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Micro européen. Ces dates méconnues de la construction européenne : le 19 septembre 1946, le discours de Zurich

Dans son rendez-vous "Micro Européen", José-Manuel Lamarque et son invité, Jean-Dominique Giuliani nous font découvrir ou redécouvrir les grandes dates qui ont marqué la construction européenne.

Article rédigé par franceinfo - José-Manuel Lamarque
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
La fondation Robert Schuman a été créée en 1991. Son rapport annuel pour 2021 fait état d'une réalité impensable qui est devenue depuis mars 2020 soudainement possible : une pandémie mondiale. (Illustration) (ANTON PETRUS / MOMENT RF / GETTY IMAGES)

Première date à redécouvrir de la construction européenne : le discours de Zurich, le 19 septembre 1946. Pour notre invité, Jean-Dominique Giuliani, le président de la Fondation Robert Schuman, laboratoire d'idées pro-européen créé en 1991, "le discours de Zurich est un discours prémonitoire qui a créé une étincelle".

Contexte historique

C’est une Europe exsangue qui sort de la Seconde Guerre mondiale. Tout est à reconstruire et se dessine, ce qui deviendra alors, la grande séparation du continent, les deux blocs de l’Ouest et de l’Est.

En fait, si les deux blocs prennent forme petit à petit, on voit cette Europe partagée à l’Ouest par des Républiques naissantes, Allemagne, Italie ; des Républiques stables, France et Irlande ; des dictatures, Espagne, Portugal ; des monarchies, pour les unes, renforcées dans leur résistance au nazisme, Royaume-Uni, Pays-Bas, Danemark, Norvège, Luxembourg, et affaiblies pour la Belgique.

À l'Est, les troupes russes occupent les Pays baltes, Pologne, Hongrie, Tchécoslovaquie, Roumanie, Bulgarie, encore l’Autriche qui deviendra indépendante en 1955. Au Nord de l’Europe, la petite Finlande indépendante en 1917 a connu deux guerres contre l’URSS, la guerre d’hiver et la guerre de continuation appuyée par les troupes allemandes. La Finlande est alors entrée dans ce que l’on appellera la Finlandisation soit une collaboration "forcée" avec l’URSS qui durera quelques décennies.

Quant au sud du continent, les Balkans, en majorité yougoslave, vont vivre sous la coupe communiste du maréchal Tito, lui-même se détachant de l’URSS en rejoignant le camp des "non-alignés", l’Albanie tombée sous la pire dictature communiste de la région, celle d’Enver Hodja, enfin la Grèce, qui sortait blafarde de la guerre et devait faire face à une guerre civile qui allait opposer les communistes et les conservateurs, royalistes.

Ne sortaient en bon état que les petits états, Monaco, Liechtenstein, San Marin et les neutres, Suède et Confédération Helvétique. Le plan Marshall n’apparaîtra qu’en 1948, et pour l’heure la Grande Bretagne s’était rendue aux urnes en cette année 1945. Le vainqueur de la guerre, Winston Churchill, était remercié par son peuple à qui il avait promis "du sang et des larmes". Le vieux lion était battu en faveur du travailliste Clément Attlee. Devant lui vint l’occasion de voyager, de donner des conférences, et de proposer des idées d’avenir, ce fut le cas à Zurich en 1946.

Avril 1939, WInston Churchill. En septembre 1946, après sa défaite électorale, son cheval de bataille c'est l'Europe. Son discours à l’université de Zurich sera le premier acte de son chemin européen. (EVENING STANDARD / HULTON ARCHIVE / GETTY IMAGES)

Churchill, l’homme de l’Europe

Winston est à Zurich en ce mois de septembre 1946, invité par les milieux financiers. L’occasion est trop belle pour lui proposer un discours à l’université zurichoise. On sait qu’après sa défaite électorale, son cheval de bataille sera l’Europe, et la réconciliation franco-allemande. Il sait que l’avenir de l’Europe est en jeu, tant le continent est partagé et que Staline n’a pas dit son dernier mot. Son discours à l’université sera le premier acte de son chemin européen, bien qu’il créa, dès 1943, l’United Europe Movement dont l’objectif était de réaliser les Etats-Unis d’Europe, appuyés par le Royaumen-Uni, donc une idée anglaise pour Churchill.

Churchill s’adresse autant aux peuples qu’aux chefs d’état, il le peut, toute la légitimité de sa victoire parle pour lui, donc on l’écoute. Il reprendra l’idée de Victor Hugo des Etats-Unis d’Europe, de Tocqueville, de Coudenhove-Kalergi. La troisième voie inévitable pour l’Europe, c’est son union, afin de se positionner entre le bloc de l’Est et l’Amérique. On parlait de l’Europe avant-guerre, aussi dans les mouvements de résistance contre le nazisme durant la guerre, où naissait aussi un besoin d’une Europe libre, unie, démocratique… 

De toute façon il faut la reconstruire cette Europe, reconstruire les villes, faire repartir l’industrie, l’économie, mais reconstruire aussi les esprits, les âmes, redonner un sens à la vie où tant d’hommes et de femmes ont donné la leur pour la liberté de la majorité, où tant d’hommes et de femmes reviennent en tenues rayées des camps, ombres humaines qui témoigneront plus tard de ce que fut le nazisme. Churchill avait le ton juste, la parole précise, il pouvait le faire, il le voulait, une nouvelle fois il allait signer l’histoire de ce XXe siècle par son génie, sa vision et sa sereine autorité. Le discours de Zurich "donnait le la" de la construction européenne.

"Je préfère le grand large"

C’est ce qu’avait déclaré Churchill au général de Gaulle avant le débarquement : "Sachez qu’entre l’Europe et le grand large, nous choisirons toujours le grand large…" Pour Churchill, la construction européenne était, devait être une réalité pour la stabilité du continent, la réconciliation franco-allemande, une pièce importante du puzzle. Faire pièce aussi au communisme, donc agir en faveur de l’Europe unie, "with it, not in it" disait-il, "avec mais pas dedans". Donc une Europe unie pour Churchill devait aussi servir les intérêts du Royaume-Uni qui allait connaître l’indépendance de l’Inde, se reconstruire avec ses anciennes colonies par la création du Commonwealth et garder la confiance de l’allié américain, sans oublier que Churchill était le fils d’une mère américaine.

C’est pourquoi le Royaume-Uni devait anticiper la construction européenne avant tout le monde, cela Churchill le savait, et c’est pourquoi il le fit le premier. Tout d’abord parce que la politique étrangère du Royaume-Uni fut toujours de se mêler des affaires du "Vieux Continent" tout en préservant son libre arbitre et son indépendance insulaire. Enfin, parce que la Grande-Bretagne - sortie elle aussi de la guerre dans une situation ruinée, dont les tickets de rationnements seront toujours en vigueur bien après 1950 - cette Grande-Bretagne se devait de ne rien perdre de sa grandeur, en aiguillonnant la reconstruction européenne par la voix du plus célèbre de ses fils contemporains, une manière comme une autre pour que le début de l’Europe soit estampillé "Made in England", à sa façon.

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