privilégiées par le système. Facteur aggravant si on parle spécifiquement de la dimension européenne : ce sont ces jeunes qui profitent le moins des programmes de mobilité étudiante.
Erasmus par exemple…
Oui, pour prendre le plus connu. Même ce dernier ne touche que 4% des étudiants européens, et environ 30.000 étudiants par an en France. Vous avez donc affaire à une population qui n’est pas représentative. L’étudiant Erasmus typique, selon une étude de l’Agence Europe Education formation est, je cite « une étudiante en troisième année de Licence de droit ou sciences sociales ou humaines, dont l’un des parents au moins a étudié dans le supérieur et dont la famille est plutôt aisée ». Pour le dire autrement : on donne plus d’Europe aux plus Européens.
On sort forcément pro-européen d’un échange Erasmus ?
Pas forcément. En fait l’expérience du type Auberge espagnole a des effets paradoxaux : elles renforce la familiarité entre les cultures, mais elle fait aussi ressortir les différences. Donc ce n’est pas automatique. Je vous cite des propos recueillis par France 3 Alpes voici quelques semaines lors d’une rencontres des jeunes européens baptisée Eye 2014 : « L'Union européenne est trop bureaucratique et pas assez sexy ». Pour Florian, je cite : « Peu importe que le concombre ou la carotte sur nos étals de supermarchés soient mal calibrés. Nous, ce qu'on veut, c'est une Europe qui nous parle et nous fasse rêver ». « Leur plus grande peur à deux semaines des élections européennes? poursuit l’article : le fort taux d'abstention et la montée des extrémismes en Europe, qui signifierait un "retour en arrière" et "la perte de leur identité commune" ». Nous y sommes. Et cela n’a donc pas grand-chose d’une surprise.
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