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Séisme en Turquie : reporter au milieu des sinistrés

Après le dramatique tremblement de terre, le témoignage de nos envoyés spéciaux Willy Moreau et Thibault Lefevre sur leur travail dans le sud de la Turquie, à la frontière syrienne.
Article rédigé par franceinfo - Éric Valmir
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Sur les ruines d'un hôpital, à Antioche (Turquie), après le violent séisme. (MARIE-PIERRE VEROT / RADIO FRANCE)

Gagner le théâtre de désolation, décrire ce que l’on voit, interroger les survivants et, après l’émotion des premières heures, scanner l’organisation des secours, ce qui fonctionne et ne fonctionne pas dans l’après tragédie. Il y a comme une mécanique qui se répète dans le traitement journalistique d’une catastrophe naturelle. 

Profession reporter, c’est souvent un dilemme. On est là face à quelqu’un qui a tout perdu et qui tend la main, et ce qu’il y a dans notre main, c’est un micro qui veut prendre une parole, le peu qui reste à la personne qui essaie de tenir debout. Je me souviens, en 2009, de mon incapacité à travailler. C’était à l’Aquila en Italie. Il n’y avait que de la douleur et quelle question puérile pouvais-je bien poser aux sinistrés hagards assis sous les tentes de la protection civile ? Alors, pas trop dur ? Vous pouvez raconter ce qui vous est arrivé ? Et comment raconter l’indicible, les gens dormaient, ils n’ont rien compris, ça s’est mis à trembler et tout s’est écroulé. J’avais pris le parti de ne solliciter personne, le micro était en vue, il pouvait servir d’exutoire et c’est ce qui s’est passé. Les victimes qui voulaient se libérer d’un poids, venaient témoigner spontanément. Ici, le reporter qui doit poser les bonnes questions doit aussi savoir se taire, et tout se joue dans les regards, mais pas de fausse compassion, de l’authenticité, de la compréhension et une empathie au plus juste dans ces moments sensibles et confus.

Faut-il poser le micro ?

En Turquie, Thibault Lefevre et leurs journalistes fixeurs sont dans la même situation. Alors que les secours déblaient, les familles attendent. Et des moments comme celui de vendredi matin où sont extraits des gravats un homme et sa fille de huit ans, ces moments sont extrêmement rares. Dans le temps qui file et amenuise les chances de survie, il fait très froid et les individus frappés dans leur sommeil étaient en pyjamas, il est difficile de tenir dans cette atmosphère glaciale. Alors les corps récupérés rejoignent les sacs mortuaires au milieu des pleurs et des cris de douleurs. Mais la question du reportage, ce n’est pas seulement le témoignage du survivant, du sinistré dormant dans sa voiture, ou de la mère de famille qui a tout perdu, c’est aussi le regard critique sur les organisations de secours et les prises en charge. Willy Moreau de franceinfo a particulièrement été choqué du temps de réaction de la sécurité publique. Deux jours avant de commencer vraiment les opérations de déblaiement. Deux jours alors que tout autour de soi est urgence. La gestion publique est vite pointée du doigt. Et les ONG apparaissent vite démunies devant l’ampleur de la catastrophe.

Alors le reporter se retrouve devant un autre cas de conscience. Faut-il poser le micro, et prendre vivre, couche culotte et de l’eau pour amener aux sinistrés qu’ils vont voir, là où habitent les fixeurs syriens, anciens journalistes d’Alep, aujourd’hui dans un camp de réfugiés de Gaziantep et qui aident les journalistes occidentaux dépêchés sur place. Faut-il cumuler la distribution d’une aide, même relative avec la réalisation de son reportage ?

Cette question, chaque reporter se la pose et laisse sa propre sensibilité répondre au problème posé.

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